Propos de table
Guérison d'un hydropique un jour de sabbat
: Luc
14, 1a.7-14
Autres lectures : Ben
Sirac 3, 17-18.20.28-29; Psaume
67(68); Hébreux
12, 18-19.22-24a
Ce jour-là, Jésus na pas dû
se faire beaucoup damis. Il commence par mettre en boîte
ceux qui participent avec lui à ce repas en leur proposant
un dilemme à propos dune guérison le jour du
sabbat (Luc
14, 2-6). Il poursuit en faisant des reproches aux convives
sur le choix des places (vv.
7-11) puis à son hôte sur le choix des invités
(vv.
12-14). Et il termine par une parabole annonçant lexclusion
des premiers invités (le peuple juif) du banquet du Royaume
(Lc
14, 16-24). Personne ne peut lui reprocher de ne pas garder
son franc parler, même à légard de ceux
qui linvitent à leur table! La liturgie a retenu les
deuxième et troisième sections de cette séquence.
Qui s'élève sera abaissé... (v. 11)
Le thème du renversement des
situations se retrouve dans toutes les traditions de lAncien
Testament comme du Nouveau. Quon pense, par exemple, à
Abel préféré à Caïn, Jacob à
Ésaü, David à ses frères plus âgés.
On le trouve formulé chez les prophètes : Ce qui
est bas sera élevé, ce qui est élevé
sera abaissé (Ézéchiel 21,31) et
dans le cantique dAnne : Larc des puissants est brisé
mais les défaillants sont ceinturés de force (
)
Cest Yahvé qui appauvrit et qui enrichit, qui abaisse
et aussi qui élève. Il retire de la poussière
le faible, du fumier il relève le pauvre pour les faire asseoir
avec les nobles et leur assigner un siège dhonneur
(1 Samuel 2, 4.7-8a) repris dans celui de la Vierge Marie
: Il a renversé les potentats de leur trônes et
élevés les humbles. Il a comblé de biens les
affamés et renvoyés les riches les mains vides
(Luc 1, 52-53).
À lorigine il sagissait
surtout dune règle de sagesse pratique, basée
sur lexpérience; la chute est dautant plus brutale
quon tombe de plus haut, donc, il vaut mieux ne pas trop sélever
pour ne pas connaître une chute trop catastrophique. Mais
lidée a aussi une dimension religieuse; cest
Dieu qui peut élever, lui seul donne la vraie grandeur car
il connaît le fond du cur de chacun. Le chemin privilégié
pour sapprocher de Dieu consiste à reconnaître
sa propre pauvreté et à tout attendre de sa bonté
: Dun cur brisé, broyé, Dieu, tu nas
point de mépris (Psaume 51 (50), 19b).
Dans la société ancienne
plus encore que dans la nôtre les questions de préséance
et détiquette occupent une grande place. Les places
à table reflètent la position sociale de ceux qui
les occupent. Jésus observe que certains invités essaient
de se mettre en valeur en prenant les places les plus en vue. Sa
remarque peut se comprendre comme un simple conseil de prudence
pour éviter une déconvenue humiliante. Mais, dans
la bouche de Jésus, les paroles même les plus simples
ont toujours quelque chose à voir avec lannonce du
Royaume. Là, les rôles sont renversés; la vraie
grandeur est liée au service plutôt quau pouvoir
: Que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune
et celui qui gouverne comme celui qui sert (
) Moi, je suis
au milieu de vous comme celui qui sert (Lc 22, 26.27b).
Au delà des questions protocolaires Jésus appelle
ses auditeurs à se faire humbles et serviteurs les uns des
autres pour avoir place dans le Royaume; alors le maître de
maison se ceindra, les fera mettre à table et, passant
de lun à lautre, il les servira (Lc
12,37).
Tu seras heureux
(v.14)
Voici une des béatitudes cachées
de lévangile de Luc. En dehors de la série
bien connue du discours dans la plaine (Lc
6, 20-22) on trouve en effet, chez Luc comme chez Matthieu,
quelques formules isolées ou quelquun est déclaré
heureux (voir, par exemple : Lc
1,45; 7,23;
10,
23; 11,27-28
etc
).
Ici celui qui est déclaré
heureux aura invité chez lui des personne dont il
ne peut rien attendre en retour. Le texte grec de Proverbes
23,1-2 oblige un invité à bien observer ce qui
lui est servi à table pour pouvoir en offrir autant lorsque
son tour viendra daccueillir des visiteurs. Saint Augustin
a donné de ce texte une interprétation allégorique
qui est restée célèbre (Sur l'évangile
de Jean 84, 1-2) mais, à lorigine, il sagissait
tout simplement dune règle de politesse. Ces échanges
dinvitations entre personnes du même milieu social pouvaient
aussi, bien entendu, prendre un caractère intéressé;
on peut traiter des affaires autour dune bonne table!
Jésus proclame heureux celui
qui est capable de dépasser ce cercle des conventions pour
poser un geste purement gratuit. Accueillir des pauvres, des
estropiés, des boiteux, des aveugles (vv. 13-14), cest
agir à la manière de Jésus lui-même;
cest mettre en pratique le commandement : Faites du bien
et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense,
alors, sera grande et vous serez les fils du Très-Haut
(Lc 6,35). Celui qui agit ainsi est heureux non seulement
dans lattente de la récompense lors de la résurrection
des justes (v.14) mais dès maintenant parce quil
rend déjà présent le Royaume.
Une oreille qui écoute (Sirac 3,29)
Mon fils, accomplis toute chose dans l'humilité, et tu
seras aimé plus qu'un bienfaiteur. Plus tu es grand, plus
il faut t'abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur
(Sirac 3, 17-18).
Lidéal du sage, cest
une oreille qui écoute (v. 29). Plutôt que de faire
léloge de léloquence, de la compétence
ou de la force Ben Sirac met de lavant la capacité
découte. Le vrai sage est assez humble pour reconnaître
les limites de son savoir et de son pouvoir; il accepte de se laisser
guider. En fin de compte, il reconnaît que son vrai maître
est Dieu. Le sage rejoint le prophète dans sa description
du Serviteur : Le Seigneur Yahvé ma donné
une langue de disciple. Il méveille chaque matin, il
éveille mon oreille pour que jécoute comme un
disciple. Le Seigneur Yahvé ma ouvert loreille
et moi, je nai pas résisté, je ne me suis pas
dérobé (Isaïe 50, 4-5).Jésus
sest identifié à cette figure du Serviteur;
ceux et celles qui le suivent doivent prendre le même chemin
que lui.
Jésus, le médiateur dune Alliance nouvelle
(Hébreux 12, 24)
Quand vous êtes venus vers Dieu, il n'y avait rien de
matériel comme au Sinaï, pas de feu qui brûle,
pas d'obscurité, de ténèbres, ni d'ouragan
(...). Mais vous êtes venus vers la montagne de Sion, et vers
la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste
(...). Vous êtes venus vers Jésus, le médiateur
d'une Alliance nouvelle (Hébreux 12, 18.22.24).
La ligne de fond de lÉpître
aux Hébreux est toujours la comparaison entre les deux
Alliances pour monter la supériorité de la Nouvelle
sur lAncienne. Au Sinaï lalliance ancienne avait
été conclue au milieu des fracas de tempête
(vv.
18-19), dans la Nouvelle, rien de tel mais le rassemblement
de toute lhumanité, avec les anges, en présence
de Dieu (vv.
22-23). Telle est la mission accomplie par Jésus, le
nouveau Moïse, celui qui réalise parfaitement lAlliance
définitive. La vision de lauteur est celle dune
promesse déjà réalisée, une humanité
renouvelée et réconciliée dans le Royaume enfin
accompli.
Source: Le Feuillet biblique,
no 2107. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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