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chronique du 1er mai 2015

 

Excursion dans la Shéphélah

La Vallée de Sorek où est situé l’épisode de Samson et Dalila.

La Vallée de Sorek où est situé l’épisode de Samson et Dalila.
(photo © Rosario Pierri)


À Lakish, les Israéliens mènent des fouilles en se référant à des sources assyriennes et une carte datant de 702 avant Jésus-Christ. Mais avant de se rendre à Lakish, le Studium Biblicum Franciscanum (SBF), l’Institut franciscain de recherche et d’enseignement des sciences bibliques et de l’archéologie des pays bibliques, nous fait passer par Beth Shemesh.

     La route qui relie Beth Shemesh à Lakish traverse toute la Shéphélah, littéralement « le bas pays ». Il s’agit d’une région vallonnée, riche en pâturages, en forêts, en cultures diverses, et chargée d’Histoire qui s’étend entre la ligne montagneuse centrale d’Israël et la plaine côtière de Philistie, à peu près la bande de Gaza actuelle. Le long de cette route se trouvent des villes de grandes dimensions, à proximité de villages qui jalonnent la carte en continuité.

     Tout près de Beth Shemesh, l’une des plus anciennes villes de Canaan a été retrouvée : il s’agit de Tell Yarmouth, un centre imposant de l’Âge du Bronze (3500 av. J.-C.). Les villes du Bronze Moyen comme Beth Shemesh et Lakish, étape finale de notre voyage d’aujourd’hui, lui sont postérieures.

     De nombreux évènements parmi les plus connus de l’histoire biblique se sont déroulés aux alentours de Beth Shemesh, tels que les aventures de Samson et Dalila, le combat du jeune David et du géant Goliath dans la vallée d’Elah, des destructions de ville : Eshtaol, Zorah, Thimna, Azéqa, Adoraim, Maresha, Eglon, Gath, d’abord par le roi assyrien Sennachérib (702 av. J.-C.), puis par le Babylonien Nabuchodonosor (598 av. J.-C.).

     Les recherches archéologiques sur les sites de la Shéphélah nous ont gratifiés de découvertes de grande valeur : des fortifications du Bronze Ancien à la céramique carénée du Bronze Moyen, des ostraca de Lakish et Maqqeda (Khirbet el-Qom) aux cimetières de Beit Jibrin et aux mosaïques des églises de l’époque byzantine.

Ostracon de Kakish

Beth Shemesh, la « ville du soleil »

     Le site de Tell er-Rumeileh, identifié avec la ville de Beth Shemesh, est situé juste au sud de la grande artère routière, à hauteur du carrefour de Shaar Haggay (Porte de la Vallée, en arabe Bab el-Wad). En venant du nord, sur le côté est de la route moderne se trouvent les ruines de la mosquée d’Abu Meizar, nom arabe de Samson. Ce bâtiment est l’un des rares édifices omeyyades (VIIe siècle) encore visibles en Israël.

     La ville est abreuvée par le Sorek, qui coule vers l’ouest pour se jeter dans la Méditerranée près de Palmahim. La vallée de Sorek est imprégnée des événements fabuleux de l’histoire de Samson, qui lutta contre ses voisins philistins. Sa première épouse était une Philistine de Thimna, dont on a entrepris les fouilles à 4 km au sud-ouest de Zorah. Pendant le voyage qui devait le conduire jusqu’à la maison de son épouse, Samson déchira un lion de ses mains, comme on déchire un chevreau (Jg 14,6). Pour se venger de ce qu’on lui avait repris sa femme, il attacha des torches à la queue de 300 renards avant de les lâcher dans les champs de blé et d’oliviers des Philistins, y mettant le feu (Jg 15,4-5). Avec une mâchoire d’âne, il tua 1000 ennemis au rocher d’Etam (Jg 15,8-16). Puis il tomba amoureux de Dalila, une femme de la vallée de Sorek (Jg 16,4). Dalila conduisit Samson à la ruine, lui ayant fait révéler le secret de sa force surhumaine. Lié et aveuglé, il mourut à Gaza : Que je meure avec les Philistins ! (Jg 16,30).

Tranchée des récentes fouilles de Beth Shemesh

Tranchée des récentes fouilles de Beth Shemesh : le niveau du Fer II
(période israélite) a été rejoint.

     Les fouilles de Beth Shemesh ont déjà connu plusieurs périodes. La première expédition (1911-1913) fut dirigée par D. Mackenzie, et la seconde (1928-1931) par E. Grant. Les fouilles actuelles ont été reprises à partir de 1990 par S. Bunimowitz et Z. Lederman. Les périodes les plus reconnaissables sont le Bronze Moyen, le Bronze Récent et le second Âge du Fer. Le centre ayant été occupé par un immense monastère, les vestiges de l’époque byzantine restent conséquents. La ville du Bronze Moyen était dotée de gigantesques murailles défensives, protégées par des tours rectangulaires et une porte à tenaille simple. Les découvertes les plus intéressantes du Bronze Récent sont les inscriptions phéniciennes et ougaritiques. On peut dater les casemates du second Âge du Fer, tout comme les installations élaborées pour travailler l’huile et le vin. Le style de la céramique est mixte, résultat de la rencontre des arts israélites et philistins : la ville de Beth Shemesh était à la frontière de la plaine des Philistins, où l’on échangeait les produits agricoles. Beaucoup de jarres portant le sceau du roi (lemelek) ont été retrouvées, ainsi qu’un sceau de Eliakim serviteur de Yochan.

Vestiges du monsatère byzantin.

Vestiges du monsatère byzantin.

     Durant la période byzantine, le site était très prospère. Une structure monastique de 50 x 60 m, transformée plus tard en khan (caravansérail), fut trouvée en très bon état de conservation. Les murs extérieurs du monastère sont de 2 m de large ; trois chapiteaux ornés d’une croix en relief proviennent de la salle principale, la chapelle est privée d’abside.

Le roi Sennachérib s’empare de la ville de Lakish

L’imposante colline de Tell ed-Duweir

L’imposante colline de Tell ed-Duweir, identifié avec Lakish. Sur le versant ouest, on remarque à gauche la rampe construite par les Assyriens (702 av. J.-C.) contre le bastion principal de la cité. À droite, on distingue la porte d’accès à la cité avec de puissantes tours pour protéger la porte externe.

     Vers le sud de la Shéphélah, on entre dans la vallée où se cache Tell ed-Duweir, nom arabe de la ville de Lakish. L’identification de Lakish a été facilitée par les fouilles effectuées à différentes périodes. Entre les années 1932 et 1938, une expédition britannique, supervisée par J.L. Starkey et Olga Tufnell, s’est consacrée à l’étude de l’histoire des activités du site. L’Israélien D. Ussishkin reprit les fouilles de 1973 à 1994, et permit de jeter un regard nouveau sur l’histoire de Lakish. Depuis 2011, fouilles et travaux de restauration ont repris dans le secteur voisin de la porte d’entrée de la ville, supervisées par le Département des Antiquités israélien. L’objectif principal est de reconstituer une partie des structures défensives apparentes et d’attirer l’attention des visiteurs sur Lakish… mais ce n’est pas tout.

Le butin de Lakish

Le butin de Lakish, circa 700-692 avant notre ère. Après la prise de Lakish, les prisionniers de Judée partent en exil. Bas relief du palais de Sennachérib conservé au British Museum (photo © Mike Peel).

     Les travaux actuels suivent des directives très précises, à savoir les sources assyriennes. Parmi celles-ci, une sorte de carte voulue par le conquérant assyrien comme un hommage à la campagne militaire de 702 av. J.-C. En effet, des bas-reliefs de la capture sensationnelle de Lakish ornaient les murs du palais royal de Ninive : Sennachérib, roi de toute la terre, roi d’Assyrie, siège sur son trône et passe en revue le butin saisi à Lakish. Les détails sculptés sont une source précieuse pour reconnaître les structures murales, les soldats et les objets emportés par les Assyriens comme butin ; parmi ceux-ci, des femmes et des enfants prisonniers, un trône royal, un sceptre, deux encensoirs, beaucoup d’armes, des jarres de ravitaillement alimentaire et des objets précieux.

     Autre but des fouilles : faire la lumière sur les nombreux mystères que Lakish recèle encore. Parmi eux, la présence d’un sanctuaire d’époque israélite sur le versant nord, les dimensions de la citadelle israélite (36 x 76 m), l’histoire du sinnor, ou puits d’eau, sur le versant oriental de la colline. Enfin, l’espoir de trouver de nouveaux témoignages épigraphiques est toujours fondé, après la découverte d’inscriptions datant du XIVe siècle avant notre ère, et d’ostraca du VIIe au VIe siècle av. J.-C.

De l’histoire de Lakish

     Les derniers résultats des fouilles suggèrent que la ville fut fondée au début du IIe millénaire av. J.-C. Malgré quelques bouleversements, elle serait restée active jusqu’au Bronze Récent, c’est-à-dire 1160 av. J.-C. Au cours de la période du Bronze Moyen (1900-1550 av. J.-C.) furent construits la gigantesque muraille défensive et le palais royal ainsi qu’un temple sur le sommet de la colline. Détruite au cours du XVIe siècle av. J.-C., la ville ne tarda pas à être reconstruite.

     Le Bronze Récent fut très prospère pour Lakish, à en juger par les structures restantes et les informations écrites qui nous sont parvenues. La première est la documentation du papyrus de l’Hermitage 1116A, datant du pharaon Aménophis II (1427-1402 av. J.-C.). Il y est question de denrées alimentaires envoyées en Égypte, parmi lesquelles de l’orge et de la bière. Ce document nous fournit les plus anciennes informations sur la production de bière brassée avec de l’orge, une pratique qui se poursuit encore à ce jour. Au siècle suivant, des lettres envoyées par les gouverneurs de Lakish au pharaon Aménophis IV (1370-1340 av. J.-C.) ont été enregistrées. Des archives d’el-Amarna, six lettres en provenance de Lakish ont été récupérées ; les noms de ces rois qui se sont déclarés fidèles sujets de pharaon sont Yabi-Ilu, Zimri-Addu et Shpti-Baal.

     À l’époque, la ville était dotée d’une muraille défensive, d’un puits de 44 m de profondeur sur son versant nord, et de divers édifices. Deux d’entre eux furent particulièrement importants pour définir clairement la chronologie du Bronze Récent : ce sont deux temples à caractère mixte, égyptien et cananéen, c’est-à-dire sémitique. L’un se trouve dans le fossé au pied de l’arête nord de la muraille, et le second est situé sous les fondations du palais royal israélite, sur le sommet de la colline. Les objets de culte trouvés dans les décombres des deux temples forment une collection unique : des vases pour les offrandes, des assiettes d’importation mycénienne, de l’ivoire, de l’albâtre, du verre, des figurines, des scarabées, des statuettes et des bijoux en or. On trouve également un ciboire mycénien en ivoire finement décoré de scènes d’animaux, ainsi qu’une bague gravée au nom de Ramsès II. Pour finir, une plaque en or avec l’illustration d’une déesse égyptienne nue comme une divinité cananéenne debout sur un cheval et tenant deux lotus dans ses mains (Hathor ou Asherah ?).

     Il semble que Lakish fut violemment détruite à l’époque de Ramsès IV (1182-1151 av. J.-C.). Mais cette date n’est pas en accord avec les données bibliques (Gn 10,31-32) qui attribuent à Josué la destruction de la ville cananéenne.

La porte à tenailles

La porte à tenailles

     À l’Âge du Fer, ou période israélite, Lakish retrouva une grande importance. L’emplacement de la citadelle royale aux frontières de la plaine des Philistins favorisa sa croissance. La région vallonnée, en contact direct avec les monts de Judée et le Néguev, fut un centre stratégique de premier ordre. Elle était dotée de murailles massives, d’une porte monumentale, d’un palais et d’un sanctuaire. La découverte de nombreuses jarres portant le sceau du roi (lemelek) laissent supposer que les approvisionnements en vue d’une guerre étaient assurés.

     Les inscriptions militaires gravées sur les ostraca révèlent une administration très efficace. Ces ostraca de Lakish témoignent très clairement de la vie de la cité avant la destruction babylonienne. Les messages qu’on y lit concernent les rapports entretenus soit avec la cour de Jérusalem, soit avec les gouverneurs des villes voisines, Eglon et Maresha. La responsabilité de la défense de Lakish était entre les mains du commandant Iaosh, lui-même aux ordres du général Koniahu, fils d’Elnathan. L’une des lettres retrouvées parle aussi d’un prophète anonyme, opposé à la politique pro-égyptienne de Sédécias, peut-être le prophète Jérémie.

Le grand chêne de Lakish qui a poussé près du puits.

Le grand chêne de Lakish qui a poussé près du puits.

     L’approvisionnement en eau était assuré par des puits creusés à l’époque précédente, et l’agriculture était la principale source de richesse. Il n’est donc pas étonnant que les armées conquérantes eussent comme premier objectif l’affaiblissement de la défense méridionale du royaume de Juda, avant d’assiéger la capitale. Dans ses annales, le roi assyrien se vante d’avoir détruit toutes les villes de Judée : Quant à Ézéchias, l’homme de Juda, il ne se soumit pas à mon joug ; j’ai assiégé 46 de ses villes fortifiées, des forts militaires, et d’innombrables villages, et je les ai conquis. En 702 av. J.-C., Sennachérib envoya à Lakish une ambassade conduite par son tartan (chef de l’armée) pour ordonner au roi Achaz de se rendre à l’armée assyrienne (Is 36,2). Mais l’intervention du prophète Isaïe sauva alors la situation : Ne crains rien de l’Assyrien, ô mon peuple, qui habite Sion, quand il te frappera de la verge, et qu’il lèvera sur toi le bâton ! (Is 10,24).

     L’histoire se répéta un siècle plus tard, lorsque Nabuchodonosor envahit de nouveau la Judée : l’armée du roi de Babylone combattait contre Jérusalem et contre les villes de Juda qui tenaient encore, contre Lakish et contre Azéqa ; car de toutes les villes de Juda, il ne restait plus que ces villes fortes. (Jr 34,7). Cette fois-ci, les paroles du prophète ne furent pas entendues par le roi de Jérusalem, et la ruine s’abattit d’abord sur Lakish, puis sur Jérusalem.

     Lakish a continué d’exister à l’époque perse, mais au cours du Ve siècle av. J.-C., elle fut remplacée par la ville voisine de Maresha qui devint la capitale administrative de l’Idumée. La glorieuse ville de Lakish fut réduite à l’état de petit village, à peine citée par les sources de l’époque byzantine.

Source : La Terre Sainte 630 (2014) 6-11 (reproduit avec autorisation).

Pietro Kaswalder

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Tell as-Sultan, la plus ancienne ville du monde

 

 

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