Pierre et Jean courant au tombeau. Eugène Burnand, 1898. Huile sur toile, 82 x 134 cm. Musée d’Orsay, Paris (Wikipédia).

6. L’événement qui a tout changé

Roland BugnonRoland Bugnon, CSSP | 20 février 2023

Rappel : Cornelius raconte ce qui leur est arrivé : son intérêt pour le Judaïsme et la découverte de Jésus de Nazareth, le rabbi qui fait beaucoup parler de lui. Désireux d’en savoir plus sur lui, il a invité Pierre, de passage à Joppé, à venir le visiter. Ce dernier a commencé un long récit sur ce qui s’est passé avec Jésus et sa condamnation à une mort ignominieuse en croix.

Pierre s’est tu et reprend son souffle. Son visage s’est éclairé de lumière intérieure ; il regarde intensément le groupe d’hommes et de femmes venus l’écouter et reprend la parole :

… « Et puis, le matin du premier jour qui suit le grand sabbat, tout a basculé à nouveau. Les femmes qui nous accompagnaient sont entrées dans la salle et nous ont brusquement tirés de notre sommeil. Parmi elles, Myriam de Magdala a crié : « On a enlevé le corps de Jésus ! » Je suis resté d’abord incrédule, sans réactions, pensant que la douleur la rendait folle. Elle s’est approchée de moi, a tiré sur mon manteau et m’a redit avec force : « Quelqu’un a enlevé le corps du Seigneur ! » Après quoi elle est repartie en courant tandis que quelques autres nous racontaient que le tombeau était ouvert et que le corps de Jésus avait disparu. Jean est venu vers moi et m’a proposé de venir avec lui pour voir ce qu’il en était. Nous nous sommes levés et avons pris la direction du jardin mortuaire. Rien de particulier ne se passait dans la ville. Les marchands commençaient à ouvrir leurs échoppes et les premiers pèlerins se dirigeaient vers le Temple. En entrant dans le jardin, nous avons bien vu que la lourde pierre avait été roulée sur le côté. Jean s’est mis à courir tandis que je suivais plus péniblement. Lorsque je suis entré dans la chambre mortuaire, je n’ai constaté qu’une chose : le corps de Jésus avait effectivement disparu. Il ne restait que le linceul et le voile qui lui couvrait la tête, bien pliés dans un coin. Ce fut le premier choc. J’étais là sans comprendre, incapable de dire quelque chose de sensé. Jean de son côté avait un visage souriant comme illuminé de l’intérieur. En sortant du tombeau, il m’a simplement dit : « Je n’ai plus aucun doute : Il est vivant ! » Nous avons quitté le jardin pour aller retrouver les autres, en y laissant Myriam qui errait comme une âme en peine. Moi, je ne savais pas trop que penser. Arrivés dans la chambre haute, nous avons vu l’agitation et l’excitation des uns et des autres, des femmes étaient arrivées et affirmaient qu’un ange leur avait annoncé qu’il est vivant. Quand j’ai repris ma place au milieu d’eux, le calme s’est fait. J’ai raconté notre visite au tombeau ; j’ai dit mon incompréhension et la foi de Jean. Ce dernier s’est mis à nous redire des paroles que nous n’avions pas aimé entendre dans la bouche de Jésus. Il nous parlait des souffrances et de sa mort prochaine à Jérusalem, mais annonçait aussi chaque fois sa résurrection. Nous étions en train de discuter de tout cela, partagés entre ceux qui refusaient cette éventualité et ceux qui commençaient à l’envisager comme une possibilité, lorsque Myriam a fait irruption dans la salle. Tous les visages se sont tournés vers elle et le silence s’est fait d’un coup. Elle, que nous avions vue, le visage défait par les larmes durant ces trois jours, se tenait devant nous, rayonnante de joie et de lumière, criant à tous : « Le Seigneur est vivant ! Il est ressuscité d’entre les morts. Je l’ai reconnu lorsqu’il a prononcé mon nom. » Puis tout s’est bousculé. Cette expérience si difficile à comprendre, nous l’avons tous faite de manière chaque fois différente. Et puis, le jour de la Pentecôte juive, nous avons vécu une autre expérience indicible qui a changé nos vies à jamais. Son esprit a été répandu en nos cœurs comme un feu dévorant et un souffle puissant. Nous nous sommes retrouvés avec une force, une foi, une joie et une paix indéfectibles. Depuis lors, nous en sommes certains ! Le crucifié du Golgotha, Dieu l’a fait Christ et Seigneur pour montrer à l’ensemble de l’humanité que l’amour est plus fort que la mort et la violence réunies. Cela signifie que le chemin tracé par Jésus est un chemin de vie ouvert à toute personne qui croit en lui. Je l’ai compris alors : ses paroles sont source de vie éternelle, cette vie que Dieu offre à quiconque met en lui sa foi ou sa confiance, qu’il soit juif ou païen… »

Corneille se tait, le regard posé dans une direction mystérieuse. Flavia et Lucius ont compris que cette rencontre avec Pierre va avoir une grande importance dans la vie de leur frère et beau-frère, et sa famille. Ils voient l’émotion sourdre de son visage. Sa rencontre avec lui a été déterminante dans ce qu’il est devenu. Mais quoi ? En quoi le sort d’un crucifié peut-il jouer un tel rôle dans la vie d’un homme raisonnable comme lui ? Aurélia a pris la main de son mari comme pour le soutenir ou souligner qu’elle est elle-même concernée par ce qui va suivre. Il la regarde et lui sourit, puis se tourne vers ses visiteurs et continue son récit.

Mon problème est de vous faire comprendre au mieux ce qui a suivi. Je crains de ne pas y parvenir tellement il est difficile de rendre compte d’une expérience unique pour chacun. Alors que Pierre finissait de parler, nous avons vécu quelque chose d’extraordinaire. Certains sont tombés à genoux et se sont mis à prier et louer Dieu dans une langue inconnue. Moi-même j’ai vécu une sorte d’illumination intérieure et j’ai fait l’expérience d’une grande paix et joie intérieure. J’avais le sentiment de toucher au but de ma longue quête. J’ai su dans les profondeurs de mon être que Jésus était bien le vivant que Pierre et les autres avaient rencontré et qu’en lui était la vraie source de la vie. Je suis tombé à genoux en disant tout haut « Je crois en toi Seigneur Jésus ! Tu es Celui en qui Dieu est venu parler à l’humanité tout entière. » Aurélia a vécu quelque chose de similaire. Tous nous nous sentions pris dans un souffle intérieur qui ne nous a plus quitté. Pierre a immédiatement compris ce qui s’était passé. Il nous a proposé le baptême en disant à ses compagnons de route, pour justifier son geste : « Qui suis-je pour refuser le baptême à des personnes qui, tout comme nous, ont reçu l’Esprit-Saint ? » Ce fut un moment comme il en existe peu dans une existence humaine. Nous nous sommes tous rassemblés autour de la fontaine de l’atrium et là, il nous a plongés dans l’eau l’un après l’autre en nous baptisant au nom de Jésus, le Christ Seigneur. Depuis ce jour nous faisons partie de ses disciples, désireux de suivre le chemin qu’il a tracé et de vivre en fidélité le message qu’il nous a laissé.

Cornelius se tait. Un lourd silence s’installe. Flavia et Lucius scrutent avec attention son visage, comme s’ils désiraient être certains qu’il était bien le frère et le beau-frère avec qui ils partageaient leur vie à Rome et discutaient de tout et de rien à perte de vue et durant des heures. Un abîme de perplexité s’ouvre devant eux. Ils ne savent ni que penser ni que dire face à cette expérience. La vie les a conduits à prendre une attitude plus sceptique face aux croyances religieuses et à tous ces cultes à mystères qui se sont développés à Rome et dans l’empire. Lucius a envie de rire et d’ironiser sur le sort de ce crucifié qui prend tout à coup tant de place, mais il ne veut froisser personne, réservant à plus tard les questions qui lui sont restées en travers de la gorge. Quant à Flavia, elle reste songeuse, surprise devant l’évolution de pensée de son frère et de sa belle-sœur. Elle revient sur l’image du poisson qui les a tant intrigués depuis leur arrivée. Est-ce la figure qui représente la nouvelle divinité? Voyant leur embarras et saisissant bien les questions qu’ils n’osent encore poser, Aurélia intervient pour détendre l’atmosphère :

Il suffit de vous regarder pour savoir que vous êtes tous les deux très étonnés par ce que vient de dire Cornelius ! Vous vous demandez ce qui a bien pu nous arriver, ou si nous sommes peut-être victimes d’une maladie orientale nouvelle. Remarquez que je peux bien le comprendre, ayant moi-même passé par cet état avant d’adhérer de tout mon être à la parole que Jésus nous a laissée, comme l’un des plus beaux cadeaux qu’il puisse faire à l’humanité. Prenez votre temps et si le récit de Cornelius vous scandalise ou vous interroge, n’hésitez pas à en parler. Personne ici n’a perdu la raison, même s’il est vrai que le message du rabbi de Nazareth, peut apparaître fou à un non initié tellement il remet en cause des manières de penser et de voir le divin et les valeurs humaines qui nous ont été données depuis notre enfance. Il me semble, Lucius que tu brûles d’impatience d’intervenir. Avant de te laisser parler, je veux encore répondre à la question que vous avez posée au sujet de la céramique qui représente un poisson, contre la paroi, ou de la petite poterie que je porte autour du cou. Il ne s’agit pas de l’image de Jésus, mais plutôt du symbole ou résumé de ce qu’est devenue notre foi. En grec le poisson se dit « ichthus » et chaque lettre résume ce que nous croyons. Jésus (Iesous) est pour nous le Christ (Khristos), le messie ou l’Envoyé de Dieu. Il est le Fils de Dieu (Theoû / Huiòs), le visage humain du divin et le Sauveur (Sôtèr). On peut dire cela plus simplement : Jésus est cet homme en qui Dieu s’est manifesté à l’humanité et par lequel il ouvre à chacune et chacun un chemin d’humanité, de salut ou de vie. La découverte et la rencontre de Jésus a transformé nos vies et nous nous sommes engagés à suivre le chemin que ses paroles nous invitent à prendre. Ce ne fut pas le caprice d’un moment mais un vrai choix de vie que nous avons fait depuis bientôt vingt ans.

Aurélia se tait et se serre contre son mari, manifestant ainsi qu’ils sont bien les deux à partager cette décision. Elle scrute les visages de son beau-frère et de sa belle-sœur, cherchant à deviner ce que cache leur silence embarrassé. Lucius s’agite sur son siège, toussote comme pour mieux se préparer à parler et intervient brusquement :

Je dois vous avouer à tous deux que je suis plutôt surpris, d’autant plus qu’on commence à parler des chrétiens à Rome, et pas dans les meilleurs termes qui soient. Ils recrutent leurs adeptes parmi les esclaves et le petit peuple. Je vous ai connus plus réticents face aux différentes conceptions religieuses. Et aujourd’hui vous nous annoncez que vous êtes devenus les adeptes d’une religion dont le message remet en cause les valeurs de Rome et invite à adorer un crucifié… Vous avouerez qu’il y a de quoi être surpris ! Mais je vous connais tous deux et vous apprécie. Je ne veux pas vous blesser par mes remarques ou mes critiques. Je préfèrerais que l’on termine la soirée en parlant de tout et de rien. Cela nous permettra, à moi et à Flavia, de prendre le temps de la réflexion. Tout ce que nous venons d’entendre est tellement étrange. Qu’en pensez-vous ?

La proposition est adoptée et la soirée se poursuit. Cornelius retrace différents épisodes de sa vie au service du procurateur romain et Lucius et Flavia reviennent sur les dernières frasques des empereurs et les querelles intestines au sein du Sénat de Rome. Flavia donne également des nouvelles des différentes familles, les naissances, les décès et les chemins pris par les uns et les autres. Ils se rappellent les épisodes vécus ensemble, leurs farces et les dernières créations littéraires qui occupent la scène du théâtre. L’atmosphère s’est détendue et le rappel de souvenirs communs les font rire aux éclats. La nuit est avancée lorsque les deux couples se retirent dans leurs chambres. Le vin bu en abondance et la fraîcheur du soir font leur effet. Chacun s’endort très vite, avec en tête, les paroles des uns et des autres qui reviennent en surface et se bousculent dans tous les sens. Habitué à se lever tôt, Lucius est le premier à se réveiller. Sans bruit, il quitte la chambre et va se promener dans le jardin. Le soleil n’est pas encore levé mais les oiseaux font entendre leurs voix et certaines fleurs commencent à ouvrir leurs corolles, tandis que les buissons de bougainvillées reprennent leur éclat. En ce début d’été la nature est belle et luxuriante. Tout en se promenant et réfléchissant, Lucius cueille un peu de lavande dont il aime particulièrement le parfum et s’assied sur le banc de pierre sur lequel il était déjà resté avec Flavia. Il regarde les couleurs de l’horizon et découvre que le lever du soleil n’est plus très loin. Le silence est encore de rigueur. Il aime ce moment propice à la méditation intérieure et la villa de Cornelius est magnifiquement située sur une hauteur qui permet de voir l’horizon du côté du soleil levant. Lucius s’imprègne de cette atmosphère particulière et repense à la discussion de la veille.

Il ne parvient toujours pas à comprendre la démarche et la décision de son beau-frère. Il a vécu tellement de choses avec lui, passé des heures à discuter des derniers philosophes à la mode, grecs et romains. Tous ont laissé un tel héritage de sagesse qu’il ne voit quel intérêt il peut avoir à chercher autre chose du côté de la tradition juive et de ses livres sacrés. Brusquement lui reviennent des souvenirs de ces échanges. Alors que lui-même défendait la position d’un philosophe sceptique qui commençait par douter de tout ce qu’il entendait, Cornelius manifestait de la sympathie pour les stoïciens et leurs idées sur la destinée humaine. S’il peut comprendre que chacun ait des préoccupations qui lui sont personnelles, comment peut-on en arriver à voir la divinité dans un homme dont la vie s’achève sur une croix, comme pour un esclave condamné à la pire et la plus humiliante des morts. Le divin réduit à l’impuissance totale… Mais où va-t-on si l’on pense comme cela ?… L’idée lui paraît absurde… Brusquement il se met à rire, tellement l’échange de la veille lui paraît irréel. Des bruits de pas sur le gravier du chemin le sortent de sa rêverie. Se retournant, il voit Cornelius marcher dans sa direction. Il a revêtu sa tenue de centurion et s’apprête à partir vers le palais du gouverneur. Arrivé près de lui, il l’interpelle :

Déjà levé Lucius ! Tu es bien matinal aujourd’hui. Notre conversation d’hier soir t’aurait-elle empêché de dormir ou bien désires-tu profiter de la fraîcheur matinale ? Il est vrai qu’en cette saison les journées sont particulièrement chaudes. Pour ce qui me concerne, comme tous les matins, je vais me mettre à la disposition du gouverneur au cas où il aurait une mission spéciale à me confier, ce que je ne pense pas. La situation générale est plutôt calme. Je serai probablement assez vite de retour, dans le courant de l’après-midi. Et puis, Aurélia se fera une joie de s’occuper de vous. Elle a préparé le petit déjeuner avec Flavia et je crois qu’elles t’attendent pour le partager avec toi. Bonne journée à vous ! Nous nous retrouvons ce soir.

Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est  investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique. 

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La lampe de ma vie

Les événements de la vie nous confrontent et suscitent des questions. Si la Bible n’a pas la réponse à toutes nos questions, telle une lampe, elle éclaire nos existences et nous offre un certain nombre de repères.