La tour de Trump d’après la « Tour de Babel » de Bruegel l’Ancien. (Gracieuseté © Jethro)

La langue de l’autre… De Babel à la Pentecôte

Martin BelleroseMartin Bellerose | 18 novembre 2019

« Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? […] tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu. » Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » (Ac 2,8.11-12)

À un moment de l’histoire où, pour être compris de tous, l’humain cherche à s’exprimer dans la langue de l’empire, un langage qui tend à uniformiser les cultures et donne accès au modelage culturel que souhaitent imposer les dominants, il est bon de se rappeler qu’au jour de la Pentecôte le message des disciples n’a pas été prononcé en latin ou en grec. L’Esprit saint n’a pas donné miraculeusement la possibilité aux personnes présentes de comprendre les langues de l’Empire romain ; il a plutôt donné la possibilité au locuteur de se faire comprendre dans la langue propre de chacun.

De Babel…

Le texte de la Pentecôte prend tout son sens lorsqu’on le lit en parallèle avec le récit de la tour de Babel. On peut lire dans ce passage :

Le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils d’Adam. « Eh, dit le Seigneur, ils ne sont tous qu’un peuple et qu’une langue et c’est là leur première œuvre ! Maintenant, rien de ce qu’ils projetteront de faire ne leur sera inaccessible ! Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres ! » (Gn 11,5-7)

Les lectures consciemment ou inconsciemment impérialistes ou colonialistes de ce texte laissent entendre que le fait qu’il n’il n’y ait qu’un seul peuple, qu’une seule langue donne de la force à l’ensemble des humains à un point tel qu’ils risquent de se prendre pour des dieux. Pour certains, lecteurs non croyants, on trouve dans ce texte « la preuve » que Dieu souhaite que les humains lui soient soumis. Pour cette raison, Dieu voudrait que ces derniers n’aient pas confiance en leurs capacités et en leur potentiel. Il les divise en différents peuples et langues pour mieux les soumettre et les dominer.    

Mais si on voyait plutôt en ce texte que le Dieu libérateur, sachant très bien que l’uniformisation de l’humanité en un seul peuple et une seule langue n’a pour seul but de les dominer et de les soumettre à une poignée de puissants, la multiplication des langues et des peuples aura quant à elle pour effet de les libérer de cette oppression. Les conflits ne naissent-ils pas lorsque des dirigeants veulent soumettre d’autres peuples et leurs imposer leur langue?

On utilise souvent l’adage « diviser pour régner » de manière démagogique pour convaincre les peuples de ne pas se « séparer », pour préserver l’unité, comme les dictateurs aiment bien dire « unité » qui, dans les faits, force les peuples à ne pas se « libérer » de l’empire.  Les rois de Babel et les Mammon utilisent cet « argument » à chaque fois qu’un peuple veut se libérer d’une quelconque forme de colonialisme ou d’oppression.

Mais la pluralité et la diversité enrichissent l’humanité et la libèrent des dictatures d’une culture unique, du modèle économique unique et du pouvoir politique unique et bien au-dessus du peuple. « Ouvrez-vous aux autres », disent-ils, « Parlez la langue de l’empire » qui trop souvent est celle de Shakespeare.

À la Pentecôte    

 Alors que dans la logique d’une lecture colonialiste et impérialiste du récit de la tour de Babel la restauration de l’humanité divisée en une multitude de peuples et de langues aurait dû être la réunification en un peuple unique, une langue unique, le texte sur la Pentecôte persiste et signe. La pluralité des peuples et des langues est maintenue, chacun entendra la parole du libérateur dans sa propre langue avec des référents signifiants pour sa culture.

L’évangélisation à la manière coloniale est ici remise en question. En fait, les mots « Évangile » et « colonial » dans une même expression font figure d’oxymore. À partir de ce jour de la Pentecôte relaté en Actes 2, des expressions comme « unité des chrétiens » ou « tous d’une même voix » deviennent incommodantes. Les chrétiens sont plutôt appelés à vivre en communion, où chaque particularité est respectée et valorisée. La communion des saints à laquelle nous croyons ne devrait jamais et n’aurait jamais dû être comprise comme une uniformisation institutionnelle qu’elle soit nationale, étatique, linguistique ou ecclésiale.

Pour s’aimer les uns les autres, il faut d’abord que l’autre existe. Il y a des contextes où la langue de l’autre peut correspondre à la langue de l’empire, mais elle reste la langue de l’autre. Par contre, on choisit trop souvent d’utiliser une langue parce que c’est d’abord et avant tout la langue du puissant, de celui qui a réussis, de celui qui domine, de celui qui impose sa culture et c’est plus « chill » de parler comme lui. Le croyant ne doit pas se laisser « trumper », il ne doit pas empirer les affres de l’empire qui annihile la pluralité culturelle et linguistique, en l’idolâtrant en le louangeant et en s’y soumettant.

L’autre, c’est celui que l’empire exclut, celui pour lequel Jésus avait un parti pris. Celui pour qui Il invite ceux qui le suivent, à aller visiter lorsqu’emprisonné, et à accueillir lorsqu’il est le migrant et l’étranger et aussi lorsqu’il est l’autochtone devenu étranger parce qu’il a été dépossédé.

Aujourd’hui, vivre la Pentecôte 

Actes 2 nous invite aujourd’hui à construire et vivre une véritable Pentecôte où on aura du respect pour la langue de l’autre, mutuellement et où nous n’aurons pas à recourir toujours et seulement à la langue de l’empire pour se parler, pour prier, pour vivre ensemble. Selon l’endroit et le contexte, la langue impériale n’est pas toujours la même et prions pour que l’Esprit nous aide à discerner ces situations. La pluralité et la diversité son essentielles afin que l’Église soit une véritable Église de Pentecôte.

Martin Bellerose est théologien et directeur de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

[1] La journée de prière pour la sauvegarde de la création a été instituée par le pape François le 6 août 2015.
[2] Notre avenir à tous, commission mondiale sur l’environnement et le développement, 1988.

Hammourabi

Justice sociale

Les textes proposés provoquent et nous font réfléchir sur des enjeux sociaux à la lumière des Écritures. La chronique a été alimentée par Claude Lacaille pendant plusieurs années. Depuis 2017, les textes sont signés par une équipe de collaborateurs.