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chronique du 23 octobre 2009
 

L'Égypte de l'Exode

L’Égypte ne garde la trace ni de la présence d’Hébreux sur son sol, ni d’un exode d’esclaves, pas plus que le souvenir d’un séjour israélite de quarante ans dans le désert du Sinaï. Malgré tout, il pourrait bien s’être passé quelque chose.

Ramsès II

Le pharaon, ici Ramsès II, empoignant les ennemis par les cheveux d'une main
et tenant la massue de l'autre. Il s'agit d'un thème récurrent en Égypte.
(photo : C. Boyer)

     Ce qui au niveau historique pose problème dans le récit biblique de l’Exode n’est pas tant la présence des miracles et du surnaturel, comme les dix Plaies d’Égypte ou l’ouverture des eaux ; ces épisodes trouveront toujours une nouvelle explication mythiste ou rationaliste qui satisfera les sceptiques. Le récit biblique de l’Exode comporte plusieurs invraisemblances, anachronismes, incohérences et, en ce qui concerne les événements qu’il relate, beaucoup d’incertitudes. Il contient aussi quelques éléments qui lui donnent une saveur historique : la mention de la ville de Ramsès, par exemple (1,11), qui est tout à fait vraisemblable, Ramsès II ayant effectivement aménagé une ville dans le Delta du Nil pour y déplacer la capitale égyptienne ; plusieurs précisions peu élogieuses concernant Moïse, comme le meurtre d’un Égyptien qu’un congénère lui reproche (Ex 2,12-14) ; le nom même de Moïse, qui ne signifie rien en hébreu mais qui fait sens en langue égyptienne ; la curieuse mention en hébreu des « deux pierres » (Ex 1,16), qui fait référence à la façon dont les femmes accouchaient en Égypte ancienne ; même les tours que l’on fait faire aux serpents (Ex 7,10-11) cadrent bien dans le contexte égyptien...

     Bien sûr, tout cela est loin d’être déterminant. Mais si on rappelle l’importance que la sortie d’Égypte aura dans la définition de l’identité du peuple de la Bible et de sa relation avec son dieu, on conçoit que la tradition ait pu avoir tendance à majorer l’ampleur du récit avec le temps, mais on a du mal à imaginer que l’Exode ne repose que sur une légende mal ficelée. Malgré la complexité du problème et les sérieux doutes quant à l’historicité de plusieurs aspects du récit, on ne peut rejeter la possibilité qu’il se soit effectivement passé quelque chose.

charmeur de serpents

Un charmeur de serpents à Kom Ombo, en Haute Égypte.
(photo : C. Boyer)

     À quelle époque doit-on chercher l’exode des Hébreux? Il existe quelques parallèles intéressants entre les récits bibliques de Joseph et de l’Exode et l’époque des Hyksos en Égypte (XVIIe-XVIe siècle avant notre ère). Les Hyksos sont ces « princes étrangers », d’origine sémitique comme les Hébreux, qui se sont installés dans le nord de l’Égypte et qui ont fini par prendre le contrôle de la région. Ils ont même réussi pendant un certain temps à contrôler presque toute l’Égypte, avant d’être chassés du pays et repoussés jusqu’en Canaan. Mais l’hypothèse que les Hyksos et les Hébreux d’Égypte sont en réalité un même peuple pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Les analogies entre les Hyksos et les données bibliques trouvent d’ailleurs rapidement leurs limites et les points de désaccords sont bien plus nombreux. Cependant il n’est pas impossible que le souvenir de ces Sémites ayant régné sur la grande Égypte avant d’être expulsés ait pu influencer la façon dont les Hébreux raconteront leur propre expérience en Égypte.

     Selon le premier livre des Rois, l’exode des Hébreux a eu lieu « quatre cent quatre-vingt ans » avant le début de la construction du temple de Salomon (1 R 6,1), donc au milieu du XVe siècle avant notre ère. La date fournie par le livre des Rois a de fortes chances d’être symbolique (480 ans = 12 générations de 40 ans), d’autant plus que le livre de l’Exode précise que les Hébreux avaient travaillé sur les chantiers de construction de la ville de Ramsès (Ex 1,11). Or le premier roi d’Égypte à porter ce nom n’apparaît qu’à la fin du XIVe siècle. Et si la ville en question est bien celle érigée par Ramsès II, cela nous amène au XIIIe siècle, Ramsès II ayant régné de 1279 à 1213.

     Le musée du Caire possède une grande stèle que Merenptah, fils et successeur de Ramsès II, fit graver après une campagne victorieuse. On y trouve la seule mention d’« Israël » de toute la littérature égyptienne. Parmi les conquêtes du pharaon, on peut lire : « Israël est désolé et sa semence n’est plus ». Donc à l’époque où cette stèle fut inscrite, un peuple nommé Israël était déjà installé en Canaan. Or on connait précisément cette date, il s’agit de la cinquième année du règne de Merenptah, soit l’an 1207 avant notre ère. Selon ce raisonnement l’époque la plus probable de l’Exode serait alors celle du règne de Ramsès II. Rappelons cependant que d’autres hypothèses ont été proposées, toutes aussi vraisemblables.

Statue colossale de Ramsès II

Statue colossale de Ramsès II, au Louvre.
(photo : C. Boyer)

     Le livre de l’Exode raconte que « six cent mille hommes, sans compter leur famille » ont quitté l’Égypte sous la direction de Moïse (Ex 12,37). Ce nombre est bien entendu invraisemblable. On parle ici d’environ deux millions de personnes, alors que la population totale de l’Égypte à l’époque ne faisait même pas trois millions d’habitants! Un tel exode n’aurait pas seulement laissé des traces dans les sources égyptiennes, il aurait tout simplement fait s’effondrer l’économie du pays! Peut-être la raison du silence des sources égyptiennes est-elle simple : l’événement serait passé inaperçu tout simplement parce qu’il n’eut pas l’ampleur que la Bible lui accorde. Si exode il y eut, le nombre d’individus impliqués a vraisemblablement augmenté avec le temps lors de la transmission du récit et parallèlement à l’importance qu’il prenait dans la mémoire des Hébreux. Combien furent-ils réellement à quitter l’Égypte? Six mille? Six cents? Peut-être juste soixante.

     Et quel aurait été l’itinéraire des Hébreux quittant l’Égypte? Bien que la Bible contienne quelques précisions topographiques qui le laissent croire, les Hébreux n’auraient pas emprunté la voie normale, la plus simple pour passer de l’Égypte au pays de Canaan, appelée ici anachroniquement « la route du pays des Philistins » (Ex 13,17). Cette voie, que les Égyptiens nommaient « route d’Horus », longeait la Méditerranée et était protégée par une série de forteresses. C’est le père de Ramsès II, Séti Ier, qui avait entrepris l’édification de ces fortifications. Selon la Bible, c’est l’autre voie possible qu’empruntèrent les Hébreux, celle qui passe par le sud et qui constitue « un détour par la route du désert » (Ex 13,18). Ce désert est le Sinaï, une péninsule montagneuse au climat très aride qui aurait pu conserver des vestiges témoignant du passage des Hébreux. Le fait que la longue traversée de ce désert, qui dura une quarantaine d’années selon la Bible, n’ait laissé aucune trace archéologique serait-il dû, encore une fois, au nombre réduit d’Hébreux ayant quitté l’Égypte?

     L’historicité de plusieurs pans de l’histoire biblique est aujourd’hui remise en question et sans doute avec raison. Cela nous rappelle qu’une lecture historicisante de la Bible n’est pas toujours adéquate. Il reste que contrairement à plusieurs autres religions du Proche-Orient ancien, la religion des Hébreux, comme celle des chrétiens plus tard, ne se fonde pas sur des récits mythologiques, mais est une religion solidement enracinée dans l’histoire. Il est donc tout à fait naturel et légitime de rechercher les événements qui en sont au fondement, même s’il n’est pas toujours possible de distinguer entre histoire et légende.

Une oasis dans le désert du Sinaï

Une oasis dans le désert du Sinaï.
(photo : C. Boyer)

     En terminant, une anecdote relative à une autre sortie d’Égypte, bien plus récente celle-ci et n’ayant aucune importance historique : celle ayant occasionné quelques sueurs froides à ma copine Lucie et moi-même alors que nous voulions revenir en Israël après avoir passé une semaine en Égypte. Nous étions à la frontière entre le Sinaï et Israël, encore du côté égyptien, lorsque Lucie a réalisé qu’elle ne trouvait plus le petit sac qu’elle portait en bandoulière et qui contenait son porte-monnaie, son téléphone cellulaire et surtout... son passeport! Elle l’avait sans doute oublié dans l’autobus qui nous avait conduits à la frontière et comme ce dernier était encore stationné tout près, nous y sommes retournés pour chercher le petit sac. Mais en vain. Nous avons regardé partout, le sac n’était pas dans l’autobus. Dans le petit poste de police qui se trouvait à la frontière, personne ne parlait anglais, de telle sorte qu’un conducteur de taxi nous servit d’intermédiaire. Le chef de police était très soupçonneux et ne semblait pas croire que nous avions réellement égaré le passeport de Lucie. Il nous fit même défaire tous nos bagages pour s’en assurer. Le conducteur de l’autobus était présent et les soupçons du policier semblaient être portés sur lui aussi. À un certain moment, le conducteur de l’autobus partit et revint au poste en me demandant de retourner chercher le sac dans son autobus. Je lui dis que c’était inutile puisque nous avions déjà cherché le sac et qu’il n’y était pas. Je ne le suivis donc pas malgré ses insistances. Quelques minutes plus tard, le conducteur revint... avec le petit sac de Lucie. Le téléphone et le porte-monnaie avaient disparu, mais l’important était que le passeport s’y trouvait. Je ne sais pas ce qui est arrivé au chauffeur d’autobus, mais de notre côté, nous avons pu sortir paisiblement d’Égypte sans policier égyptien ni pharaon à nos trousses.

Chrystian Boyer

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L’Égypte de Joseph

 

 

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