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26e dimanche ordinaire C - 26 septembre 2010

 

 

Que de fossés à combler!

La parabole du riche et de Lazare : Luc 16, 19-31
Autres lectures : Amos 6, 1a.4-7; Psaume 145(146); 1 Timothée 6,11-16

 

Une parabole originale – d’ailleurs unique à Luc - nous est servie en ce dimanche. Parabole dans laquelle on peut reconnaître des harmoniques et des thèmes chers à Luc tels que le danger des richesses, l’importance de l’aumône, l’urgence de la conversion et le renversement des situations présentes qu’opère la venue du Royaume de Dieu, renversement déjà annoncé par sa version des Béatitudes qui sont suivies, uniquement chez Luc, de leur antithèse correspondante (Lc 6,20-26).

     Ce récit n’est que l’illustration, en parabole, d’enseignements que le Jésus de Luc a déjà donnés à plusieurs reprises, à ce point-ci de son Évangile, à propos de l’usage des richesses 1. La parabole est servie en réponse aux ricanements des Pharisiens qui aimaient l’argent (Lc 16,14). Jésus veut, par celle-ci, déboulonner une croyance du judaïsme, aussi dangereuse que tenace, selon laquelle la prospérité matérielle serait un signe de la bénédiction divine 2 et, son terrible et cruel revers, que la pauvreté serait une malédiction sans doute méritée.

Un récit tout en contrastes…

     La parabole de Lazare et du mauvais riche est un discours bâti tout en contraste. Les discours en contraste sont sans doute une manière très juive, très rabbinique, de prêcher (du moins, la Bible nous en donne de maints exemples 3). Clairs, simples, ils ont l’avantage de frapper l’imaginaire, de faire assimiler aisément la leçon. Parce que l’auditeur qui entend le discours en contraste, doit obligatoirement dans sa tête se ranger d’un côté ou de l’autre. Par contre, ces discours possèdent le défaut de leur qualité : ils ne font pas dans la nuance. Rarement, la situation d’un homme est toute blanche ou toute noire, les discours en contraste éclipsent, au profit de l’efficacité, les nuances de gris dont la vie est souvent teintée.

… contrastes ici-bas

     Quels sont les contrastes de notre récit? Luc, dans son génie inégalé de raconteur, ne saurait dépeindre situations plus opposées que celles de ces deux hommes. D’un côté, un homme riche, couvert de vêtements de luxe et repus, chaque jour, de festins somptueux; de l’autre, un pauvre, Lazare, couvert de ses plaies, qui, non seulement voudrait bien manger ce qui tombe de la table du riche, mais qui, en quelque sorte, « est mangé » par les chiens qui lui lèchent les plaies! Quand on connaît la répugnance que la Bible a pour cet animal, c’est dire que Lazare est au plus bas de la misère humaine. Remarquez aussi que le pauvre porte un nom, et un nom significatif 4, lui conférant une dignité qui fait défaut au riche qui, lui, reste anonyme. Détail éloquent qui trahit, chez le Jésus de Luc, son option préférentielle pour les pauvres et annonce le retournement des situations dans le Royaume de Dieu. Les deux hommes ne sont égaux que devant la mort qui advient. Pourtant leurs manières de passer « de l’autre côté » contrastent encore.

…contrastes dans l’au-delà

Or le pauvre mourut, et les anges l'emportèrent auprès d'Abraham. Le riche mourut aussi, et on l'enterra.

     Lazare, ne possédant rien sur terre, est « élevé »; le riche, si attaché durant sa vie aux biens matériels, est « descendu », restant symboliquement lié à la terre. Leur sort, au séjour des morts, se trouve inversé : le fortuné terrestre est en proie à la souffrance, l’infortuné terrestre jouit du bonheur des justes auprès d’Abraham 5.

L’urgence de la conversion

      Alors il cria : 'Abraham, mon père, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.

      Contrairement à ce que laissait présager le début de la parabole, au séjour des morts, le riche connaît Lazare, le voit enfin et l’appelle par son nom, alors qu’il n’en avait cure lorsque ce dernier gisait, affamé et malade, devant son portail. Luc, en fin raconteur, pousse l’odieux jusqu’à l’extrême, car si Lazare se met soudain à exister pour le riche, ce n’est que pour tenter de le mettre à son service, soulignant encore plus l’égoïsme coupable du riche tourmenté. Mais un abîme infranchissable les sépare définitivement. Notez que ce « fossé » entre Lazare et le riche existait déjà : sur terre, il aurait été franchissable, si le riche avait voulu faire des pas vers son frère. Au séjour des morts, ce fossé, creusé par le riche lui-même, est devenu définitif et irrévocable. On rejoint, par cette image, une idée chère à l’Évangile de Luc, à savoir celle de l’urgence de la conversion, pendant qu’il en est encore temps.

     Abraham répondit : 'S'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts : ils ne seront pas convaincus.' »

     La pointe de la parabole réside dans sa finale. À la demande du riche d’envoyer Lazare « ressuscité » dans la maison de ses frères pour les « convertir », Abraham enjoint, non sans ironie, de prendre au sérieux la Parole de Dieu - dans laquelle, bien avant l’Évangile, on entend résonner les appels au partage avec les plus pauvres - au lieu d’attendre des signes extraordinaires. Il est vrai que le signe extraordinaire ne convainc pas nécessairement les cœurs : le signe spectaculaire d’une résurrection d’un certain « Lazare » dans l’évangile de Jean, loin de convertir tout le monde, accélérera plutôt la mort de Jésus (lire Jn 11,45-53). Et la résurrection, encore plus glorieuse, de Jésus n’a pas encore, à ce jour, converti l’ensemble de l’humanité – ou nous-mêmes, chrétiens - à pratiquer la fraternité universelle et le partage des richesses! À bon entendeur d’Abraham, salut!

Un étalage éhonté de la richesse (Amos 6, 1a.4-7)

     Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les meilleurs agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres (Am 6, 4).

     Amos est un prophète du 8ième siècle avant J. C. On pourrait l’appeler « le prophète de la justice sociale ». Bien que venant du Royaume du Sud, c’est dans le Royaume du Nord qu’il prophétise. Un Royaume du Nord qui connaît, à l’époque d’Amos, une période d’accalmie politique et de prospérité économique qui lui donne un sentiment de fausse sécurité. Cette richesse créera cependant des déséquilibres sociaux, de l’injustice et de l’exploitation au sein même du peuple de l’alliance, situation inacceptable que dénoncera Amos. Des gens sont devenus riches et font un étalage éhonté de leur situation de parvenus, par leurs riches demeures et de luxueuses habitudes de vie. L’extrait d’aujourd’hui illustre bien la critique virulente d’Amos à leur endroit.

___________________

1 Voir aussi Lc 12, 15.21.33-34; 14, 33; 16,13.

2 Le livre de Job semble accréditer cette croyante (voir Jb 1, 10; 42, 10-17). Par ailleurs, il ne manque pas de textes prophétiques pour la contredire, par exemple le livre d'Amos dont on lit un extrait en ce dimanche.

3 Voir par exemple le Psaume 1er, Jr 17, 5-8. L'enseignement sapientiel de la Bible utlise abondamment les discours en contraste (voir par exemple Pr 9, 1-6.13-18). De même que certains discours ou paraboles de Jésus (Mt 6, 24; 7, 13-14.24-27; 25, 31-46; Lc 6, 20-26; 15, 29-30; 18, 9-14; 21, 1-4, etc.).

4 Car habituellement les personnages des paraboles ne portent pas de nom, parce qu'ils endossent des typologies se voulant universelles. Or, ici, Lazare signifie : « Celui que Dieu aide », ce qui s'avérera le cas, dans le dénouement de la parabole.

5 Le but de Luc, dans cette parabole, n'étant pas de nous décrire la vie dans l'au-delà, mais bien l'urgence de la conversion en vue du salut, aussi recour-t-il aux représentations courantes de l'au-delà que le judaïsme se faisait à cette époque, soit celle d'un repas messianique auprès des patriarches. Voir aussi Luc 13, 28.

 

Patrice Bergeron, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2240. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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