Babel. Le récit biblique
Maurice Ricolleau
Bruxelles, Lumen Vitae (Connaître la Bible 50/51), 2008, 127 p.

Voici une excellente étude sur le fameux épisode de la tour de Babel (Gn 11,1-9). Il est assez habituel de voir dans cet épisode le récit d'une entreprise humaine coupable que Dieu châtie en brouillant le langage. Dans l'histoire de l'interprétation de ce récit, les commentateurs ont souvent mis l'accent sur l'aspect punitif de l'intervention de Dieu. Reprenant l'étude à nouveaux frais, Maurice Ricolleau en arrive à faire l'hypothèse que l'intervention de Dieu brouillant le langage est plutôt une bénédiction pour l'humanité. Il s'agirait en fait d'une intervention salutaire visant à préserver la diversité que Dieu avait inscrite dès le départ dans son oeuvre créatrice.

     En effet, en se basant sur un examen attentif du langage utilisé, mais aussi en tenant du contexte narratif plus large dans lequel il est inséré, le récit apparaît sous un nouvel éclairage. Il s'agirait en fait d'un récit où les humains sont lancés dans une entreprise d'uniformisation. Voilà qu'au début du récit, ils parlent tous la même langue et utilisent les mêmes mots. De plus, ils habitent tous le même lieu, la plaine de Shinear. En outre, il ne semble plus y avoir de place pour l'individualité ou pour la divergence d'opinion. Comme le révèle les verbes utilisés, les individus semblent fusionnés dans un tout où il n'y a plus d'altérité possible : « Allons! bâtissons pour nous une ville et une tour (...) Faisons pour nous un nom » (v. 4) Or, l’auteur remarque que, dès l'ouverture du livre de la Genèse (Gn 1), on présente au lecteur un Dieu qui crée et bénit la diversité. Par ailleurs, après le déluge, au sortir de l'arche, les fils de Noé se dispersent sur la surface de la terre. C'est le mouvement d'expansion et de diversification de la vie. Mais « Babel naît de deux démarches qui inversent les principes moteurs du monde : non pas la diversité, mais l'uniformisation; non pas l'expansion dynamique, mais la concentration apeurée » (p. 63).  Babel est en quelque sorte « l'anti-création » (p. 64). Dans ce contexte, l'intervention de Dieu qui brouille le langage, avec la dispersion des humains qui en résulte, apparaît alors comme un acte de sauvetage visant à préserver l'humanité d'une tendance qui ne pouvait que lui être néfaste à long terme. Il s'agit de ré-armer « dans l'humanité agglutinée les ressorts vitaux originels » (p. 72) en redonnant à la diversité son droit de cité.

     Il nous semble qu'ainsi interprété, le vieux récit de Babel devient éminemment interpellant et prophétique pour le monde d'aujourd'hui. Dans un contexte de mondialisation où la diversité culturelle est menacée, dans un monde où certains tentent d'imposer le régime de la pensée unique, il est plus que bienvenu de se souvenir que Dieu a voulu la diversité et le multiple.

     Le livre de Maurice Ricolleau se subdivise en deux parties. La première consiste en une étude au ras du texte. Il s'intéresse alors à la traduction, à l'histoire de la rédaction, à l'exégèse détaillée verset par verset. La seconde partie consiste en une démarche pour déterminer le sens du récit. Il s'agit d'abord de chercher le sens du récit comme élément autonome, mais ensuite en cherchant à le comprendre dans un contexte narratif plus large. Dans un dernier chapitre, l’auteur met le récit de Babel en rapport avec des textes bibliques (A.T. et N.T.) qui ont une certaine parenté de sens avec lui. Le livre se termine par une annexe où l'on examine brièvement les influences babyloniennes et sumériennes sur le récit biblique de Gn 11.

     Un livre bien documenté, inspirant et de lecture aisée qui peut rendre de bons services à toute personne désireuse de renouveler sa compréhension de ce célèbre récit.

Michel Proulx
Chanoine Régulier de Prémontré
Grand Séminaire de Montréal