Jéricho (photo © Robert Hœtink)

Jéricho ou l’apprentissage de la grâce

Claire BurkelClaire Burkel | 18 juin 2018

Après la chaleur du désert ou de la mer Morte, Jéricho apparaît aux pèlerins pour ce qu’elle est : une oasis. La plus vieille ville du monde et ses dix millénaires d’occupation humaine a aussi un riche passé biblique. Jusqu’à aujourd’hui, la douceur de son climat hivernal a attiré à elle les résidences secondaires dont de luxueux palais.

Tant d’époques s’étagent à Jéricho, tant d’épisodes bibliques s’y rencontrent, que le pèlerin a fort à faire pour suivre la dynamique de la ville. Le plus sage est d’aller dans le sens historique et de commencer la visite par le tell ancien, tell es sultan. Les archéologues, qui fouillent le site depuis 1867, équipes anglaises, italiennes, palestiniennes, s’accordent à reconnaître dix millénaires d’occupation pour « la plus vieille ville du monde ». Du VIIIe millénaire date une tour de 10 m de hauteur dont on observe aujourd’hui que quelques mètres tant les étagements successifs ont élevé le niveau du sol. Elle est en pierres sèches, large de 8,50 m de diamètre, avec un escalier intérieur de 22 marches, mais on ignore sa destination, le plus probablement cultuelle. La vie des groupes d’alors était assurée par la source pérenne et abondante, Aïn es sultan, et d’ingénieux systèmes d’irrigation propices à l’agriculture; c’est déjà le Néolithique, acéramique d’abord, c’est-à-dire ignorant le travail et l’utilisation domestique de la glaise… pas de cruche, pas de plat, pas de bol! Au fil des siècles sont construits remparts et portes qui protègent la cité, habitations rondes ou rectangulaires jusqu’à un long vide d’occupation entre 1550 et 1400 av. J.-C. suite à un incendie désastreux. La ville ne retrouvera sa prospérité et des murailles que sous le roi israélite Achab (873-853 ; voir 1 R 16,34). Elle est mentionnée par l’administration de Néhémie qui fait le décompte des exilés rentrant de Babylone (Ne 7,6-36).

Vue aérienne de tell es sultan

Vue aérienne de tell es sultan (photo © Nadim Asfour/CTS)

Montés sur le tell, les pèlerins s’installent sous la petite paillote du sommet pour lire le fameux épisode de l’arrivée des fils d’Israël dans la terre que Dieu leur promet depuis la sortie d’Égypte. Josué 2-6 relate la descente des monts de Jordanie, Josué en tête, la traversée du Jourdain et la conquête de la ville grâce à l’écroulement des murailles au son des trompettes. Mais l’archéologie nous a affirmé que les murailles incendiées en 1550 n’ont pas été relevées avant le IXe siècle. Ne faudrait-il pas lire autrement le récit de Jos 6 qui insiste sur une procession réitérée autour de la ville six jours durant? Le chiffre 7 qui revient pour le nombre de prêtres officiant, de trompes à faire sonner et le jour du triomphe, le septième; la position d’attente du peuple qui n’aura qu’à pousser un cri après que la septième trompe du septième jour aura retenti; tout indique une scène liturgique bien orchestrée en action de grâce pour la ville offerte, qui n’est plus un verrou, mais une porte d’entrée. En effet il n’y a pas plus d’acte de guerre que lors du passage de la mer du chapitre 14 de l’Exode. Le peuple peut alors chanter la louange du Seigneur et commémorer par un récit haut en couleurs la belle victoire.

fontaine d’Élisée

La fontaine d’Élisée (photo © Robert Hœtink)

Après la visite du tell et cette méditation sur les dons de Dieu, le groupe retrouve son autocar sur la place de la fontaine d’Élisée. On prend le temps de lire la brève mention de 2 R 2,19-22 qui atteste de la présence du prophète juste après avoir été adoubé par Élie monté au ciel. C’est lui qui prend la relève du prophétisme, véritable épine dans le gouvernement des rois d’Israël, souvent iniques, corrompus, avides et opprimant leur peuple. C’est lui qui prendra en charge la guérison du général syrien Naaman, peut-être à quelques encablures de Jéricho, puisqu’il enverra ce dignitaire soigner sa lèpre en se baignant sept fois dans le Jourdain, forcément à un gué, et il n’y en a pas beaucoup d’autres (voir 2 R 5).

Située au plus bas de la vallée du Ghor, le lit du Jourdain, Jéricho, à 258 m sous le niveau de la mer, a toujours bénéficié d’un climat tropical doux, favorable à toutes les cultures fruitières. Dans nombre de textes de l’Ancien Testament on l’appelle la ville des palmiers (Dt 34,3; Jg 3,13), et les régimes de dattes font encore aujourd’hui sa réputation, à côté des agrumes, des bananes, des figues et de la vigne. Un marché à Jéricho, c’est assurément toute la palette des couleurs.

sycomore de Zachée

Au détour d’une rue de la ville, aux côtés d’un couvent russe très bien entretenu, le sycomore de Zachée (photo © Marie-Armelle Beaulieu/CTS)

Mais d’autres arbres apportent aux ruelles empoussiérées leur ombrage et en particulier les sycomores. Ici se situe la rencontre entre Jésus, en route vers Jérusalem, et le percepteur de la ville, Zachée (Lc 19,1-6). L’homme est petit et profite des branches basses d’un sycomore pour se hisser et voir passer Jésus. Heureuse initiative. Jésus le remarque et s’invite chez lui; celui dont toute la ville murmure qu’il est un pécheur, celui dont sans doute on se tient à l’écart pour ne pas se souiller au contact de son impureté puisqu’il commerce avec l’occupant, va recevoir un hôte inespéré et cela change tout et tout de suite dans sa vie! Sans que Jésus le lui dise, il a repéré où le bât blesse et en homme de métier il a vite fait le calcul de ce qu’il doit abandonner aux pauvres et offrir en réparation à ceux qu’il a lésés.

La joie d’avoir été choisi par le Seigneur lui fait renoncer à ses valeurs anciennes et ce que le jeune homme du récit précédent, qui pourtant cherchait à « obtenir la vie éternelle », n’avait pas réussi à quitter (Lc 18,18-23), Zachée le fait sans une hésitation. Il semblait avoir fait de l’argent sa loi, et comprend que le détachement des richesses est le moyen d’acquérir la seule richesse qui comptera désormais pour lui : l’amitié avec Jésus, avec celui qui ne l’a pas méprisé, qui a voulu demeurer chez lui et qui, d’un regard, est capable de briser ce qui était endurci. Les pauvres ne recevront aucun nécessaire du notable pieux et observant, mais beaucoup du publicain méprisé.

sycomore de Zachée

La source de Jéricho est protégée d’un toit, enfermée dans une enceinte : c’est la principale source de la ville. Elle débite 680 m3/heure. Avec quatre autres sources – Nu’meh, Duyuk, Ojah et Qelt – la ville des palmiers a l’eau nécessaire pour ses habitants et son agriculture (photo © Marie-Armelle Beaulieu/CTS).

À l’entrée, mais aussi à la sortie de Jéricho, donc au plus près de la dernière étape de Jésus vers sa Passion, sont racontées plusieurs guérisons d’aveugles : un récit à l’entrée de Jéricho en Lc 18,35-43, et deux à la sortie en Mt 20,29-34 et un seul, Bar Timée, en Mc 10,46-52. Restons avec celui-ci. Il implore le « Fils de David », une adresse messianique et ne se laisse pas réduire au silence par ceux que ses cris importunent. Jésus lui donne de voir. Alors, devenu voyant, il se lance enthousiaste à la suite du Christ.

Les pèlerins aussi vont quitter Jéricho et « monter » à Jérusalem. Avec quel bagage? La certitude qu’en toutes circonstances Dieu fait grâce. Devant la peur de l’inconnu, la crainte d’une ville-forte qui, à coup sûr, ne permettra pas au peuple d’entrer là où Dieu veut le conduire, se rendre compte que le chemin est déjà ouvert. Une source qui n’était plus bonne à boire, est redonnée pour la vie. Face à la dureté du cœur une conversion est possible et pour l’intéressé comme pour les témoins du jour, c’est la merveille qui va entraîner une cascade de réparations et de bontés. Enfin des yeux empêchés de voir sont sur un geste, d’une parole, dessillés, pleinement ouverts et voilà des hommes qui peuvent décider de leur existence et choisir d’accompagner Jésus. Là où des obstacles paraissent insurmontables, Dieu lui-même aplanit la route pour l’homme, là où des aveuglements ferment l’avenir, Dieu fait-homme propose la vie qui va traverser Jérusalem. Jéricho est un verrou qui saute, une porte de la miséricorde.

Claire Burkel est professeure d’Écriture sainte à l’École cathédrale de Paris.

Source : Terre Sainte magazine 649 (2017) 6-11 (reproduit avec autorisation).

Caravane

Caravane

Initiée par Chrystian Boyer, cette chronique a été ensuite partagée par plusieurs chroniqueurs. Messieurs Boyer et Doane livrent leur carnet de voyage en Terre Sainte. Ensuite, une série d’articles met en scène un personnage fictif du premier siècle qui raconte ses voyages dans les villes où saint Paul a entrepris ses voyages missionnaires. Et plus récemment, la rubrique est alimentée grâce à une collaboration de Terre Sainte magazine.