INTERBIBLE
Au son de la cithare
célébrer la paroleintuitionspsaumespsaumespsaumes
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Célébrer la Parole

 

orant
Imprimer

32e dimanche ordinaire B - 8 novembre 2009

 

 

Les scribes, le temple et la veuve

Jésus juge les scribes : Marc 12, 38-44
Autres lectures : 1 Rois 17, 10-16 ; Psaume 145(146) ; Hébreux 9, 24-28

 

Une lecture rapide de la page d’évangile proposée pour ce dimanche peut nous laisser croire que nous sommes en présence de deux passages bien distincts l’un de l’autre et ayant chacun leur visée. Comme ces deux textes se suivent dans l’Évangile de Marc, on aurait jugé bon de les mettre tout naturellement bout à bout au Lectionnaire dans le seul but d’atteindre la longueur habituelle d’un texte biblique utilisé dans le cadre liturgique. En proposant une lecture brève se limitant aux versets 41 à 44, titrée « l’aumône de la pauvre veuve », le Lectionnaire semble confirmer qu’il s’agit bien de deux textes n’ayant pas nécessairement de liens entre eux si ce n’est par le mot « veuve » qui apparaît dans les deux épisodes.

Méfions-nous des lectures rapides !

     Une lecture rapide amènera le lecteur et l’homéliste pressés, à voir dans ces deux textes apparemment sans liens littéraires entre eux une leçon de morale dans laquelle les scribes et la veuve sont renvoyés dos à dos, celle-ci étant évidemment la personne à imiter. On s’appuiera alors sur la première lecture de la liturgie de ce dimanche extraite du Premier livre des Rois (1 Rois 17, 10-16). On y rapporte le récit d’une veuve tellement démunie que, lorsque le prophète Élie lui demande de lui cuire un petit pain, elle n’a pour toute réponse qu’avec le peu de farine qui lui reste, elle et son fils en sont à leur dernier repas avant de mourir. On connaît la suite : parce qu’elle a fait confiance au prophète et qu’elle a accédé à sa demande, elle n’a plus jamais manqué ni de farine ni d’huile. Et le lecteur ou l’homéliste de conclure qu’à l’exemple de cette veuve et de celle de l’évangile, il faut apprendre à jeter toute sa confiance en Dieu qui se manifeste par ses prophètes et par son temple… On n’aura plus alors qu’à enfoncer le clou en rappelant les blâmes de Jésus contre les scribes qui ne font confiance qu’en eux-mêmes… question de mettre en relief la foi extrême des deux veuves…

Des interprétations qui résistent au temps

     Il y a de ces interprétations qui résistent au temps ! Le constat d’admiration qu’on attribue à Jésus à l’égard de la veuve a la vie dure ! Où est l’éloge dans son verdict ? Qu’on y regarde de plus près : Cette pauvre veuve a mis dans le tronc plus que tout le monde […] elle a pris sur son indigence : elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre (vv. 43-44). Où est l’approbation élogieuse dans cette phrase ? Où sont-elles les marques d’admiration ? Et pourquoi pas du dépit et du chagrin ? Pourquoi cet empressement à prêter des sentiments à l’auteur de cette allégation alors qu’il ne fait que décrire ce qu’il voit ? Et que voit-il ? Que rapporte-t-il ? Si ce n’est une femme portant tous les indices de la pauvreté. Que remarque-t-il ? Si ce n’est qu’elle dépose deux piécettes dans le tronc de la salle du trésor ? Que dit Jésus ? Si ce n’est que constater ces faits et en faire part à ses disciples en y ajoutant un commentaire d’ordre factuel : Cette pauvre veuve […] a pris sur son indigence : Elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre (vv. 43-44). Admirable ou désolant?

« Ils dévorent les biens des veuves » (Mc 12, 40)

     Revenons à la première partie de notre passage d’évangile. Dans cette section, étonnamment considérée comme facultative par le Lectionnaire, on entend Jésus dire à la foule nombreuse [qui] l’écoutait avec plaisir (12, 37b) : Méfiez-vous des scribes […] Ils dévorent les biens des veuves (vv. 38.40). Nous sommes au chapitre 12 de l’Évangile de Marc. Jésus est entré au temple depuis le chapitre 11 :  …Jésus allait et venait dans le temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens s’approchent de lui (11, 27). Une fois dans le temple il devra affronter les « officiels » du temple à travers une série de cinq controverses dont la dernière apparaît dans notre texte d’aujourd’hui. C’est la dernière parole que Jésus prononce à l’endroit du « personnel » du temple. À travers ces « gardiens » du temple, c’est l’institution elle-même que Jésus atteint. C’est le temple qui est dans sa mire. Cet invective Méfiez-vous des scribes […] Ils dévorent les biens des veuves (vv. 38.40) est à mettre en perspective avec le geste de la veuve pauvre. Il vient coiffer en quelque sorte son geste. En retour, le geste de la veuve viendra confirmer et illustrer le verdict de Jésus contre les officiels du temple, et à travers eux contre le temple. La parole de l’un et le geste de l’autre se compénètrent, s’éclairent et se répondent. On remarquera que l’appel à la méfiance prononcé contre les scribes et par ricochet contre le temple est adressé à la foule nombreuse [qui] l’écoutait avec plaisir (12, 37b). Dommage que le Lectionnaire ne l’ait pas inclus dans son découpage. Par ailleurs, on remarquera que le commentaire de Jésus sur le geste de la veuve, ne sera réservé qu’aux disciples : Jésus s’adressa à ses disciples (12, 43). Il le fera assis (v. 41), qui est la position du maître qui enseigne et il le fera précéder d’un En vérité, je vous le dis (v. 43) qui est la formule utilisée pour annoncer toute l’importance de l’enseignement qui la suit. Notons enfin le saisissant parallèle entre les scribes qui dévorent les biens des veuves (v. 40) et la veuve qui a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre (v. 44).

La gloire du Seigneur sortit de sur le seuil du temple (Ézéchiel 10, 18)

     Le retentissant Méfiez-vous proclamé en présence de la foule nombreuse qui l’écoutait avec plaisir (v. 37b), marque la fin des contacts de Jésus avec les grands prêtres, les scribes et les anciens. On ne les retrouvera qu’au moment de l’arrestation de Jésus. La rencontre n’aura pas lieu dans le temple mais à la résidence du Grand Prêtre (14,54).

     Avant de quitter le temple, Jésus prodigue un dernier enseignement au caractère intime réservé à ses disciples : Jésus s’adressa à ses disciples (v. 43). Il prend appui sur ce que ses yeux voient : Une veuve pauvre qui jette dans le trésor (du temple) deux piécettes (v. 42).  Et il conclue : Elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre (v. 44). Tel est le type de rapport qui se vit entre une pauvre et le temple. C’est sur cette image qu’il quitte définitivement le temple. Ici se termine le chapitre 12. Le chapitre suivant s’ouvre selon le texte grec avec le verbe « sortir » précédé de la conjonction « et »;  littéralement : Et sortant lui du temple (13, 1). Le temple n’a plus sa raison d’être. Il est désormais inutile. Son ère est  révolue. Son mandat est terminé. Il n’y a plus rien à en attendre.

     Jésus n’est pas aussitôt sorti qu’un de ses disciples lui fait remarquer la beauté des pierres et des constructions (v. 13, 1)… ! Visiblement, l’homme n’a encore rien compris…! Qu’on ne s’en surprenne pas : dans l’Évangile de Marc, les disciples ne comprennent jamais rien. Toutefois leur incompréhension chronique a le mérite d’ouvrir la porte à des explications supplémentaires. On en a ici un bel exemple dans la réponse de Jésus : Tu vois ces grandes constructions,  lui réplique Jésus, il ne restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit (13, 2). Cette démolition aura lieu quarante ans plus tard, en l’an 70 par l’armée romaine.

     Un tel contexte donne tout son sens au début de la deuxième lecture de ce dimanche. Qu’on en juge : Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire construit par les hommes […] il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu (Hébreux 9, 24).


Père Claude Julien, F. Ch.
Curé de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, Montréal

 

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2203. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

Chronique précédente :
Une assemblée en liesse