Avers et revers d’une monnaie en plomb frappée sous le règne d’Alexandre Jannée (photo : NumisBids.com)

Des monnaies hasmonéennes inusitées

Sylvain CampeauSylvain Campeau | 25 juin 2018

Il y a quelques semaines, un collectionneur ou un vendeur d’antiquités me soumettait un cas inusité : en nettoyant une pièce de monnaie juive ancienne, il découvre un métal argenté. Selon le motif de l’avers, une double corne d’abondance, il s’agit d’une pièce frappée à l’époque des dirigeants hasmonéens. Mais que pouvons-nous dire de plus, en particulier sur le métal utilisé?

À l’époque hellénistique, la première pièce de monnaie juive a été frappée à Jérusalem, après la révolte des Maccabées, vers 132 ou 131 avant notre ère. C’était sous le règne de Jean Hyrcan Ier (134-104) qui avait obtenu le privilège de frapper une monnaie de bronze. Malgré son indépendance politique pendant cette période (jusqu’à la conquête romaine de Pompée en 63), la dynastie hasmonéenne ne frappera que des pièces de petites valeurs, en bronze. L’argent et l’or n’ont pas été utilisés. La pièce de métal argenté qui nous a été soumise a donc été frappée avec un autre métal : le plomb.

On connait une pièces en plomb qui a été frappée sous le règne d’Alexandre Jannée (104-76). Elle porte, à l’avers, une inscription en araméen que J. Naveh a traduite de la manière suivante : « du roi Alexandre, année 25. » [1] Cette année 25 de son règne correspond à 80 ou 79 avant notre ère. Au revers, on retrouve une ancre dans un cercle et une inscription en grec équivalente à celle en araméen : Basileus Alexandrou (roi Alexandre). C’est la seule pièce qu’on peut associer avec certitude à un roi hasmonéen. On en a retrouvé plusieurs centaines d’exemplaires dont certaines regroupées dans des cachettes (des magots). David Hendin, expert en numismatique, affirme avoir examiné trois de ces magots dont deux contenaient au moins 50 pièces [2].

monnaie de plomb

Avers et revers d’une pièce moulée en plomb attribuée à Alexandre Jannée (photo : VCoins.com)

Une autre émission ne porte aucune inscription mais Hendin l’attribue à Alexandre Jannée. Sur l’avers, on peut voir une étoile composée de sept ou huit points en relief et de rayons. Ces motifs rappellent l’avers d’une autre pièce du souverain (qui contient toutefois des inscriptions). Et le revers est vide. Des études récentes tendent à démontrer que le plomb de cette pièce a été moulé plutôt que frappé. Peut-on parler d’un type monétaire ou serait-il plus juste de parler d’un jeton ou, comme le suggère Hendin, d’une épreuve? Le débat est actuellement ouvert.

Finalement, deux autres pièces ou jetons en plomb peuvent être attribués aux Hasmonéens. Ces types monétaires en plomb sont rares, mais les motifs qu’on y retrouve (cornes d’abondance, palmier stylisé et fleur de lys) permettent de les associer aux souverains de cette dynastie. La pièce en plomb qui nous été soumise appartient à l’une de ces émissions. Mais n’ayant pas vu le revers, il est impossible de préciser davantage.

L’utilisation du plomb

Le plomb utilisé pour la fabrication de monnaies ou de jetons semblables à des monnaies est un phénomène qu’on retrouve à plusieurs endroits et à des périodes différentes de l’époque gréco-romaine [3]. Pourquoi ce métal été utilisé par les souverains hasmonéens? Avec les centaines d’exemplaires connus, il est clair que la première pièce décrite plus haut n’est pas une épreuve. Deux hypothèses peuvent expliquer l’utilisation du plomb, du moins pour la pièce décrite plus haut qu’on peut attribuer avec certitude à Alexandre Jannée.

Arie Kindler est probablement le premier chercheur à avoir proposé une explication : les pièces en plomb de Jannée « ne semblent avoir été émises que pendant une courte période au cours d’une crise économique temporaire » [4]. On parlerait alors d’une émission de nécessité à un moment où le cuivre et l’étain (les composés du bronze) n’étaient pas disponibles. L’hypothèse est séduisante mais n’est appuyée, à notre connaissance, par aucun document historique.

Une autre explication est suggérée par David Hendin [5]. En 95, au début du règne d’Alexandre Jannée, une guerre civile sanglante a fait rage en Judée. Elle a été provoquée par la rivalité entre les sadducéens, un parti qui soutenait le roi et ses politiques hellénisantes, et les pharisiens, un parti très conservateur. Après la guerre, la tension entre les deux groupes ne s’est pas apaisée. Pour démontrer sa bienveillance envers les pharisiens, Jannée aurait commandé l’émission de plomb comme « monnaie d’échange » pour susciter leur reconnaissance : cette largesse leur aurait été offerte contre des produits ou des services. Cette pratique n’est pas un cas isolé et est connue dans le monde romain sous le nom de congiarium. C’est probablement la meilleure explication pour le moment mais la recherche des prochaines années nous orientera peut-être dans d’autres directions.

Sylvain Campeau est bibliste et responsable de la rédaction.

[1] J. Naveh, « Dated Coins of Alexander Jannaeus », Israel Exploration Journal 18 (1968) 20-26.
[2] D. Hendin, Guide to Biblical Coins, 5th edition, New York, Amphora, 2010, p. 503.
[3] Pour une bonne introduction au phénomène, voir : F. de Callatay, « Les plombs à types monétaires en Grèce ancienne : monnaies (officielles, votives ou contrefaites), jetons, sceaux, poids, épreuves ou fantaisies? », Revue numismatique 116 (2010) 219-255.
[4] A. Kindler, Coins of the Land of Israel, Jerusalem, Ketter, 1974, p. 14.
[5] D. Hendin, Guide to Biblical Coins, 5th edition, New York, Amphora, 2010, p. 196.

Le furet biblique

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Initiée en 2001 par Gérard Blais, du Centre biblique Ha’rel (Saint-Augustin), cette rubrique s’inspire souvent de l’actualité pour poser un regard sur le judaïsme, le christianisme ou l’univers culturel de la Bible.