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Un téléphone pour la justice

Mario BardMario Bard | 17 mai 2021

Mardi 20 avril 2021. Le nouveau rapport sur la liberté religieuse dans le monde de l’Aide à l’Église en détresse est lancé. Assis devant mon ordinateur, plus calme mais tout de même bien fatigué, je regarde distraitement les nouvelles. Soudain, le titre d’une nouvelle apparaît sur mon téléphone. Verdict aujourd’hui à 17 h, à Minneapolis.

Je ne remarque pas les autres mots, mais je me doute de ce que c’est. Je commence à taper le plus rapidement possible verdict et Minneapolis sur la même ligne dans mon moteur de recherche : Bingo! C’est aujourd’hui que de nouvelles émeutes pourraient éclater un peu partout dans les grandes villes des États-Unis à la suite du procès d’un policier nommé Derek Chauvin, accusé de trois chefs : meurtre au deuxième degré, meurtre au troisième degré et homicide involontaire ayant causé la mort de l’Afro-Américain George Floyd.

En effet, à quoi peut-on s’attendre? Tant de procès bâclés et de verdicts controversés traversent l’histoire de la justice – ou de l’injustice… – des personnes afro-américaines. Sans parler des interpellations tout à fait arbitraires sur la route, sur la place publique ou bien de ceux qui sont dans les couloirs de la mort après une enquête et un procès bâclés. Avant d’être finalement reconnues innocentes des années plus tard. Tout cela, parce qu’elles sont noires.

Parce ce qu’elles sont différentes, et de ce fait, sont considérées comme suspectes ou plus dangereuses. Ou encore accusées de ne pas savoir boire ou prendre de la drogue en public de manière décente et contrôlée, décemment, comme le fait la majorité… Les raisons perverses et vicieuses de ces injustices raciales ont des racines vieilles comme le monde. De plus, la différence fait peur. Alors, dominer la personne qui en est porteuse est certainement l’un des meilleurs moyens de ne jamais entrer en contact avec elle.

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Je regarde mon téléphone, il est déjà 16 h 55. Vite, je me redresse sur ma chaise et me place bien droit devant l’écran d’ordinateur. Je déniche sur le web une chaîne de télévision gratuite qui diffuse les images en direct du Palais de justice, et j’attends, nerveux. Mais, pourquoi cette nervosité?

Interrogée sur le verdict final par la chaîne d’informations continues étatsunienne CNN, la fille du pasteur Martin Luther King Junior, la pasteure Bernice King, a déclaré : « J’étais anxieuse, j’étais nerveuse parce que depuis 400 ans, on s’est trompé. Et je pense que nous avons abordé ce moment en croyant que nous n’aurions pas raison. Dieu merci, le verdict était juste! ».

En effet, entre 17 h et 17 h 15, le juré rendait son verdict : coupable sans aucune hésitation, et ce, des trois chefs d’accusations. Alors, je pleure à chaudes larmes. Est-ce la fatigue qui sort à la fin d’une longue journée au moment de l’annonce d’une nouvelle incroyable? Ou bien est-ce réellement la nouvelle qui me surprend d’abord pour ensuite me faire pleurer de joie et de gratitude? Un mélange des deux peut-être, je ne saurai jamais.

Tout ce que je sais, c’est que le verdict rendu me semble juste. Pourquoi? En grande partie grâce aux images du téléphone de Darniella Frazier. Grâce à cette jeune fille alors âgée de 17 ans, des images claires et sans équivoques ont pu démontrer que la violence commise contre Floyd n’avait aucun fondement. Et qu’elle a mené à la mort d’homme. La vue de cette domination, genou sur le cou, comme pour étouffer et humilier, reste à jamais dans ma mémoire.

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La justice de Dieu est un silence sourd sans nous. Elle est d’ailleurs abîmée par nos trop nombreuses lâchetés à dénoncer, à s’impliquer, à transformer notre monde – selon nos moyens et nos capacités – en un Règne des Cieux digne de l’Évangile.

Que de fois le courage de dénoncer pour que vienne enfin la justice s’est caché, prisonnier dans l’ombre de nos peurs? Pourtant, une jeune fille de 17 ans – certainement pleine de peurs devant ces policiers – a tourné les images sur son téléphone parce qu’elle ne pouvait croire ce qu’elle voyait. Elle a continué malgré les ordres des officiers qui lui ordonnaient d’arrêter.

Elle filme un homme qui dit qu’il ne peut plus respirer. Un autre homme, censé représenter la paix et l’ordre et la justice, n’écoute pas les suppliques et ne cherchent pas à maintenir ou bien à calmer autrement l’homme en état d’arrestation, Georges Floyd. L’image de la domination est totale et troublante.

Ce jour-là, la construction du Royaume s’est réalisée de manière bien étonnante : grâce aux images du téléphone d’une jeune adolescente.

15 On jugera de nouveau selon la justice ; tous les hommes droits applaudiront.
16 Qui se lèvera pour me défendre des méchants ? Qui m’assistera face aux criminels ?
17 Si le Seigneur ne m’avait secouru, j’allais habiter le silence.
18 Quand je dis : « Mon pied trébuche ! » ton amour, Seigneur, me soutient.
19 Quand d’innombrables soucis m’envahissent, tu me réconfortes et me consoles.
20 Es-tu l’allié d’un pouvoir corrompu qui engendre la misère au mépris des lois ?
21 On s’attaque à la vie de l’innocent, le juste que l’on tue est déclaré coupable.
22 Mais le Seigneur était ma forteresse, et Dieu, le rocher de mon refuge.
23 Il retourne sur eux leur méfait : pour leur malice, qu’il les réduise au silence, qu’il les réduise au silence, le Seigneur notre Dieu.

Extrait du Psaume 93 (AELF)

Mario Bard est responsable de l’information au bureau canadien de l’Aide à l’Église en détresse (AÉD Canada).

Hammourabi

Justice sociale

Les textes proposés provoquent et nous font réfléchir sur des enjeux sociaux à la lumière des Écritures. La chronique a été alimentée par Claude Lacaille pendant plusieurs années. Depuis 2017, les textes sont signés par une équipe de collaborateurs.