Exigeant ? Oui !
En route pour Jérusalem. Mauvais accueil en Samarie : Luc 9, 51-62
Autres lectures : 1 Rois 19, 16b.19-21; Psaume 15(16); Galates 5, 1.13-18
En ce dimanche, la lecture évangélique nous situe à un point crucial dans la vie de Jésus. Celui-ci, en effet, entreprend sa montée vers Jérusalem, là où sa destinée terrestre sera scellée. Pour marquer l’importance et même la solennité du moment, l’évangéliste emploie une expression un peu particulière : Il prit avec courage la route de Jérusalem. Traduite littéralement, la phrase dirait : « Il durcit sa face.» L’auteur signifie ainsi que Jésus est déterminé à un point tel que les traits de son visage le laissent voir. Aucun obstacle, aucune épreuve, aucune souffrance ne saurait le dissuader de poursuivre sa route. Bien avant le Christ, le mystérieux serviteur de Dieu dans le livre d’Isaïe s’était comporté de manière semblable. Subissant «des outrages et des crachats, il a rendu [son] visage dur comme pierre (Isaïe 50, 6-7).
Ce n’est pourtant pas la première fois que Jésus se rend à Jérusalem : en bon juif, il y allait régulièrement pour les pèlerinages au Temple. Mais il sait que cette fois-ci, ce sera différent. Quelque chose, en effet, a radicalement changé chez Jésus : il a reçu le baptême de Jean, il a vécu un séjour au désert et il a commencé sa prédication en Galilée. Il est, pour ainsi dire, un homme nouveau qui ne laissera pas indifférents les représentants des autorités religieuses de la ville sainte…
Ça commence bien!
À peine Jésus a-t-il entrepris la route qu’il se heurte à un premier obstacle : un village de Samarie refuse de le recevoir. La Samarie se situe entre la Galilée et la Judée où se trouve Jérusalem, là où se rend le Christ. Il serait donc logique pour lui et ses compagnons de simplement traverser ce territoire, question d’emprunter le chemin le plus direct. Or la population samaritaine entretient un voisinage plutôt difficile avec ses voisins de confession juive en Galilée (au nord) et en Judée (au sud). Les Juifs, en effet, considèrent les Samaritains comme des impurs parce qu’ils sont de sang mêlé. De plus, les Samaritains, bien qu’observant la loi de Moïse, rejettent les autres écritures juives. Ils possèdent leur propre temple, concurrent de celui de Jérusalem. C’est pourquoi, apprenant que le groupe de Jésus se rend dans la ville sainte, ils lui refusent le passage. Au-delà de son caractère anecdotique, cet incident indique que la suite des choses ne sera pas de tout repos. Voilà qui donne le ton aux trois brèves rencontres qui vont survenir un peu plus tard (vv. 17-18, 19-20 et 21-22).
On se calme!
Dans l’entretemps, les disciples Jacques et Jean réagissent de façon pour le moins belliqueuse. Ils semblent se dire : « En voilà des manières! Ce n’est pas une façon de traiter notre maître. On va leur montrer à qui ils ont affaire, ces gens-là! » Mais du tac au tac, Jésus leur fait comprendre qu’il n’est pas question de recourir à quelque violence que ce soit contre la population du village de Samarie. Il les interpella vivement, précise Luc. L’évangéliste utilise ici la même expression employée auparavant lorsque Jésus chasse un démon (4, 35). Serait-ce une façon de laisser entendre qu’entretenir un désir de vengeance serait aussi grave que d’être possédé d’un esprit mauvais? Les disciples n’ont manifestement pas intégré l’enseignement sur l’amour des ennemis qu’ils ont entendu un peu plus tôt (6, 29). Raison de plus, pour Jésus, de les ramener à l’ordre.
On continue!
Plutôt que de céder à la violence, donc, Jésus choisit de simplement partir « pour un autre village ». Tout comme il avait commencé sa prédication à Nazareth en essuyant un refus, il amorce sa montée vers Jérusalem sur une note semblable. Ce que les Samaritains rejettent cependant n’est pas le message de Jésus mais sa destination : Jérusalem. Un revirement s’opérera après la résurrection, lorsque toutes les nations accueilleront la Bonne Nouvelle (Actes 8, 5-6). Pour le moment, le refus du village samaritain change les plans immédiats de Jésus, mais le but ultime demeure le même : la ville sainte. Aussi, le Christ reprend-il simplement la route, tout comme il avait poursuivi son chemin après la réaction hostile de son auditoire à Nazareth (Luc 4, 30).
Suivent trois brèves scènes ayant pour thème les difficultés à suivre Jésus. Les trois se ressemblent mais comportent de légères différences. Dans la première, un homme dit à Jésus vouloir le suivre. Dans la deuxième, Jésus en interpelle un autre qui, lui, pose ses conditions. Dans la troisième, un autre dit au Christ vouloir le suivre, mais il pose aussi ses conditions. Le premier et le troisième cas rappellent les pratiques du judaïsme rabbinique selon lesquelles le disciple demande au maître de le suivre. Jésus procède habituellement de façon inverse : c’est lui qui interpelle ses disciples.
C’est à prendre ou à laisser!
La réponse de Jésus au premier des trois hommes est en lien avec ce qui vient de se passer aux portes du village samaritain. Suivre le Christ, c’est accepter de ne pas avoir « d’endroit où reposer la tête », c’est-à-dire s’attendre à essuyer des refus comme un peu plus tôt, et devoir reprendre la route, plus souvent qu’à son tour.
Le deuxième homme formule une demande bien légitime avant de répondre à l’appel de Jésus: aller enterrer son père. Le Christ répond d’une manière qui nous parait assez dure au premier abord : Laisse les morts enterrer leurs morts. Mais en y regardant de plus près, ces paroles comportent sans doute une valeur symbolique. Les morts, en effet, ne peuvent pas enterrer « leurs morts ». Il s’agit donc d’une recommandation à prendre non pas au pied de la lettre, mais dans un sens spirituel. Quand Jésus nous appelle, il nous appelle à la vie et ce, de façon entière et radicale. Choisir de le suivre, c’est opter pour la vie, celle du Ressuscité, sur laquelle la mort n’a pas de prise.
Quant au troisième homme, il formule aussi une demande bien compréhensible : faire ses adieux aux gens de sa maison. Encore une fois, la réponse de Jésus n’est pas à prendre au premier degré. Elle signifie plutôt que choisir de le suivre, c’est accepter un certain nombre de renoncements, dont certains peuvent être particulièrement exigeants. Se retourner continuellement pour regarder ce qu’on a laissé derrière soi, c’est risquer de perdre de vue la route à suivre.
Changement de cap pour Élisée
Le choix de la première lecture en ce dimanche s’explique aisément : les versets 61-62 de l’évangile s’inspirent clairement du récit de l’appel d’Élisée. Celui-ci, après avoir, dans un premier temps, demandé de faire ses adieux à ses parents, finit par se raviser. Il pose un geste symbolique en brûlant non seulement ses deux bœufs mais aussi leur attelage. Il montre ainsi qu’il abandonne son gagne-pain pour se mettre définitivement à la suite d’Élie afin de servir le Seigneur.
Tourner définitivement la page
La deuxième lecture, comme c’est toujours le cas durant le temps ordinaire, n’est pas choisie en fonction des deux autres. Elle comporte cependant au moins un élément qui s’harmonise de belle façon avec la première lecture et l’évangile. Paul recommande aux Galates de ne pas reprendre les chaînes de leur «ancien esclavage». Cette exhortation rappelle comment Jésus interpelle deux hommes : Laisse les morts enterrer leurs morts et Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu. Il s’agit, finalement, de tourner la page définitivement, de choisir l’Évangile pour de bon.
Source: Le Feuillet biblique, no 2236. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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