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chronique du 24 octobre 2008
 

Des fouilles à Kinneret

J’ai eu l’occasion de participer à des fouilles archéologiques en Galilée, sur le site de Kinneret, une ville située sur la rive orientale du lac de Tibériade. Une expérience très formatrice et inoubliable!

Chrystian Boyer

(photo : A. Zingg)

     Kinneret a probablement été une cité cananéenne centrale dans la région au niveau économique et politique, puisqu’elle est mentionnée dans un vieux  manuscrit datant du XVIe siècle avant notre ère (le papyrus de Saint-Pétersbourg) aux côtés de Megiddo, Haçor et d’autres villes importantes. On retrouve même son nom gravé sur un des murs du temple de Karnak, en Égypte, parmi les villes de Thoutmosis III (XVe siècle). Kinneret est mentionnée dans la Bible, dans le livre de Josué (19,35) comme faisant partie des villes appartenant à la tribu de Nephtali.

tell Kinneret

Le tell de Kinneret (au centre), près du lac de Tibériade,
visible du mont des Béatitudes, au Nord.
(photo : C. Boyer)

     C’est au début de l’automne qu’a lieu la saison de fouille à Kinneret, et elle dure quatre semaines. Nous sommes une trentaine de personnes à y participer, sans compter les directeurs de la fouille. Comme c’est un projet co-dirigé par trois universités de Finlande, d’Allemagne et de Suisse, et que l’université de Helsinki s’implique beaucoup, il y a plusieurs Finlandais, mais il y a aussi des Allemands, des Autrichiens, des Suisses, des Roumains, un Anglais et un Américain.

le chantier

Sur le site.
(photo : C. Boyer)

     Nous logeons tous dans une auberge située tout près du site archéologique. Le matin on se lève à 4h30, et avant de partir on prend seulement quelques minutes pour remplir notre gourde et pour prendre notre « sugar breakfast » (café & biscuits) sur le perron de l'auberge. On est sur le site tous prêts à travailler dès que la lumière se pointe.

le chantier

On travaille sous des toiles, car il fait rapidement très chaud.
(photo : C. Boyer)

     Le site est divisé en plusieurs sections carrées. Chaque section est fouillée par une petite équipe formée de quatre ou cinq personnes. Le tout consiste à dégager la terre et la poussière en notant tout qui s’y trouve, centimètre par centimètre, et en identifiant chaque strate.

tell Kinneret

Les parois des sections sont solidifiées avec des poches de sable.
(photo : C. Boyer)

     La terre et la roche sont transportées dans un dépotoir près du site, tandis que tout objet trouvé est mis de côté. On peut ouvrir une nouvelle strate à l’aide d’une pioche ou d’une bêche, mais on doit rapidement utiliser des outils permettant de travailler avec plus de précision : grattoirs, spatules, petits balais, etc.

le tamis

Le tamis permet de trouver de petits objets invisibles à l’œil nu.
(photo : C. Boyer)

     La fouille a permis de dégager progressivement toutes sortes d’artéfacts issus de différentes époques. Des éléments architecturaux, comme des murs d’habitations et des murailles, dont une section du mur d’enceinte de la ville de l’époque du Fer I (Xe siècle), mais aussi plusieurs menus objets : des bijoux, des pièces de monnaie, des pointes de flèches, un sceau et des empreintes de sceaux. On a aussi dégagé quelques poteries encore intactes, dont une jolie cruche de style phénicien, une presse à olives, et quelques têtes de figurines.

une cruche phénicienne

La céramique que l’on trouve habituellement est rarement en aussi bon état.
(photo : C. Boyer)

     Plus on creuse, plus on remonte loin dans le temps. Ainsi, dans les premiers pieds sous la terre nous trouvons des artéfacts de la période ottomane; lorsqu’on continue de creuser, on est rendu au Moyen Âge; encore plus profond, c’est l’époque des Byzantins, puis celle des Romains, celles des Grecs, des Perses, l’âge du Fer, du Bronze, etc. On traverse les époques au fur et à mesure que l’on creuse.

trois strates

Sur cette paroi on distingue bien trois strates
appartenant à trois époques différentes.
(photo : C. Boyer)

     Ce qui permet de dater les strates, ce sont les fragments de céramique qu’on y trouve, car la fabrication et le style de la poterie diffèrent d’une époque à l’autre. C’est la méthode de datation la plus simple, la moins coûteuse et la plus rapide. D’autant plus que des tessons de poterie, on en trouve des centaines chaque jour!

interprétation

Les archéologues analysent des tessons de céramique.
(photo : C. Boyer)

     Une fois les fragments de poterie analysés, s’ils ne sont pas peints ni inscrits, ils n’ont plus grande valeur. Et il faut être bien imaginatif pour leur trouver une nouvelle utilité; à l’École biblique de Jérusalem, le sol d’un terrain de tennis est formé de tessons broyés! À Kinneret, ils finissent sur un énorme tas. Je suis curieux de savoir ce qu’en diront les archéologues qui les trouveront dans quelques centaines d’années!

dépotoir à poteries

La plupart des tessons de céramique finissent dans cet incroyable dépotoir à poteries.
(photo : C. Boyer)

     Heureusement, on ne trouve pas que des fragments de poterie. J'ai moi-même eu la chance de trouver plusieurs artéfacts très intéressants, comme de la vitre bleue de l'époque romaine et des objets encore plus anciens : un collier de coquillages, un anneau de métal, deux anses complètes avec bordures (donc facilement datables), une tête de rouet et une petite scie en silex. On a aussi dégagé des squelettes d’animaux; celui d’un chien, mais aussi des restes de repas. Et bien sûr, lorsqu’une trouvaille intéressante est effectuée dans la section d’une équipe, les autres équipes en sont toujours un peu jalouses, d’autant plus qu’elles sont volontiers l’objet de plaisanteries.

tell Kinneret

On se moque amicalement des équipes qui ne trouvent rien.
Ici, « la piscine », section surnommée ainsi du fait qu’on n’y ait rien découvert
avant trois grosses semaines de fouille.
(photo : C. Boyer)

     Mais l’archéologie n’est pas une chasse aux trésors. Lorsqu’on trouve un objet particulier ou qu’on observe un changement dans la composition du sol, on en informe l’archéologue responsable du secteur concerné qui consigne tout par écrit. Toutes ces données serviront éventuellement à reconstituer l’histoire du site et le mode de vie des individus qui vivaient à cet endroit aux différentes époques, leurs relations avec les groupes environnants, etc.

photographies

Lorsqu’un artéfact important est découvert, le niveau exact du lieu de la découverte est calculé
et des photographies sont prises lorsque cela peut être utile.
(photo : C. Boyer)

     À un moment donné, les directeurs ont constitué une petite équipe spéciale afin de travailler sur une section qui allait éventuellement être ouverte au public : la porte de la ville du VIIIe siècle, prise en 732 par le roi assyrien Téglat-Phalasar. On m'a donné la charge de superviser cette équipe et de décider quelles pierres devaient être enlevées ou laissées en place selon le plan dessiné par l’architecte. Au cours des fouilles, on a souvent l'occasion de travailler avec des spécialistes de divers domaines.

architecte

L'architecte fait le plan de toutes les strates de toutes les sections.
(photo : C. Boyer)

dessinatrice

La dessinatrice dessine les parois des différentes sections.
(photo : C. Boyer)

paléobotanistes

Les paléobotanistes analysent les prélèvements de sol afin de découvrir et identifier des restes de plantes ou de graines anciennes.
(photo : C. Boyer)

restauratrice

La restauratrice reconstitue cruches, jarres et vases anciens à partir des fragments trouvés.
(photo : C. Boyer)

     D’autres spécialistes interviennent aussi : le photographe, le cartographe, le paléozoologue, le céramiste, etc. Des archéologues qui travaillent sur d’autres sites du pays viennent aussi parfois s’informer de la progression des fouilles. Nous avons d’ailleurs reçu la visite de Volkmar Fritz, le grand archéologue allemand responsable des premières fouilles systématiques à Kinneret dans les années ‘80.

Volkmar Fritz

L’archéologue allemand Volkmar Fritz.
Il porte un t-shirt que lui ont offert ses étudiants, avec la mention humoristique inspirée des films de James Bond : «My name is Fritz. Volkmar Fritz. With a licence to dig ».
(photo : C. Boyer)

     À la fin de chaque semaine, l’archéologue responsable de chaque secteur présente au reste du groupe un bilan des fouilles, et nous fait part de ses analyses préliminaires. «Tel mur date de tel époque… Ici il pourrait s’agir d’une pièce d’entreposage…», etc. :

analyses préliminaires

(photo : C. Boyer)

     À midi et demi, le travail sur le terrain est terminé. On ramasse nos outils, on défait les toitures et on retourne à l’auberge. Le terrain de cette dernière donne directement sur le lac de Tibériade, alors la première chose qu’on fait est de sauter à l’eau pour se dépoussiérer et pour se rafraîchir :

la baignade

(photo : C. Boyer)

     Je partage ma chambre d’auberge avec trois co-chambreurs : Ukri, un Finlandais enseignant la philosophie avec qui j’ai d’excellentes discussions même lorsqu’il a trop bu de son alcool à 95%; Edward, un Anglais très sympathique qui ne parle que de l’Angleterre et dont les pieds sentent tellement mauvais que moi et Ukri avons parfois de la difficulté à nous endormir; et James, l’Américain, qui lui n’a jamais de difficulté à s’endormir, même durant les fouilles :

la sieste

(photo : C. Boyer)

     L’après-midi, on ne fouille pas, on nettoie plutôt les tessons de poterie trouvés la veille et qui ont trempé toute la nuit. Le reste de l’après-midi, on peut aller assister aux discussions des archéologues sur le terrain ou dans le bureau où sont entreposés temporairement les artéfacts. Et bien sûr : on fait du lavage. Nos vêtements sont toujours très sales et poussiéreux!

le nettoyage

Le nettoyage des fragments de céramiques, sur le terrain de l’auberge.
(photo : C. Boyer)

     Ensuite, le reste de la journée est libre. Le soir, on discute parfois dans la cour intérieure ou sur la plage jusqu’au petites heures du matin, mais lorsqu’on a transporté de la terre et des roches tout l’avant-midi et qu’on se lève à 4h30 le lendemain, on n’a pas le goût de veiller tard chaque soir! Le samedi après-midi est particulier, car des conférences sont présentées par les archéologues et on peut participer aux ateliers organisés par les différents spécialistes. Le lendemain on ne travaille pas, alors le samedi soir on peut veiller un peu ou même aller faire un tour à Tibériade, la ville la plus proche.

entre amis à Tibériade

Un samedi soir à Tibériade.
(photo : C. Boyer)

     Le dimanche, on se repose, et ceux qui le veulent peuvent visiter la région. J’ai fait quelques balades autours du lac de Tibériade en compagnie d’amis, mais je suis aussi allé jusqu’à Saint-Jean-d’Acre (Akko), sur la Méditerranée, en passant par Megiddo.

une terrasse à Akko

Une terrasse, à Akko. (photo : C. Boyer)

     Le lundi matin, c’est reparti pour une autre semaine de fouilles. Le site peut toujours révéler des surprises, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Au cours de la quatrième semaine de fouilles, nous avons fait la découverte d’ossements humains. Il s’agit vraisemblablement du squelette d’un adulte, et il est en position fœtale.

restes humains

En Israël, la fouille archéologique de sites comportant des restes humains
est toujours une situation délicate.
(photo : C. Boyer)

     Un deuxième squelette a été découvert, beaucoup plus petit que l’autre, et situé au centre de ce dernier; vraisemblablement un bébé dans les bras de sa mère. Les directeurs de la fouille ont cependant estimé qu'il n'était pas nécessaire d'excaver complètement la tombe, mais de la faire simplement analyser par un anthropologue, puis de la recouvrir immédiatement.

sépulture

L’individu adulte était en position fœtale.
(photo : C. Boyer)

     Au terme de la saison de fouilles, certains des artéfacts les plus intéressants ont été exposés et présentés dans le bureau des archéologues :

artefacts

(photo : C. Boyer)

     La veille du départ on a organisé une soirée d’adieux sur la plage avec un gros feu de camp. Quelqu’un avait apporté sa guitare, alors trois copains et moi avons composé une petite chanson humoristique sur l’air de « Imagine » des Beatles et qui débutait ainsi : « Imagine sleeping all morning, at least ‘till half past five… and for breakfast ham and beacon… You may say I’m a dreamer, but tomorrow all that’s gonna be true…   ». Ça a été un succès!

chanson d'adieu

Chanson d’adieu lors de la dernière soirée de la saison de fouilles.
(photo : C. Boyer)

Chrystian Boyer

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