couvertureJésus, l’homme qui préférait les femmes
Christine Pedotti
Paris, Albin Michel, 2018, 192 p.
EAN13 : 9782226438478

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Le titre est accrocheur, un brin provocateur. Mais l’ouvrage de la journaliste, féministe et écrivaine catholique Christine Pedotti est une étude rigoureuse et attentive des relations que Jésus noue avec les femmes et le monde féminin. À partir de textes de l’Évangile dont nous croyons déjà tout connaître, l’auteure dessine, par touches progressives, un Jésus non conformiste par son célibat même. Il continue à rompre avec les traditions de son milieu en regardant les femmes, en les admirant et en parlant avec elles, en les touchant et en se laissant lui-même toucher par elles, en les invitant à se libérer. Enfin, il partage avec elles son message, comme au matin de Pâques, en leur confiant l’annonce de la résurrection, avant même ses apôtres.

Ces récits de rencontres de Jésus avec différentes femmes mettent en relief des dimensions qui sont en quelque sorte gommées par les interprétations habituelles des textes de l’Évangile. Par exemple, l’examen attentif de ce qu’on pourrait appeler le discours « inclusif » de Jésus nous montre qu’il fait constamment référence à l’univers féminin autant que masculin. Ou encore l’appellation de « fille d’Abraham », utilisée pour la première fois dans la Bible qui n’en avait jusque-là que pour « les fils d’Abraham », que Jésus va donner à la femme courbée, suggérant selon l’auteure que les femmes ne sont pas la propriété des hommes. Ou encore l’admiration que Jésus porte à la foi d’un nombre important de femmes, et notamment à celles tout en bas de l’échelle sociale, comme les veuves et les étrangères.

C’est à partir d’observations fines que prend forme un personnage étonnant, compte tenu de l’époque et du milieu, un homme qui traite les femmes comme des personnes à part entière, sans les enfermer dans leur rôle traditionnel d’épouse ou de mère. Cette attitude, qui n’a guère été retenue par la tradition ecclésiale, a beaucoup de sens aujourd’hui : Jésus n’était pas prisonnier des stéréotypes de genre !

Le dernier chapitre s’intitule « Les femmes préférées et oubliées ». La description du processus d’effacement des personnages féminins de l’Évangile, notamment de Marie de Magdala, par la tradition catholique est convaincante et troublante. Mais pour ce qui est des « préférées » de Jésus, la démonstration apparaît plus faible, si ce n’est son attention envers tous les laissés-pour-compte de la société.

Étrangement, l’auteure écarte une femme pourtant centrale dans la vie de Jésus et dans la tradition catholique : Marie, sa mère. Le chapitre qui lui est consacré n’aborde essentiellement que la manière dont la tradition a parlé d’elle : l’image stéréotypée de mère, de vierge et de femme obéissante. L’auteure n’interroge pas la relation de Jésus à Marie dans ce qu’elle pourrait nous révéler des relations de Jésus avec les femmes. C’est une lacune.

Ce qui est certain, c’est que ce portrait de Jésus révèle une capacité de bienveillance et de tendresse bouleversante à travers des amitiés fortes et égalitaires avec les femmes. On sent l’auteure sensible à ce Jésus, beaucoup plus charnel et capable d’intimité que l’image qui nous en est habituellement transmise par la tradition, mettant l’accent sur sa force de caractère et son autorité. C’est là une des grandes qualités de cet ouvrage.

Enfin, ce nouveau regard sur Jésus montre bien que le rôle de soumission qui est encore largement assigné aux femmes dans le christianisme, comme dans la plupart des autres traditions religieuses, ne découle pas de Jésus mais des préjugés patriarcaux que l’Église a préféré adopter plutôt que de proclamer la libération des femmes comme Jésus l’avait fait. L’eût-elle suivi, un autre monde aurait sans doute été possible…

Claire Doran

Source : Relations 805 (novembre-décembre 2019) p. 47s.

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