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27e dimanche ordinaire A - 2 octobre 2011

 

 

La pierre rejetée par les bâtisseurs

Parabole des vignerons meurtriers : Matthieu 21, 33-43
Autres lectures : Isaïe 5, 1-7; Ps 79(80); Philippiens 4, 6-9

 

Les commentateurs du livre des Psaumes s’interrogent encore sur le sens exact de cette image, tirée du monde de l’architecture, qui apparaît en Ps 118(117), 22-23 (voir, par exemple : M. Girard Les Psaumes redécouverts T. 3 (1994) p. 236, n. 18). Manifestement, il s’agit d’un chef d’abord contesté et qui réussit malgré tout à s’imposer; il attribue son succès à l’intervention de Dieu. De telles situations se sont produites plusieurs fois dans le cours de l’histoire, en Juda, en Israël et dans les autres royaumes. Les auteurs du Nouveau Testament ont relu ces versets dans un sens christologique (en plus des passages parallèles à celui de Matthieu : Mc 12, 10-11 et Lc 20, 17, ce texte est cité en Ac 4, 11 et 1P 2, 4). L’image convient bien à Jésus, rejeté par les chefs d’Israël (les bâtisseurs) mais choisi par Dieu pour être le chef du peuple nouveau, intronisé par sa résurrection. La suite du psaume (v. 24) a d’ailleurs été retenue comme annonce pascale par excellence : Voici le jour que fit Yahvé (ou : le jour où Yahvé est intervenu) pour nous allégresse et joie.

     Dans la parabole des vignerons, cette citation est introduite de manière inattendue dans un contexte qui ne l’appelle pas (mis à part les travaux d’aménagement mentionnés au v. 33 rien dans le récit n’évoque l’architecture). Elle donne cependant une clef pour identifier, si on ne l’avait pas encore fait, le fils rejeté et mis à mort (v. 39). Si, en Mt 16, 18, Jésus désigne Simon pour être la pierre de fondation de l’Église, ici il ne fait pas de doute qu’il se considère lui-même comme la pierre rejetée par les bâtisseurs mais choisie par Dieu comme pierre angulaire. Paul l’a compris ainsi : La construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et les prophètes et pour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même (Éphésiens 2, 20).

Une allégorie historique

     Dans son état actuel la parabole des vignerons est une rétrospective de l’histoire d’Israël à la manière des prophètes, mettant en lumière les infidélités du peuple et ses refus d’écouter les envoyés de Dieu (voir, par exemple : Jr 7, 21-28; 25, 1-13a; Éz 16). Le rejet des prophètes est un thème constant dans l’évangile de Matthieu (cf. Mt 5, 12; 13, 57; 23, 33-36). Le refus d’accueillir Jésus et les persécutions subies par ses disciples se situent dans la continuité de cet endurcissement chronique (cf. Mt 10, 17-25). Matthieu, Juif lui-même et s’adressant tout probablement à une communauté composée principalement de judéo-chrétiens, a dû ressentir d’une manière particulièrement dramatique ce refus des chefs de son peuple d’accueillir le Sauveur (cf. Mt 23, 37-39).

Un homme … planta une vigne (v. 33).

     Les ressemblances entre Mt 21, 33 et Is 5, 2 ne permettent pas de douter que l’auteur de l’évangile se soit inspiré du texte d’Isaïe. Cependant l’image est utilisée de manière différente. Chez Isaïe la vigne déçoit celui qui l’a plantée, elle sera jugée et châtiée parce qu’elle ne produit pas des fruits adéquats (Is 5, 5-6). Dans l’évangile, la qualité des fruits n’est même pas mentionnée, seule la conduite des vignerons est en cause.

     La vigne représente le peuple d’Israël, les serviteurs sont les prophètes, et les vignerons, les responsables du peuple. La conclusion du passage (non retenue dans la lecture liturgique) le dit clairement : les grands prêtres et les Pharisiens, en entendant ses paroles, comprirent qu’il les visait (Mt 21, 45). La sentence, énoncée par les accusés eux-mêmes, annonce le remplacement des responsables indignes par d’autres qui seront plus fidèles : Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il donnera la vigne en fermage à d’autres vignerons qui en remettront le produit en temps voulu (v. 41). On trouve le même scénario en Jr 23, 1-4 avec cette différence qu’il s’agit de pasteurs plutôt que de vignerons.

Le Royaume de Dieu vous sera enlevé (v. 43).

     Dans un moment de découragement ou de mauvaise humeur, Isaïe annonce la destruction totale de la vigne : Je vais vous apprendre ce que je vais faire de ma vigne : enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée; elle ne sera plus ni taillée ni sarclée ; il y poussera des épines et des ronces; j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie (Is 5, 5-6). Par ailleurs on sait qu’Isaïe a continué d’espérer en la conversion de ses concitoyens, au moins de quelques uns qui formeront le petit Reste; cette espérance s’exprime par le nom symbolique de son fils Shaar Yashub (un reste reviendra) (cf. Is 7,3; voir aussi 1, 24-28; 2, 1-5; 8, 17; 9, 1-6 etc.).

     Dans la parabole évangélique, comme on l’a vu, le jugement concerne les vignerons, non la vigne. Matthieu, on l’a dit, a ressenti douloureusement l’échec partiel de Jésus auprès de ses concitoyens. Il comprend mal que le peuple élu, formé par Moïse, les prophètes et les sages, refuse le salut lorsque celui-ci lui est offert. Il attribue cette situation à l’endurcissement des chefs qui se comportaient comme si le peuple avait été leur propriété plutôt que celle de Dieu. La prophétie ancienne d’Isaïe au sujet de la vigne abandonnée et ruinée s’accomplit lors de la destruction de Jérusalem et la disparition des institutions liées au Temple en 70. Dans ce contexte, Matthieu met dans la bouche de Jésus cette sentence tragique, qu’il est le seul à avoir conservée : Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit (v. 43). Ce qui était déjà annoncé dans le récit de la visite des Mages (Mt 2, 1-12) s’accomplit avec l’entrée des païens dans l’Église, le nouveau peuple de Dieu. Paul, qui connaît aussi cette situation dramatique (cf. Rm 9, 1-5), envisage une solution moins radicale puisqu’il espère toujours en la miséricorde de Dieu (cf. Rm 11, 25-32).

Le Dieu de la paix sera avec vous (Philippiens 4,9).

     Le texte de Paul fait contraste avec les autres lectures qu’on vient de commenter. À l’atmosphère tragique et violente du jugement succède une exhortation sereine et pleine de confiance : Ne soyez inquiets de rien (v. 6).

     Toute l’Épître aux Philippiens est marquée par ce climat paisible bien que Paul l’écrive alors qu’il est en prison (cf. 1, 12-26) et que certaines menaces de la part des judaïsants pèsent sur la communauté (cf. 3,1—4,1). La sérénité ne vient pas de l’ignorance des problèmes mais de la confiance totale en Dieu (vv. 6-7).

     Calme et confiance ne sont pas synonymes de passivité. Paul presse ses correspondants de mener une vie digne de leur statut de chrétiens. Il le fait avec un langage emprunté aux philosophes de son temps (v. 8) ce qui est plutôt inhabituel. Il reconnaît que la morale des Grecs, dans ce qu’elle a de meilleur, n’est pas incompatible avec l’Évangile et ce vocabulaire était sans doute déjà familier aux Philippiens. Enfin, il se donne lui-même en exemple (v. 9). Il n’agit pas par orgueil mais pour montrer que le programme de vie chrétienne qu’il leur propose n’est pas irréalisable lorsqu’on laisse agir la grâce. 

 

Jérôme Longtin, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2284. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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La fidélité à la parole donnée