Les noces de Dieu
Le signe de l'eau changée en vin :
Jean
2, 1-11
Autres lectures : Isaïe
62, 1-5; Psaume
95(96) ; 1
Corinthiens 12, 4-11
Dans la bande dessinée Les 7 boules de cristal
(p. 5-7), le capitaine Haddock tente de changer un verre deau
en vin, sous lil dubitatif de Tintin. Évidemment,
le coup rate, à la grande déception du marin à
la retraite. Cette idée loufoque lui était venue après
avoir vu un célèbre illusionniste réussir un
tel tour au music-hall. De façon plus ou moins consciente,
lauteur, Hergé, marqué par son éducation
catholique, sétait sans doute inspirée du récit
des noces de Cana. Or, lévangéliste Jean serait
sans doute bien déçu de constater que le créateur
de Tintin et bien dautres avec lui ne semble
avoir retenu que cela de cet épisode. Évidemment,
le prodige rapporté dans lévangile frappe limagination.
Mais se limiter à ny voir quune prouesse digne
dun prestidigitateur ne rend certainement pas justice à
la richesse du récit de Jean. Alors, regardons-le plus attentivement,
mille sabords!
Acteur principal et rôle de soutien
Pour mieux saisir de quoi il en retourne,
il importe de considérer les personnages : ce quils
disent et font, comment ils agissent, réagissent et interagissent.
Au premier plan, comme il se doit, Jésus domine. Tous les
protagonistes se rattachent à lui. Le nom de Marie nest
jamais mentionné : elle est désignée comme
« la mère de Jésus » ou « sa mère
». Même chose pour les disciples, anonymes. Il sont
ses disciples. Les serviteurs agissent sur lordre de Jésus.
Le maître du repas réagit au prodige accompli par Jésus.
Le marié est mis dans lembarras à cause de ce
même prodige.
La mère de Jésus joue néanmoins
un rôle déterminant: elle prend linitiative dinformer
Jésus quil ne reste plus de vin. La délicatesse
de son intervention est remarquable : elle ne formule aucune
demande à son fils. Elle se contente de lui exposer la situation,
lui laissant la liberté dagir ou non. Puis, malgré
la réponse énigmatique quelle reçoit
(Femme, que me veux-tu? Mon heure nest pas encore venue),
cest elle qui déclenche lopération «sauvetage
de la noce», enjoignant les serviteurs à obtempérer
aux ordres de Jésus. De fait, elle se trouve à prendre
en main les commandes de la réception, se substituant discrètement
au maître du repas...
Les serviteurs sont un modèle de
coopération. Sans mot dire, les voilà à luvre
pour remplir la bagatelle de six cuves de cent litres deau!
Un détail significatif apparaît ici et il ne sagit
pas dun personnage : les cuves , justement. Celles-ci,
mentionne lauteur, étaient prévues pour les
ablutions rituelles des Juifs. Or, elles sont vides... Cest
sans doute, pour lévangéliste Jean, une façon
de communiquer sa conviction que le judaïsme a fait son temps.
Les cuves sont vides et cest bien fait! Elle pourront recevoir
le vin nouveau, comme un apéritif en attendant celui du Royaume!
Les faire-valoir
Voyons maintenant le maître du repas.
Il na rien su, rien vu de ce qui vient de se passer. Aucune
allusion au manque de vin, aucune remarque sur le surplus de travail
que Jésus impose aux serviteurs. Pour le maître, les
choses suivaient leur cours, sans quil se pose de questions.
Or, un fait inattendu survient : il goûte un vin meilleur
que le précédent. Au lieu de sen réjouir
ou de se demander ce qui se passe, il adresse une remarque au marié,
le croyant responsable de cette situation. Et le maître de
lui souligner un peu bêtement que cest contraire aux
habitudes, à ce que «tout le monde» fait. Le
marié, dailleurs, semble tout aussi décroché
que lui de la réalité; il na aucune explication
à fournir au maître du repas, ignorant tout des événements.
Les disciples de Jésus, laissés
de côté après leur mention au tout début,
reviennent dans le décor à la toute fin. Ils se trouvent
ainsi à encadrer les événements. Personnages
passifs, ils ont tout vu, tout entendu, mais nont rien dit,
rien fait. Cependant, ils parviennent à lessentiel :
la foi. Ils ont reconnu le geste de Jésus pour ce quil
est : un signe de sa gloire, et non un tour de magie (comme
le voyait Hergé) ni une entorse à ce qui se fait toujours
(comme la compris le maître du repas).
Enfermé dans les traditions
Ce tour dhorizon à la rencontre
des personnages du récit fournit quelques clés de
lecture pour dégager le message que lévangéliste
adressait à ses contemporains. La plus intéressante,
celle qui permet douvrir ensuite les autres «serrures»,
est formé de deux «couples» : Marie et Jésus
dune part, le maître du repas et le marié dautre
part. Il faut ici noter labsence de la mariée qui aurait,
en quelque sorte, déséquilibré le rapport entre
les deux paires de personnages.
Le marié et le maître du repas
représentent le peuple dIsraël, selon la perception
de lévangéliste Jean. Le marié manque
à son devoir de procurer le nécessaire pour assurer
le bon déroulement de la fête. Qui plus est, il ne
se rend même pas compte que la réception passe à
un cheveux de la catastrophe et il ignore totalement qui la
sauvée. En ce sens, il apparaît comme Israël,
incapable de voir les maux qui laffectent de lintérieur
et fermé au salut qui se réalise en Jésus.
La figure du maître est du même ordre. Il ne voit rien
du manque qui affecte la noce quil supervise pourtant. Et
lorsquil est mis en contact avec ce qui comble ce manque,
il montre une remarquable fermeture desprit : il se contente
de dire que cela ne se fait pas, que cest contraire aux habitudes.
Le maître est ici à limage des dirigeants dIsraël,
selon la vision de lévangéliste : leur
insensibilité aux réels besoins de la communauté
met en péril lAlliance (les noces dIsraël
avec Dieu). Ils sont aveugles à la nouveauté qui surgit
au sein même du peuple dont ils ont la charge. Ils fuient
les problèmes et les situations nouvelles en se réfugiant
dans leurs coutumes et leurs traditions.
Accueillir la nouveauté
À lopposé, Jésus
et sa mère apparaissent respectivement comme lépoux
célébré à loccasion du festin
messianique et le nouveau peuple choisi. Là où le
judaïsme est devenu sec et stérile (les cuves vides),
le Christ apporte du nouveau, en bien meilleur (le vin). Sa mère
est limage du disciple par excellence : elle fait entièrement
confiance en son fils et va vers les autres (les serviteurs) pour
les inciter à faire de même.
Le message de ce récit va cependant
plus loin que lopposition entre le judaïsme, attaché
à ses traditions, et le christianisme, ouvert à la
nouveauté. Les figures du maître du repas et du marié
illustrent ou même dénoncent la tendance à se
réfugier dans ses coutumes et traditions. Croire au Christ
suppose la faculté de se faire bousculer dans ses habitudes,
daccueillir la nouveauté et de se laisser transformer
par elle. Les défis de ce type ne manquent pas en Église,
tout particulièrement en ces temps que nous vivons de remodelage
pastoral de divers ordres.
Jean Grou, Québec
Source: Le Feuillet biblique,
no 2083. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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biblique de Montréal.
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