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13. Être missionnaire aujourd’hui

Roland BugnonRoland Bugnon, CSSP | 20 juin 2022

Cette série s’inspire de l’invitation pressante faite par le pape François à tous les baptisés : devenir des disciples missionnaires de l’Évangile de Jésus Christ. Dans ce dernier article de la série, l’auteur tire des conclusions en s’inspirant des grandes figures qui christianisme qui ont marqué son histoire.

Notre réflexion nous a permis de méditer longuement sur les activités missionnaires de l’Église des premiers siècles. Par son engagement infatigable, sa parole puissante et sa fidélité indéfectible à Jésus ressuscité, Paul en est certainement l’une des figures les plus marquantes. À l’exemple de Jésus qu’il annonce partout où il se trouve, il ira jusqu’au don complet de sa vie. « Pour moi, vivre, c’est le Christ, et mourir est un avantage », écrit-il aux Philippiens. Que se passe-t-il ensuite?

Il est difficile d’évoquer près de deux mille ans d’histoire humaine et religieuse en quelques lignes. À partir de 313, avec l’édit de Milan, Constantin accorde la liberté religieuse à tous les habitants de l’Empire. Plus tard, désireux d’unifier des populations de cultures et d’origines très différentes, il déclare la religion chrétienne comme religion de l’Empire. Désormais, l’Église occupe une position de pouvoir et bénéficie de l’appui du « bras séculier ». La conversion au christianisme n’est plus nécessairement un choix personnel et libre, mais devient une obligation sociale.

À partir de ce moment-là, de grands changements s’amorcent. Les communautés sortent des maisons où elles se rassemblaient pour s’organiser en diocèses et en paroisses. On recycle souvent les anciens temples païens pour en faire des lieux de culte chrétiens et l’on cherche à donner une signification chrétienne aux anciennes célébrations populaires. C’est ainsi que la naissance de Jésus est fixée au 25 décembre, le jour de l’ancienne fête du « sol invictus ».

Une longue histoire commence qui mêle le bon et le moins bon, l’ivraie et le bon grain. L’immense Empire romain se fragmente ; l’Orient (Byzance) et l’Occident (Rome) ne se comprennent plus et se déchirent et les peuples germaniques envahissent progressivement un empire d’Occident qui s’effondre. Au sein de l’Église, on discute beaucoup sur le sens à donner aux grandes affirmations de la foi chrétienne. C’est l’époque des grands conciles (de Nicée à Chalcédoine) convoqués par l’empereur de Byzance. Mais pendant toute cette époque, des hommes continuent à annoncer l’Évangile de Dieu. Après avoir été soldat de la légion romaine, Martin de Tours devient évêque de cette même ville et parcourt la campagne environnante pour y prêcher l’évangile. Cyrille et Méthode s’en vont évangéliser les Slaves auxquels ils donnent une écriture particulière et la Bible entièrement traduite en slavon. Des couvents sont fondés un peu partout en Europe, autour desquels se rassemble la population environnante. Durant toute cette époque jusqu’à la Révolution française, la mission de l’Église s’exerce souvent de manière chaotique. Les populations conquises sont contraintes de prendre la religion du roi. Charlemagne convertit les Saxons par la force du glaive et les peuples d’Amérique latine subissent le même sort.

Comme ce fut le cas à l’époque de Constantin, la religion est utilisée par le roi ou l’empereur, pour servir ses projets politiques. L’idéal de l’Évangile peine à se faire entendre. Pour être comprises, les ambiguïtés de cette longue histoire doivent être remises dans le contexte de leur époque. Elles ne peuvent nous faire oublier des hommes et des femmes qui furent les véritables artisans de l’évangélisation de l’Europe. Je pense à l’idéal monastique qui se répand partout en Europe sous l’impulsion de saint Benoît, puis de Bernard de Clairvaux ; d’autres comme François d’Assisse et Dominique cherchent à vivre concrètement l’idéal évangélique. Des voix féminines s’élèveront pour rappeler au pape ses devoirs et réformer des ordres religieux en décadence. Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Hildegarde von Bingen marqueront l’histoire de leur temps.

Plus proche de nous, pensons au rayonnement de Vincent de Paul dont le souci des pauvres est sans égal, à Ignace de Loyola qui envoie des membres de son ordre vers le Japon, la Chine et les Indes. Quant au dix-neuvième siècle, il connaîtra une floraison d’ordres religieux masculins et féminins qui voudront vivre l’idéal missionnaire et se répandront partout dans le monde. Ils ne partaient pas pour conquérir le monde. Ils se mettaient au service des populations locales en fondant des écoles et bâtissant des dispensaires et en donnant le témoignage de la foi qui les animait. À l’exemple de Paul, ils donnaient souvent leur vie pour cet idéal. Les cimetières des premières missions en Afrique le rappellent : la plupart d’entre eux mourraient entre 25 et 35 ans. Malgré toutes les difficultés, des églises locales sont nées.

Lorsque je suis arrivé en 1970, comme missionnaire spiritain en Centrafrique, le clergé était encore essentiellement composé d’expatriés venus d’Europe. Aujourd’hui, dans le même pays, il ne reste que deux spiritains européens et le diocèse de Bangui est dirigé par le cardinal Dieudonné Nzapalainga, qui s’est personnellement investi pour éviter une guerre de religion entre musulmans et chrétiens. L’Évangile a fait son œuvre.

Aujourd’hui, le monde a changé, ainsi que le regard de l’Église sur les autres religions et les non-croyants. En 1965, durant le concile Vatican II, elle a promulgué une déclaration sur la liberté religieuse, où elle reconnaît à chacun le droit de vivre selon sa conscience et de rester fidèle aux croyances dans lesquelles il est né. Les chemins de Dieu peuvent être multiples et variés. Une question peut alors se poser : l’action missionnaire a-t-elle encore un sens ? Est-il bien nécessaire de parler de Jésus ressuscité à des peuples non-chrétiens ? Affirmons-le tout de go : l’Église n’est pas un parti politique qui cherche par tous les moyens à accroître le nombre de ses militants.

Je pense avoir suffisamment insisté sur le fait que l’action missionnaire est d’abord un rayonnement intérieur qui touche celle ou celui qui en est le témoin. Nous vivons dans un monde marqué par la violence à tous les niveaux, le pessimisme individuel, les tragédies humanitaires et des situations qui laissent des populations sans ressources et sans espoir. Continuer à vivre et à porter le message de Jésus de Nazareth aujourd’hui n’est pourtant pas indifférent. Par ses engagements, les actions qu’elle entreprend en faveur des plus pauvres, la parole d’espérance qu’elle continue à offrir aux personnes qui cherchent leur chemin, l’Église reste un signe de justice, d’espérance et de paix adressé à l’humanité tout entière. Je suis bien conscient qu’au niveau de ses institutions, elle a connu des ratés et commis des fautes tragiques. Beaucoup ont de grands reproches à lui faire et la mettent en accusation. Malgré ses faiblesses, elle continue sa mission à travers des hommes et des femmes bien vivants qui reprennent aujourd’hui le message de Jésus Christ et le transmettent, là où ils sont, dans des actions et des paroles qui puisent dans l’Évangile, leur source d’inspiration.

Pour ces femmes et ces hommes, être missionnaire est tout simple. Il suffit de vivre en fidélité à la foi qui les anime et à se laisser guider par le souffle de l’Esprit. Serais-je de ceux-là ?

Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est  investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique. 

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La lampe de ma vie

Les événements de la vie nous confrontent et suscitent des questions. Si la Bible n’a pas la réponse à toutes nos questions, telle une lampe, elle éclaire nos existences et nous offre un certain nombre de repères.