Objet de contestation
Échec de Jésus à Nazareth
: Luc
4, 21-30
Autres lectures : Jérémie
1, 4-5.17-19; Psaume
70(71) ; 1
Corinthiens 12,3113,13
La scène de la synagogue de Nazareth (Luc
4, 16-30) est centrée sur trois passages de lAncien
Testament : le texte dIsaïe cité par Jésus
(vv.
18-19) et les souvenirs dÉlie et dÉlisée
(vv.
25-27). Les réactions des fidèles sont fort différentes
dans lun et lautre cas. Après la proclamation
du texte dIsaïe tous lui rendaient témoignage
(v.
22); après lévocation des souvenirs relatifs
à Élie et Élisée tous devinrent furieux
(v.
28). Pourquoi le simple rappel dépisodes connus
des Écritures déclenche-t-il une fureur meurtrière
chez les auditeurs?
Ils sétonnaient du message de grâce
(v.
22).
Pour répondre à cette question il faut
remonter un peu en arrière. Luc a voulu mettre en contraste
les deux réactions des gens de Nazareth comme étant
représentatives de toutes celles suscitées par Jésus
durant son ministère : accueil favorable et même
enthousiaste suivi dun rejet radical.
Laffirmation fondamentale de Jésus concerne
lactualité du message de salut du livre dIsaïe :
Cette parole de lÉcriture que vous venez dentendre,
cest aujourdhui quelle saccomplit (v.
21). Il ne va pas jusquà se présenter lui-même
comme étant celui par qui arrivent le salut et la libération,
mais tout le contexte oriente vers cette conclusion. Celui qui a
reçu lonction et en qui réside lEsprit
du Seigneur (v.
18) ne peut être que Jésus, doù létonnement
des gens de Nazareth : Nest-ce pas là le fils
de Joseph? (v. 22).
Tous devinrent furieux (v. 28).
À partir de ce moment-là latmosphère
change et ce changement est provoqué par Jésus lui-même.
Il rappelle les événements arrivés à
Capharnaüm (v.
23) et déclare : aucun prophète nest
bien accueilli dans son pays (v. 24). En disant cela il anticipe
sur ce que sera la réaction de ses concitoyens, non seulement
ce jour-là à Nazareth, mais tout au long de sa vie
publique et de la part de la majorité du peuple juif.
Pourquoi Jésus va-t-il ainsi « au-devant
des coups » et attise-t-il lhostilité dun
public qui semblait plutôt bien disposé à son
égard? Luc nest pas très explicite à
ce sujet; on doit donc se livrer à quelques suppositions.
Il semble que Jésus ait surtout voulu lever toute ambiguïté
concernant le sens de sa mission. Les gens de Nazareth espéraient
profiter dun traitement de faveur de la part de leur
prophète. Puisque Jésus avait déjà accompli
des guérisons à Capharnaüm (v.
23), il leur semblait normal quil en fasse autant, sinon
plus, dans la ville où il avait passé la plus grande
partie de sa vie. Jésus veut couper court à ce genre
dambition; personne na de droits sur lui, personne ne
peut réclamer un traitement de faveur ou un privilège
quelconque.
Au-delà de cette rivalité un peu mesquine
entre deux petites villes de province, cest le sens même
de la mission de Jésus qui est en cause. Le peuple dIsraël,
héritier des promesses aux patriarches et aux prophètes,
possède-t-il des « droits acquis » sur le salut?
Les deux exemples choisis par Jésus montrent bien que Dieu
ne limite pas son amour aux seuls membres du peuple élu;
il sintéresse au sort de tous les humains, peu importe
leur origine. En somme, Jésus proclame la fin du privilège
dIsraël; en annonçant la Bonne Nouvelle aux pauvres
(v.
18), il ouvre les portes du Royaume de Dieu à toutes
les nations. La réaction de la foule montre quelle
a très bien compris les propos de Jésus. Les Juifs
de Nazareth, comme la majorité de leurs concitoyens, refusent
de faire ce changement radical : passer dun Dieu national,
lié à Israël par un contrat dAlliance,
à un Dieu universel qui se veut le Père et le Sauveur
de tous les humains.
Mais lui allait
son chemin (v. 30).
La scène se termine par une agression physique
contre Jésus. Luc a voulu que cet épisode soit comme
un abrégé de toute la vie publique : la prédication
de la Bonne Nouvelle, une première réaction enthousiaste
suivi dun rejet radical lorsque les auditeurs découvrent
les exigences de lÉvangile, lélimination
de celui quon considère désormais comme un imposteur
et, en fin de compte, sa victoire finale dans la résurrection.
Il nest pas nécessaire de supposer que
Jésus mettrait en uvre quelque procédé
miraculeux pour échapper à ses poursuivants. Les évangiles
fournissent dautres exemples de situations où il déjoue
ses agresseurs (cf.
Jn 8, 59; 10,
31.39). Cela devait lui être dautant plus facile
dans les collines entourant Nazareth, dont il devait connaître
tous les sentiers et toutes les cachettes pour y être souvent
venu durant son enfance. Mais pour Luc cette fuite est déjà
une anticipation de la résurrection; personne, pas même
la mort, ne pourra retenir captif celui qui est habité par
lEsprit de Dieu (v.
18).
Au temps du prophète Élie
(v. 25).
Élie permet à la veuve de Sarepta et
à son fils davoir du pain à manger durant la
grande famine (1
Rois 17, 15-16); Élisée envoie Naaman se baigner
dans le Jourdain pour être purifié de sa lèpre
(2
Rois 5,14). Le choix de ces deux exemples donne au discours
de Jésus une coloration sacramentelle. Leau du baptême
et le pain de leucharistie, les signes fondamentaux de l`Église,
seront disponibles pour toute personne, peu importe son origine.
La tradition chrétienne a vu dans ces deux récits
une anticipation des réalités de la Nouvelle Alliance.
Dans cet aujourdhui (v. 21) où lÉcriture
saccomplit, ce qui était préfiguré mystérieusement
trouve sa pleine réalisation dans la personne de Jésus.
Je suis avec toi
(Jérémie 1,19).
La vocation de Jérémie est devenue, en
quelque sorte, normative pour les récits de vocation de prophètes.
Paul sy réfère pour expliquer sa propre vocation
(Galates
1,15; cf. Jérémie
1,5). Aux jours les plus difficiles de lhistoire du royaume
de Juda, le prophète est envoyé pour dénoncer
le mal qui cause la ruine du peuple élu. Il rencontre, chez
ses concitoyens, incompréhension et hostilité, mais
Dieu est fidèle, il lui promet de lassister dans tous
les combats quil aura à mener (v. 19). Jésus
se reconnaît sans doute dans la figure de Jérémie;
il est probable que la phrase aucun prophète nest
bien accueilli dans son pays (Luc 4, 24) fait référence
surtout à Jérémie, celui des grands prophètes
dont lhistoire nous est la mieux connue.
Un aspect moins connu de la vie de Jérémie
concerne sa mission auprès des nations étrangères :
Je fais de toi un prophète pour les peuples (v. 5).
Son livre comprend un important recueil doracles contre les
Nations (Jérémie
25, 13-38; 46,151,63
hébreu). Il y dénonce linjustice et annonce
lintervention divine contre tous les peuples connus de son
temps. Ainsi, il révèle un Dieu qui nest pas
limité à un seul peuple mais qui veut établir
son règne sur toute la terre, préparant de loin luniversalisme
de lÉvangile.
Source: Le Feuillet biblique,
no 2085. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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