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2e dimanche ordinaire C - 14 janvier 2007

 

Les noces de Dieu

Le signe de l'eau changée en vin : Jean 2, 1-11
Autres lectures : Isaïe 62, 1-5; Psaume 95(96) ; 1 Corinthiens 12, 4-11

Dans la bande dessinée Les 7 boules de cristal (p. 5-7), le capitaine Haddock tente de changer un verre d’eau en vin, sous l’œil dubitatif de Tintin. Évidemment, le coup rate, à la grande déception du marin à la retraite. Cette idée loufoque lui était venue après avoir vu un célèbre illusionniste réussir un tel tour au music-hall. De façon plus ou moins consciente, l’auteur, Hergé, marqué par son éducation catholique, s’était sans doute inspirée du récit des noces de Cana. Or, l’évangéliste Jean serait sans doute bien déçu de constater que le créateur de Tintin – et bien d’autres avec lui – ne semble avoir retenu que cela de cet épisode. Évidemment, le prodige rapporté dans l’évangile frappe l’imagination. Mais se limiter à n’y voir qu’une prouesse digne d’un prestidigitateur ne rend certainement pas justice à la richesse du récit de Jean. Alors, regardons-le plus attentivement, mille sabords!

Acteur principal et rôle de soutien

     Pour mieux saisir de quoi il en retourne, il importe de considérer les personnages : ce qu’ils disent et font, comment ils agissent, réagissent et interagissent. Au premier plan, comme il se doit, Jésus domine. Tous les protagonistes se rattachent à lui. Le nom de Marie n’est jamais mentionné : elle est désignée comme « la mère de Jésus » ou « sa mère ». Même chose pour les disciples, anonymes. Il sont ses disciples. Les serviteurs agissent sur l’ordre de Jésus. Le maître du repas réagit au prodige accompli par Jésus. Le marié est mis dans l’embarras à cause de ce même prodige.

    La mère de Jésus joue néanmoins un rôle déterminant: elle prend l’initiative d’informer Jésus qu’il ne reste plus de vin. La délicatesse de son intervention est remarquable : elle ne formule aucune demande à son fils. Elle se contente de lui exposer la situation, lui laissant la liberté d’agir ou non. Puis, malgré la réponse énigmatique qu’elle reçoit (Femme, que me veux-tu? Mon heure n’est pas encore venue), c’est elle qui déclenche l’opération «sauvetage de la noce», enjoignant les serviteurs à obtempérer aux ordres de Jésus. De fait, elle se trouve à prendre en main les commandes de la réception, se substituant discrètement au maître du repas...

    Les serviteurs sont un modèle de coopération. Sans mot dire, les voilà à l’œuvre pour remplir la bagatelle de six cuves de cent litres d’eau! Un détail significatif apparaît ici et il ne s’agit pas d’un personnage : les cuves , justement. Celles-ci, mentionne l’auteur, étaient prévues pour les ablutions rituelles des Juifs. Or, elles sont vides... C’est sans doute, pour l’évangéliste Jean, une façon de communiquer sa conviction que le judaïsme a fait son temps. Les cuves sont vides et c’est bien fait! Elle pourront recevoir le vin nouveau, comme un apéritif en attendant celui du Royaume!

Les faire-valoir

    Voyons maintenant le maître du repas. Il n’a rien su, rien vu de ce qui vient de se passer. Aucune allusion au manque de vin, aucune remarque sur le surplus de travail que Jésus impose aux serviteurs. Pour le maître, les choses suivaient leur cours, sans qu’il se pose de questions. Or, un fait inattendu survient : il goûte un vin meilleur que le précédent. Au lieu de s’en réjouir ou de se demander ce qui se passe, il adresse une remarque au marié, le croyant responsable de cette situation. Et le maître de lui souligner un peu bêtement que c’est contraire aux habitudes, à ce que «tout le monde» fait. Le marié, d’ailleurs, semble tout aussi décroché que lui de la réalité; il n’a aucune explication à fournir au maître du repas, ignorant tout des événements.

    Les disciples de Jésus, laissés de côté après leur mention au tout début, reviennent dans le décor à la toute fin. Ils se trouvent ainsi à encadrer les événements. Personnages passifs, ils ont tout vu, tout entendu, mais n’ont rien dit, rien fait. Cependant, ils parviennent à l’essentiel : la foi. Ils ont reconnu le geste de Jésus pour ce qu’il est : un signe de sa gloire, et non un tour de magie (comme le voyait Hergé) ni une entorse à ce qui se fait toujours (comme l’a compris le maître du repas).

Enfermé dans les traditions

    Ce tour d’horizon à la rencontre des personnages du récit fournit quelques clés de lecture pour dégager le message que l’évangéliste adressait à ses contemporains. La plus intéressante, celle qui permet d’ouvrir ensuite les autres «serrures», est formé de deux «couples» : Marie et Jésus d’une part, le maître du repas et le marié d’autre part. Il faut ici noter l’absence de la mariée qui aurait, en quelque sorte, déséquilibré le rapport entre les deux paires de personnages.

    Le marié et le maître du repas représentent le peuple d’Israël, selon la perception de l’évangéliste Jean. Le marié manque à son devoir de procurer le nécessaire pour assurer le bon déroulement de la fête. Qui plus est, il ne se rend même pas compte que la réception passe à un cheveux de la catastrophe et il ignore totalement qui l’a sauvée. En ce sens, il apparaît comme Israël, incapable de voir les maux qui l’affectent de l’intérieur et fermé au salut qui se réalise en Jésus. La figure du maître est du même ordre. Il ne voit rien du manque qui affecte la noce qu’il supervise pourtant. Et lorsqu’il est mis en contact avec ce qui comble ce manque, il montre une remarquable fermeture d’esprit : il se contente de dire que cela ne se fait pas, que c’est contraire aux habitudes. Le maître est ici à l’image des dirigeants d’Israël, selon la vision de l’évangéliste : leur insensibilité aux réels besoins de la communauté met en péril l’Alliance (les noces d’Israël avec Dieu). Ils sont aveugles à la nouveauté qui surgit au sein même du peuple dont ils ont la charge. Ils fuient les problèmes et les situations nouvelles en se réfugiant dans leurs coutumes et leurs traditions.

Accueillir la nouveauté

    À l’opposé, Jésus et sa mère apparaissent respectivement comme l’époux célébré à l’occasion du festin messianique et le nouveau peuple choisi. Là où le judaïsme est devenu sec et stérile (les cuves vides), le Christ apporte du nouveau, en bien meilleur (le vin). Sa mère est l’image du disciple par excellence : elle fait entièrement confiance en son fils et va vers les autres (les serviteurs) pour les inciter à faire de même.

    Le message de ce récit va cependant plus loin que l’opposition entre le judaïsme, attaché à ses traditions, et le christianisme, ouvert à la nouveauté. Les figures du maître du repas et du marié illustrent ou même dénoncent la tendance à se réfugier dans ses coutumes et traditions. Croire au Christ suppose la faculté de se faire bousculer dans ses habitudes, d’accueillir la nouveauté et de se laisser transformer par elle. Les défis de ce type ne manquent pas en Église, tout particulièrement en ces temps que nous vivons de remodelage pastoral de divers ordres.

Jean Grou, Québec

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2083. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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