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9. Ce que Paul apprend aux missionnaires d’aujourd’hui

Roland BugnonRoland Bugnon, CSSP | 21 février 2022

Cette série s’inspire de l’invitation pressante faite par le pape François à tous les baptisés : devenir des disciples missionnaires de l’Évangile de Jésus Christ. Dans ce texte, l’auteur met en relief deux attitudes missionnaires de saint Paul : l’égalité et la dignité accordées à tous les membres de la communauté. Il souligne également la primauté de la foi en Jésus, Christ et Seigneur.

En ce jour où j’écris ces lignes, l’Église célèbre « la conversion de Paul » (25 janvier). C’est une fête, car ce moment unique, quelques années après la mort de Jésus, aura une importance capitale pour la vie d’une jeune Église cantonnée jusqu’alors à Jérusalem, toujours étroitement liée à la Loi mosaïque et aux rituels du Temple.

La rencontre de Paul avec Jésus sera pour lui, jeune pharisien fraîchement sorti de l’école de Gamaliel, le point de départ d’une aventure extraordinaire qui commence vraiment le jour où Barnabé vient le chercher à Tarse pour lui demander de venir l’aider à Antioche, la ville administrative la plus importante et le grand port commercial de la côte syrienne. Grâce à sa foi nouvelle, ses connaissances des Saintes Écritures et son dynamisme spirituel, il s’attache, avec Barnabé, à enseigner et à former la communauté qui s’est mise en place. Très vite, il n’exige rien d’autre que la foi en Jésus Christ, de la part des gréco-romains que l’évangile de Jésus Christ intéresse au plus haut point.

La première caractéristique des futures églises pauliniennes est donnée là : elles sont ouvertes à tous. Juifs et Grecs y trouvent leur place, hommes et femmes, hommes libres et esclaves. Paul a fait sauter les barrières qui séparent généralement les humains, les uns vis-à-vis les autres, en raison de leurs cultures, de pratiques religieuses ou d’organisations sociales différentes. S’asseoir à la même table et manger ensemble la nourriture qui a été préparée, sans avoir peur de consommer quelque chose d’impur… c’est désormais possible. À Antioche, la jeune communauté chrétienne vit dans la liberté de l’Esprit. Ce ne sont plus les formes rituelles ou la pratique stricte de la Loi qui sont essentielles pour le salut de l’être humain, mais la foi en Jésus, Christ et Seigneur.

Cette conviction prendra de plus en plus d’importance au cours des futurs voyages missionnaires de Paul et sera largement développée dans les lettres qu’il écrira, aux Galates et surtout aux Romains. Par sa pratique et dans ses paroles, Paul libère une population vivant sous le régime de la peur de la divinité et ouvre l’avenir en suscitant dans les cœurs une espérance très forte et un amour sans faille. L’autre, le différent considéré comme un ennemi, l’esclave aux yeux de son maître, deviennent tous des frères en Jésus-Christ. C’est ce que l’on découvre dans un billet que Paul envoie à Philémon en même temps qu’il demande à Onésime, devenu chrétien lui aussi, de retourner chez son maître. Voici le contenu principal de ce billet :

J’ai quelque chose à te demander pour Onésime, mon enfant à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ… Je te le renvoie, lui qui est comme mon cœur.  Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi…Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses ce qui est bien, non par contrainte mais volontiers.S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : il l’est vraiment pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur. Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi, accueille-le comme si c’était moi.  (Phm 11-17).

À l’époque où Paul écrit ces lignes, l’esclavage fait partie de la structure sociale et personne n’imagine qu’il puisse en aller autrement. En demandant à Philémon de vivre en conformité avec sa foi et de considérer son esclave comme un frère, il n’introduit pas dans la société un principe révolutionnaire, mais un germe qui va progressivement influencer le monde occidental. Lorsque, vers le milieu du XIXe siècle, le père Jacques-Désiré Laval, l’un des premiers missionnaires de la nouvelle congrégation du Saint-Esprit, part à l’île Maurice pour s’occuper des esclaves noirs, il rencontre les pires difficultés de la part des autorités locales et des colons blancs, parce que son engagement redonne leur dignité à des hommes et des femmes estimés juste bons pour un travail d’esclaves. L’évangile porté aux nations a joué son rôle de sel ou de levain dans la pâte humaine. Aujourd’hui encore, le tombeau du père Laval est vénéré par l’ensemble de la population de l’île Maurice. Chrétiens, musulmans et hindous s’y retrouvent pour y prier et vivre leur foi.

Considérer l’autre, quel qu’il soit, comme un frère… c’est parfois très simple et cela me fait penser à une petite histoire que j’ai moi-même vécue, durant les dernières années de mon engagement missionnaire à Mbaïki, le chef-lieu d’une préfecture de la République centrafricaine. À l’époque, j’étais chargé de la mise en place d’une nouvelle forme de catéchèse dans le secteur. J’étais sur le chemin du retour et je m’arrête dans un village où j’avais eu l’occasion de passer auparavant de nombreuses fois. Je retrouve un groupe d’hommes et de femmes. On se salue, on rit et on s’assoit pour échanger des nouvelles derrière une case sur un vieux tronc d’arbre et quelques chaises brinquebalantes. Je bois un verre de vin de palme. À la fin un homme se lève et me prend à partie. Pourquoi nous as-tu envoyé celui-là? Il ne fait que passer sans s’arrêter. Toi tu n’as pas peur de nos saletés. Il parlait d’un jeune prêtre nouveau venu dans le secteur à qui j’avais confié ces villages de brousse. Mais il passait beaucoup de temps avec le monde des fonctionnaires ne sachant visiblement pas trop comment faire avec ces petites gens. Cette parole m’est allée droit au cœur. Face à eux, j’étais riche avec ma voiture, mes connaissances et tout ce que je possédais, mais le fait de partager un peu de temps et de joie au milieu d’eux, leur avait en quelque sorte redonné leur dignité. Et pour eux, cela suffisait, je les avais considérés comme des frères et des sœurs. Être missionnaire de la Bonne Nouvelle peut prendre, certaines fois, des formes aussi simples que çà…

Au fait, quel est ton avis? L’invitation de Paul à Philémon ne garde-t-elle pas toute sa force d’interpellation aujourd’hui encore?

Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est  investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique. 

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Les événements de la vie nous confrontent et suscitent des questions. Si la Bible n’a pas la réponse à toutes nos questions, telle une lampe, elle éclaire nos existences et nous offre un certain nombre de repères.