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Célébrer la Parole

 

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4e dimanche ordinaire C - 31 janvier 2010

 

 

Jésus, prophète à la parole provocante

Échec de Jésus à Nazareth : Luc 4, 21-30
Autres lectures : Jérémie 1, 4-5.17-19; Psaume 70(71); 1 Corinthiens 12, 31 - 13, 13

 

Pourquoi Jésus provoque-t-il l’assemblée et retourne-t-il contre lui un auditoire qui semblait plutôt favorable? Et en quoi le rappel de deux épisodes bien connus de l’histoire d’Israël a-t-il quelque chose de si choquant qu’il déclenche une hostilité qui va jusqu’à une tentative de meurtre?

     Ce passage d’évangile est inséparable de ce qui le précède immédiatement (Lc 4, 14-20; évangile du 3ième dimanche du temps ordinaire, année C). Luc veut inaugurer le ministère public de Jésus par un discours programme où il va donner le sens de sa mission en se référant au livre d’Isaïe (Lc 4, 18-19; cf. Is 61,1 et 58,6). Il ne cache pas que Jésus avait déjà pris la parole auparavant et qu’il avait obtenu un certain succès (Lc 4, 14-15). L’épisode de la synagogue de Nazareth joue, dans l’Évangile de Luc, un rôle comparable à celui des béatitudes dans l’Évangile de Matthieu (Mt 5, 3-12).

Tous lui rendaient témoignage (v. 22).

     La première réaction de l’auditoire est sympathique. Rendre témoignage à quelqu’un se comprend le plus souvent dans un sens favorable. Par ailleurs, rien, dans le discours de Jésus, n’est de nature à choquer ses concitoyens. La parole de l’Écriture dont il annonce l’accomplissement (v. 21) est une bonne nouvelle pour les pauvres, les captifs, les aveugles. Les habitants de Nazareth avaient lieu de croire qu’ils étaient les premiers concernés par ce message de libération. L’étonnement suscité par Jésus est souvent coloré d’admiration (cf. Lc 8, 25; 9,43; 11,14) et cela se comprend bien en la circonstance puisque ses propos sont reconnus comme paroles de grâce, une expression propre à Luc qui désigne la Bonne Nouvelle du salut (cf. Ac 14,3; 20,32).

     L’enthousiasme n’est quand même pas total. Il subsiste une question concernant l’identité du messager : N’est-il pas le fils de Joseph? Cette interrogation est attestée dans les quatre évangiles (cf. Mt 13, 55; Mc 6, 2-3; Jn 6, 42; 7,27.41-42). Elle sous-entend que Jésus n’est pas qualifié pour la mission qu’il s’est octroyée (cf. Jn 7, 16-17). Le même doute affectera les premiers missionnaires chrétiens au début de l’Église (cf. Ac 4, 13-14). Les réserves des habitants de Nazareth ne sont pas seulement un souvenir du passé; au moment où Luc écrit son évangile la question est sans doute encore d’actualité.

Médecin guéris-toi toi-même (v. 23).

     Il est bien possible qu’il ait existé une forme de rivalité entre Nazareth et Capharnaüm, deux petites villes de province situées à peu de distance l’une de l’autre (environ 35 km à vol d’oiseau). Jésus a des raisons de croire que ses concitoyens jalousent les gens de Capharnaüm pour lesquels il a fait des miracles. Ne devrait-il pas en faire autant chez lui et même accorder un traitement de faveur à ceux et celles au milieu de qui il a grandi? Cette querelle un peu mesquine va lui fournir l’occasion de révéler un autre aspect fondamental de sa mission : l’universalité.

     Le message de libération du livre d’Isaïe s’adressait d’abord aux exilés que le roi de Perse, Cyrus, venait d’autoriser à rentrer dans le pays de leurs ancêtres (538 A.C.). Par la suite il fut toujours relu comme une promesse d’un avenir meilleur  lors des nombreuses épreuves subies par le peuple juif. Lorsque Jésus le proclame de nouveau et surtout lorsqu’il en annonce l’accomplissement pour aujourd’hui (v. 21), ses auditeurs devaient s’attendre au déclenchement imminent d’un grand mouvement de libération, peu importe la forme que cela pouvait prendre. Mais voilà qu’il oriente l’interprétation du discours dans un sens tout à fait différent.

     Plutôt que d’entreprendre une explication théorique concernant l’ouverture du salut aux nations païennes (et donc même aux Romains) Jésus rappelle deux épisodes bien connus de l’histoire. En ouvrant les frontières de la Bonne Nouvelle il ne pose pas un geste inédit, révolutionnaire ou blasphématoire, il porte simplement à son plein accomplissement ce qui était contenu en germe dans les gestes posés par Élie et Élisée (vv. 25-27). Non seulement les gens de Nazareth n’auront droit à aucun traitement de faveur par rapport à ceux de Capharnaüm mais les Israélites ne seront pas privilégiés par rapport aux païens. Les pauvres auxquels s’adresse la Bonne Nouvelle, ce sont tous les enfants de Dieu, peu importe leur origine ethnique.

Tous devinrent furieux (v. 28).

     Même si l’Ancien Testament ne manque pas d’exemples d’ouverture aux étrangers (voir, par exemple, l’histoire de Ruth) la tendance isolationniste finit par prévaloir (voir, par exemple : Esdras 9—10; Néhémie 13, 23-29). À l’époque romaine il est certain qu’un fort courant nationaliste agitait la population; il déboucha, en 66, dans la première révolte, au cours de laquelle Jérusalem et son temple furent détruits en 70. Dans ce contexte, la position de Jésus pouvait apparaître comme une pure provocation. Luc illustre, dès le début de son évangile, le conflit fondamental qui oppose Jésus à ses compatriotes juifs : d’un côté l’annonce d’un salut universel, de l’autre une conception strictement nationale de l’élection divine et des privilèges qui s’y rattachent.

     Dès ce moment la vie de Jésus est menacée. Déjà la passion se profile à l’horizon. Luc mentionne, sans donner de détails que Jésus échappe à ses agresseurs. Sa connaissance des lieux, où il était sans doute venu souvent durant son enfance, facilite sa fuite. Mais pour l’évangéliste cette évasion annonce déjà la résurrection. Dans l’affrontement avec les chefs de sa nation Jésus semble perdant, puisqu’il est condamné et exécuté; en fait il est le grand vainqueur puisque Dieu le ressuscite des morts.

Ne tremble pas devant eux (Jérémie 1, 17).

     La tradition chrétienne a établi très tôt un parallèle entre Jésus et Jérémie, le prophète mal aimé par excellence. Son auditoire fut principalement la population de Jérusalem et des environs (v. 18) – à son époque, c’était tout ce qui restait du Royaume de Juda – mais Dieu l’envoie comme prophète pour les peuples (v. 5). Une partie importante de son livre est constituée par les oracles contre les nations (Jr 25, 13b-38; 46,2—51,64). Leur contenu est fait principalement de menaces et d’annonces de malheur. Néanmoins, ils signifient que Yahvé exerce sa souveraineté sur toute la terre et que le sort des peuples étrangers ne lui est pas indifférent.

     Lorsque Jésus déclare : aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays (Lc 4,24), il pense sans doute au sort de Jérémie, objet de l’hostilité de ses contemporains, même de ses proches (cf. Jr 20, 7-18). Pourtant, malgré toutes ses difficultés, il n’est pas abandonné de Dieu qui lui promet sa protection : Je suis avec toi pour te délivrer (v. 19). Jésus aussi sait qu’il peut compter sur son Père; en toutes circonstances, même dans la mort, Dieu est avec lui (cf. Ac 10, 38). 

 

Jérôme Longtin, ptre

 

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2215. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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