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Christ, roi de l'univers C - 21 novembre 2010

 

 

Une royale miséricorde

Jésus en croix est insulté : Luc 23, 35-43
Autres lectures : 2 Samuel 5, 1-3; Psaume 121(122); Colossiens 1, 12-20

 

Voici ce que vous ne m’entendrez pas dire sur cette fête du Christ, roi de l’univers : « Jésus est roi, mais pas à la manière des rois de la terre; venu pour servir et non pour être servi; sa couronne est d’épines, son trône est une croix… ». Vous savez, ce genre de trucs? Je ne les dirai pas en homélie, non que ces idées soient injustes, mais vous les connaissez déjà, car c’est toujours ce que l’on dit. Que vous dirai-je donc? Partons du texte de l’Évangile et voyons ce qu’on peut en dire d’un peu nouveau!

Une passion « royale »

     D’abord, c’est un morceau de la passion selon saint Luc que la liturgie choisit de nous servir en ce dimanche qui clôt notre année liturgique, plus précisément cet entretien entre les trois crucifiés du Golgotha. Pourquoi ce choix? Parce qu’on trouve, dans le court extrait choisi, de nombreux motifs royaux : les moqueries de la part des chefs religieux, des soldats et d’un des crucifiés donnent ironiquement à Jésus les titres de Messie ou de roi, le libellé de sa condamnation placée sur la croix fait de même, tandis que le larron repentant, dans sa demande à Jésus, fera mention de son règne devant venir.

La touche de Luc

     Les quatre recensions de la passion et de la mort de Jésus, offertes par chacun des évangélistes, se ressemblent étrangement. Cette ressemblance est sans doute l’indice d’une tradition qui s’est fixée très tôt. On imagine bien qu’aux lendemains des événements « mort et résurrection » de Jésus, ce sont ces derniers moments de sa vie que les disciples se sont d’abord racontés. Or, même dans la tradition orale, bien avant la mise par écrit, un récit peut se figer, se stéréotyper rapidement. Les évangélistes reçoivent cette tradition déjà bien figée et l’intègrent dans leur évangile, d’où leur ressemblance. Pourtant, la comparaison en synopse 1 nous fait voir des différences significatives entre les « passions » de chacun des évangélistes : des ajouts, des omissions, des changements de vocabulaire, etc. Chacun apporte au récit, sa  touche personnelle et ces différences sont révélatrices tout à la fois de la personnalité de l’évangéliste, de son souci pastoral à l’égard de la communauté particulière à laquelle il s’adresse et encore de son interprétation théologique originale de la mort de Jésus. Ainsi, si  Matthieu et Marc montrent sans pudeur le rejet des foules et le sentiment de déréliction de Jésus sur la croix 2, si Jean nous montre, au contraire, un Jésus vivant sa passion et sa croix comme un triomphe, comme une élévation dans la gloire, Luc, pour sa part, jette une rosée de douceur et de miséricorde sur les événements de la croix. Quelles sont ces gouttes de douce miséricorde? Des foules hagardes et plus repentantes qu’hostiles devant le supplice de Jésus (Lc 23,27.35.48); un Jésus qui, sur son chemin de croix, plaint les femmes de Jérusalem (Lc 23,28-31); un Jésus qui demande au Père de pardonner à ceux qui, le crucifiant, ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23,34) et, finalement – c’est là la pointe de notre extrait – un Jésus qui fait entrer au paradis le supplicié repentant qui se tourne vers lui (Lc 23,43).

Une miséricorde « jusqu’au bout »!

     Mais sera-t-on surpris que Luc nous rende compte de la miséricorde de Jésus jusqu’à son dernier souffle? Jusqu’à son agonie, même cloué, il offre pardon et salut au crucifié coupable qui se tourne vers lui! En sera-t-on surpris? Luc n’est-il pas l’évangéliste de la miséricorde, celui qui nous dépeint le Jésus le plus proche des pauvres, des pécheurs, des exclus? À preuve : Luc n’est-il pas le seul des évangélistes à nous raconter les paraboles du bon Samaritain (Lc 10,29-37), du Père miséricordieux (ou du fils prodigue, Lc 15,11-32), de Lazare et du mauvais riche (Lc 16,19-31)? Luc n’est-il pas le seul à nous rapporter des rencontres bouleversantes de Jésus avec certains pécheurs notoires: Zachée (Lc 19,1-10) et la femme pécheresse (Lc 7,36-50)? Avec le Jésus de Luc, il n’est jamais trop tard pour se tourner vers Dieu. C’est ce que comprendra ce converti du Golgotha : Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis.

Aujourd’hui!

     Il y a dans l’œuvre de Luc des « aujourd’hui » significatifs! Des aujourd’hui à partir desquels rien ne saurait plus être de même, des aujourd’hui à partir desquels tout bascule dans du « neuf », dans du « salut »! Qu’on pense à cet aujourd’hui de l’annonce de l’ange aux bergers (Lc 2,11) ou à celui que Zachée entendra deux fois de la bouche de Jésus (Lc 19,5.9).

     Cet aujourd’hui n’est pas que dans la vie de ceux dont il raconte l’histoire, cet aujourd’hui de Luc n’est pas que destiné à sa communauté d’origine à qui il adresse son évangile, cet aujourd’hui, il est pour le croyant de tout époque qui lit cet évangile de miséricorde. À chacun de saisir cet aujourd’hui du salut qu’apporte Jésus à sa vie.

___________________

1 Synopse vient du grec et signifie « voir d’un seul œil » ou « vue d’ensemble ». En Bible, une synopse est un ouvrage qui reproduit les quatre évangiles, non pas successivement, mais côte à côte, simultanément sur quatre colonnes, facilitant ainsi la comparaison des récits parallèles.

2 Matthieu et Marc racontent la passion de Jésus en coulant celle-ci dans le moule préexistant de deux psaumes de l’AT qui parlent  d’un juste, injustement persécuté, rejeté par les siens à cause de son zèle pour le Seigneur, raillé par les foules : les Psaumes 22(21) et 69(68). Or, dans ces deux psaumes, on entend ce juste exprimer son sentiment d’être abandonné de Dieu. Mt et Mc reprendront mot pour mot le cri de déréliction de ce juste en le mettant sur la bouche du Christ agonisant : « Eloï, Eloï, lama sabaqtani? ». Comparez Mt 27,46 et Mc 15,34 à Ps 22(21),2. Ce faisant, Mt et Mc montrent que Jésus accomplit les Écritures. Luc, pour sa part, aime à taire ce qui pourrait paraître désavantageux pour l’image de Jésus ou des apôtres. Il omettra, par conséquent, les paroles de déréliction de Jésus sur la croix qui pourraient être interprétées, chez le lecteur de son œuvre, comme un manque de confiance de Jésus envers en son Père.

 

Patrice Bergeron, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2248. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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