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32e dimanche ordinaire C - 7 novembre 2010

 

 

Y a-t-il une vie après la mort?

La résurrection des morts : Luc 20, 27-38
Autres lectures : 2 Martyrs 7, 1-2.9-14; Psaume 16(17); 2 Thessaloniciens 2, 16 - 3, 5

 

Si par sa brutalité l’épisode sanglant du martyr des sept frères de la première lecture extraite du 2e livre des Maccabées peut heurter notre sensibilité, celui des sept frères mourant de mort naturelle relatée par l’évangile de ce dimanche a tout pour heurter notre intelligence. Étrange pour les modernes, le cas soumis à Jésus au temple de Jérusalem par les sadducéens a au moins le mérite de provoquer une réflexion sur le thème de la vie après la mort. La question serait-elle abordée sous un angle plus … intelligent qu’elle ne trouverait pas de réponse, l’intelligence humaine étant encore trop démunie pour y répondre par elle-même ! Y- a-t-il une vie après la mort, et si oui, que peut-on en dire ?

Une histoire rocambolesque

     Cette histoire rocambolesque des sept frères rapportée par les évangélistes Matthieu, Marc et Luc, chacun avec leurs nuances, devait souvent revenir dans ces discussions dont scribes, pharisiens et sadducéens étaient si friands. Alors que les scribes et les pharisiens admettaient l’existence de la résurrection, les sadducéens eux la rejetaient.  Dans les Antiquités judaïques, Flavius Josèphe écrit : « La doctrine des sadducéens fait mourir les âmes en même temps que les corps »1 et dans la Guerre des Juifs : « Ils [les sadducéens] nient la persistance de l'âme après la mort »2. Les trois évangélistes cités plus haut sont formels : Les sadducéens disent qu’il n’y a pas de résurrection (Mt 22, 23; Mc 12, 18; Lc 21, 27). 

     L’histoire des sept frères mourant les uns après les autres et épousant la même veuve est une application de la loi du lévirat (Deutéronome 25, 5-10). Probablement pas propre à Israël et déjà tombée en désuétude au temps de Jésus, cette loi avait été faite pour permettre la conservation de l’appartenance ethnique et de l’héritage à l’intérieur de la même famille. Mais au-delà de l’aspect juridique, on peut y voir un attachement au don de la vie qu’on ne veut pas perdre. Reçu des générations précédentes, on se devait de transmettre ce don. Encore aujourd’hui dans le monde juif, l’engendrement est de toute première importance : donnée par Dieu et transmise par les générations précédentes, la vie est un don qu’on a le privilège en même temps que le devoir de transmettre.

Dieu ne peut abandonner à la mort ceux qui ont vécu pour lui

     Progressivement on reconnaîtra l’autonomie de la personne humaine, son individualité. Cette reconnaissance appelle un corollaire : si j’existe en tant qu’individu, cette vie qui m’est donnée m’est-elle donnée pour un temps seulement? Serai-je abandonné par Dieu après ma mort? 150 ans environ avant l’époque de Jésus, dans la foulée du mouvement pharisien, l’épopée des frères Maccabées morts martyrs pour leur foi, marquera un tournant : Dieu ne peut abandonner à la mort ceux qui ont vécu pour lui. On confesse alors que la vie éternelle n’est plus limitée à la vie reçue des ancêtres et que l’on transmet à la génération suivante. Elle se continue après la mort.  Ainsi l’individu, tout en maintenant sa responsabilité de transmettre à la génération suivante la vie reçue de la génération précédente, voit sa propre mort comme une transformation de sa vie et non son anéantissement. Mais, tel que mentionné plus haut, il n’en est pas ainsi pour les sadducéens. « Derrière la question des sadducéens et dans la péricope évangélique, écrit François Bovon, c’est la définition de la « résurrection » qui est en jeu. Les Sadducéens s’en tiennent au système archaïque d’une vie véritable sur cette terre-ci, en ce temps-ci. Ce qui vient après la mort appartient au monde impersonnel et impuissant des ombres, au domaine sans vie de la Sheol » 3.La question qu’ils posent à Jésus illustre bien leur scepticisme : Eh bien ! cette femme, à la résurrection, duquel d’entre eux sera-t-elle la femme, puisque les sept l’ont eue pour femme ? (v. 33).

Les enfants de ce monde-ci et ceux du monde à venir

     Dans sa réponse, Jésus commence par opposer de façon symétrique et antithétique les deux temps et, surtout, les deux catégories humaines. D’un côté, tout le monde : Les fils de ce monde-ci (34a), et de l’autre, les justes ou les élus : Ceux qui ont été jugés dignes d’obtenir le monde à venir et la résurrection d’entre les morts (v. 35a).

     Les fils de ce monde-ci se marient et elles sont mariées (34b). Ils considèrent que la vie de Dieu dont ils sont porteurs est éternelle parce qu’elle est reçue des générations précédentes et transmise aux générations suivantes. Sa dimension d’éternité, ce qui fait qu’elle est éternelle, c’est sa transmission par engendrement. D’où la nécessité absolue du mariage pour la perpétuer.

     Quant à la catégorie humaine de ceux qui ont été jugés dignes d’obtenir le monde à venir et la résurrection d’entre les morts leur rapport à la vie éternelle est radicalement différent : Ils ne se marient ni elles sont mariées (20, 35). Pour eux, parce qu’ils ne peuvent plus mourir et  qu’ils sont comme des anges (v. 36), la vie éternelle n’est pas une affaire d’engendrement. Les verbes à l’indicatif présent de ces deux définitions parallèles rattachées à la proposition principale démontrent que pour eux la vie éternelle est déjà commencée ici sur cette terre. Elle est là, ici et maintenant. Comme pour enfoncer le clou, Luc ajoute : Et ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection (v. 36b). Avec cette affirmation, la conception de la résurrection que se font les scribes et les pharisiens fait un bond en avant. Alors que pour eux la résurrection vient logiquement après la mort, pour le Jésus de Luc, elle est déjà là, elle se vit ici et maintenant sur cette terre. Plus tard, la véracité de cette allégation sera confirmée par ses disciples lorsqu’ils feront l’expérience de sa présence dans leurs contacts intimes, personnels et communautaires avec lui.

Y a-t-il une vie après la mort ?

     Finalement, qu’en est-il de la résurrection ? Elle émane directement de Dieu. Elle est sa création, son œuvre. « Par son nom, Dieu est lié à l’« être »; de par sa nature, il est attaché à la « vie ». Il est en effet le Créateur et il demeure constamment le protecteur et le sauveur de la vie d’Israël. Le verbe « vivre » en hébreu est du reste très proche du verbe « être », si présent dans le nom même de Dieu. Les philologues disent même qu’au temps de Jésus les deux verbes se prononçaient de la même manière. Qui dit Dieu dit donc aussi le donateur de la vie. Et comme la mort n’est pas « naturelle » en Israël et pourles chrétiens, Dieu ne peut que s’y opposer »4 (p.104). C’est peut-être à partir de cette conviction que, puisant dans les seules Écritures reconnues par les sadducéens, Jésus reprendra la présentation que Dieu fait de lui-même à Moïse : [Je suis] le Dieu d’Abraham et Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob (Exode 3, 6  cité en Lc 20, 37b), ajoutant : Car tous sont vivants pour lui (Lc 20, 38). Dieu peut-il abandonner à la mort ceux qui, ayant vécus pour lui, sont devenus les siens ?

___________________

1J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Téqui, p. 39-40.

2Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, traduction de Julien Weill, livre 18, paragraphe 17

3Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, livre 2, 164-166

4François Bovon, L’Évangile selon saint Luc, Labor et Fides, p.97

 

Claude Julien, F. CH.

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2246. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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