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25e dimanche ordinaire C - 19 septembre 2010

 

 

Les affaires et la vie

La parabole du gérant habile : Luc 16, 1-13
Autres lectures : Amos 8, 4-7; Psaume 112(113); 1 Timothée 2, 1-8

 

« Les affaires sont les affaires », dit-on couramment. Dans notre société moderne, tout est bien compartimenté : le public et le privé, l’éducation et la santé, le travail, les loisirs, la politique, la religion ou la spiritualité, la science… et la sacrosainte économie, qui régit tout du haut de son piédestal. Aucune activité humaine ne peut plus se soustraire à son regard scrutateur. Elle juge de la valeur de tout, mais elle n’est elle-même jugée par personne. Tout doit désormais être comptable, rentable et profitable, sous peine de devenir insignifiant, délaissé ou même banni. Cet économisme outrancier assure son emprise sur des domaines jadis non monnayables : les arts, la culture, l’éducation, la science. Les artistes doivent produire de l’art qui se vend; les savants doivent chercher seulement si cela rapporte des dividendes. Même le bénévolat est aujourd’hui compté comme une activité qui contribue à l’économie et dont celle-ci ne saurait se passer!

La religion « économie »

     L’idéologie économique en vogue est une véritable religion, avec ses dieux de la finance, ses clercs comptables, sa morale du profit et son seul péché : le déficit. Il faut sacrifier nos enfants à ces dieux invisibles qui nous promettent un développement durable, une croissance sans fin… croissance réservée aux seuls performants, paradis millénariste qui tarde à venir et qui impliquerait la destruction de notre monde par pollution et tarissement de nos ressources.

     Holà! Je blasphème. En levant la voix contre l’indicible mystère du dogme économique, je porte atteinte à la seule chose qui soit vraiment sacrée dans notre monde : l’argent. Son usage est strictement règlementé par des codes de lois et tout l’appareil étatique et médiatique la protège des impuretés de nos consciences. « Les affaires sont les affaires », c’est le tabou de sainteté qui nous tient à distance, qui nous empêche de profaner le culte célébré quotidiennement dans l’Empire moderne.

De la dépendance à la liberté

     L’Évangile dénonce cette logique impériale. En tant que guide, l’argent est trompeur (Luc 16,9.11). Il engendre des liens basés sur la ruse et le mensonge, comme l’illustre la parabole du gérant malhonnête. C’est ça, « les affaires » laissées à elles-mêmes! L’argent est un maître ou un faux dieu, qui nous promet le bonheur si nous le servons, mais qui ne livre pas la marchandise en bout de ligne (Luc 16,13). Cette idole essaie de nous persuader qu’elle est compatible avec notre religion du cœur : tant que nous laissons autonomie et priorité aux « affaires », nous pouvons bien occuper notre temps libre à prier le Dieu que nous voudrons, en privé, à nos frais. Ce faux dieu nous inspire des habiletés de gérance et des stratégies de réussite qui font de nos proches des ennemis, ou au mieux des étrangers, et du reste des humains, des moyens pour s’enrichir.

     L’évangéliste Luc est catégorique. Se soumettre aveuglement à l’impératif économique, c’est apostasier de la foi au seul Dieu qui sauve. L’argent est un moyen pour faire du bien, pas un bien en soi. Le bien véritable ne se compte pas, mais il se perd facilement. Et si nous n’apprenons pas à soumettre l’argent à l’impératif moral, si nous ne développons pas des habiletés à le gérer au lieu de nous laisser gérer par lui, qui nous confiera le bien véritable, le bonheur auquel nous aspirons profondément et pour toujours? Gagner au jeu de l’argent, c’est investir sur des faux amis et des fausses demeures pour l’éternité (Luc 16,9). Les affaires ne sont pas que les affaires. Il y va de nos vies!

Le pouvoir outrancier de la richesse (Amos 8, 4-7)

Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits (Amos 8,7)

     De tout temps, Dieu nous envoie des prophètes comme Amos, qui osent exposer au grand jour le véritable culte auquel se livrent parfois des gens bien religieux. Aveuglés par l’appât du gain, les riches et les puissants minimisent les impacts de leur activité économique sur des populations appauvries. Ils contournent les règles et les disqualifient lorsqu’elles ne font pas leur « affaire ». Ils créent des nouvelles règles qui les avantagent, au détriment des droits des petites gens. Comme ils sont en haut de la pyramide sociale, les grands peuvent souvent s’en tirer impunément et se donner même bonne conscience, en s’imaginant que leur succès a des retombées positives sur l’ensemble de la population. Non seulement effacent-ils les traces de leurs méfaits derrière eux, mais encore ils se cachent à eux-mêmes la vérité de leurs agissements, afin de bien dormir et de continuer leur vie sans tracas. Si la religion est l’opium du peuple selon Marx, l’économie s’avère être la religion des riches, et c’est une drogue des plus sophistiquées. Dès lors, la parole du prophète vise la mise en lumière de ce qui est caché, le rappel de ce que l’on ne veut pas entendre. Le prophète affirme que Dieu voit tout et que Dieu se souvient. Parce que Dieu et ses prophètes sont là, les injustices ne passeront pas sous silence.

Prier et agir pour un ordre social juste (1 Timothée 2, 1-8)    

… afin que nous puissions mener notre vie dans le calme et la sécurité, en hommes religieux et sérieux (1 Timothée 2,2)

     L ’apôtre insiste pour que Timothée fasse des prières de demande, d’intercession et d’action de grâce pour tout le monde, incluant les dirigeants de la société. La sagesse apostolique veut que si l’on prie pour les chefs, les bonnes décisions seront prises et nous pourrons tous vivre en paix. Or prier ne veut pas dire fermer les yeux, ou taire les injustices dont on est témoin, même de la part des autorités. Nous sommes appelés à être sages comme l’apôtre et prophètes comme Amos. Notre dénonciation des abus du pouvoir ne vise pas l’anarchie, mais bien l’établissement d’un ordre plus juste et plus vrai. Nous devons prier pour que tous parviennent à connaître pleinement la vérité (1 Timothée 2,4), ce qui ne se fera pas en taisant ou en cachant les travers des gens notables. Ce serait un contre-sens de tolérer en silence des atrocités au nom de la stabilité sociale et de la paix publique. Il n’y aura de paix et de justice durables que dans la vérité. Autrement, « le calme et la sécurité » obtenus au prix des injustices et des cachoteries ne tiendra pas longtemps. Nous pouvons souhaiter comme l’apôtre qu’en tout lieu les hommes prient en levant les mains vers le ciel, saintement, sans colère ni mauvaises intentions (1 Timothée 2,8), mais pour que ce rêve devienne projet et réalité, il faut enseigner la foi qui sauve (2 Timothée 2,7), sans complaisance pour le culte de l’argent et du pouvoir.

 

Rodolfo Felices Luna, bibliste

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2239. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Pour le salut du monde