INTERBIBLE
Au son de la cithare
célébrer la paroleintuitionspsaumespsaumespsaumes
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Célébrer la Parole

 

orant
Imprimer

2e dimanche de Carême B - 4 mars 2012

 

 

Une pierre, deux coups!

La Transfiguration : Marc 9, 2-10
Autres lectures : Genèse 22, 1-2.9a.10-13.15-18; Psaume 115(116); Romains 8, 31b-34


En ce dimanche, Marc, par un seul récit, atteint deux cibles. Le récit de la Transfiguration de Jésus joue, en effet, deux rôles importants à l’intérieur de la trame narrative de l’Évangile de Marc : galvanisation et confirmation.

Remise en contexte

     Situons d’abord ce récit dans l’ensemble du 2e évangile pour bien saisir quel double rôle il joue. Jusqu’à récemment tout allait bien – ou presque – pour Jésus et ses disciples. Mises à part quelques controverses avec les scribes et les Pharisiens (Mc 2, 6.18; 3, 6), mis à part que sa famille le croit fou et veut le faire revenir à la raison (Mc 3, 21), le tableau de Jésus est plutôt reluisant : succès auprès des foules, exorcismes, guérisons, prédication efficace qui saisit les foules d’étonnement (Mc 1, 22.27). De plus, par deux fois déjà,  Jésus a nourri - à peu de frais ! - les foules affamées en multipliant les pains et les poissons (Mc 6, 34-44; 8, 1-9) 1. Il n’en fallait pas plus pour qu’à Césarée de Philippe, Pierre le reconnaisse comme Messie ou Christ (Mc 8, 27-30). Jésus est démasqué!

     Mais voilà où le bât blesse : les conceptions messianiques de Pierre et des autres disciples diffèrent de celles de Jésus. À partir de cette reconnaissance de Jésus comme Messie par les disciples, Jésus leur annoncera par trois fois qu’il lui faudra être rejeté, souffrir, mourir et ressusciter. Cependant chacune de ces annonces est suivie d’une réaction éloquente des disciples, qui montre bien à quel point ils n’entrent pas dans cette manière de « voir » le Messie de Dieu 2. Ils veulent le triomphe de leur Maître et, pour eux-mêmes, les honneurs collatéraux! Jésus, lui, leur annonce un Messie rejeté et incite ses disciples à prendre la dernière place! Même Pierre, à la toute première annonce des souffrances du Messie, voudra détourner Jésus de son chemin de croix et en subira une sévère remise à l’ordre de la part de son Maître (Mc 8, 32-33).

     Voilà où en sont les disciples lorsque Jésus prend à part Pierre, Jacques et Jean pour les emmener sur la montagne.

Osons une analogie

     Galvanisation : technique métallurgique consistant à tremper une pièce de métal dans un bain de zinc fondu ayant pour effet de la rendre plus résistante, plus forte. On pourrait, par analogie, parler de cet épisode de la Transfiguration de Jésus comme de la « galvanisation » des disciples qui en furent les témoins, Pierre, Jacques et Jean. Expérience mystique exceptionnelle devant les rendre plus résistants pour traverser les évènements traumatisants à venir, ceux de la passion et de la mort de leur Maître. Ce Jésus transfiguré, c’est donc déjà le ressuscité qui apparaît à leurs yeux. Et de voir à l’avance l’issue de gloire qui attend celui qui sera bientôt crucifié, devrait permettre à leur foi de résister à ce passage douloureux.

Pourquoi à eux et pas aux Douze?

     Si Jésus ne prend avec lui que Pierre, Jacques et Jean 3, c’est que, plus tard, la veille de sa mort, eux seuls assisteront – un peu endormis, mais quand même présents! - à l’agonie de Jésus, à son angoisse, à son sentiment de déréliction, au jardin de Gethsémani. Ceux qui verront de plus près le tragique de la mort du Messie, ne fallait-il pas les soutenir en leur permettant de voir, à l’avance, la gloire finale de Jésus? Certes, la fin de l’évangile de ce dimanche nous montre bien que, redescendant de la montagne, ils ne comprennent pas grand-chose à ce qu’ils viennent de vivre, mais il est de ces expériences spirituelles qui nous marquent, qui s’impriment en nous, mais dont la signification ne nous devient claire que plus tard.

Confirmation divine : Écoutez-le!

     Outre la « galvanisation » des trois disciples - futures colonnes de l’Église - le deuxième but de l’épisode de la Transfiguration de Jésus est de confirmer son identité divine et messianique. Jésus a compris sa mission de Messie à travers le livre d’Isaïe et la figure de son curieux Serviteur souffrant 4; interprétation messianique marginale sinon inexistante dans le judaïsme de son époque. Tous les juifs attendaient plutôt comme Messie un nouveau David (leader politique, un roi reprenant le pouvoir) ou encore, le Prophète devant venir en ce monde, promis à Moïse par Dieu (leadership spirituel renouvelant le judaïsme selon Dt 18, 15). Se pourrait-il que Jésus annonçant son « messianisme souffrant » se soit trompé sur le type de Messie qu’il devait incarner? L’épisode de la Transfiguration dissipe tous les doutes, chez Jésus, chez les disciples et chez le lecteur de Marc.

     Encore une fois ici, double cible ou double confirmation : de la part de Dieu et de la part de la Bible elle-même. Dieu confirme Jésus par la voix qu’entendent nos trois disciples : Écoutez-le. Cet impératif de Dieu n’est pas sans rappeler le « Shema (Écoute) Israël » 5 que le juif récite plusieurs fois par jour, sorte de profession de foi, de prière, d’exhortation à entrer de tout son cœur dans l’alliance d’amour avec le Dieu unique. Si désormais, c’est ce Jésus, le Fils bien aimé, qu’il faut écouter, serait-ce par lui qu’on entrera désormais dans l’alliance amoureuse avec Dieu? 6 Il semble bien, c’est Dieu qui nous le dit! D’autant que ce Jésus transfiguré est porteur de lumière, de blancheur et de gloire, tous des attributs divins : il est revêtu de Dieu et donc digne de foi.

     La deuxième confirmation de Jésus comme Messie vient de ces deux personnages qui s’entretiennent avec lui : Moïse et Élie. Le Messie devait venir comme un Prophète de la même trempe que Moïse (Dt 18, 15.18) et Élie devait préparer sa venue (Ml 3, 23). Moïse représente la Loi, Élie le prophétisme de l’ancienne Alliance. À eux seuls, ils résument toute la bible hébraïque, ils réassument symboliquement tout le judaïsme, sa quête de Dieu, ses aspirations au salut. Symboliquement, leur présence sur la montagne est l’inclination du judaïsme reconnaissant en Jésus l’objet de son désir. Jésus accomplit les Écritures. Toute la bible (la Loi et les prophètes) préparait à ce jour de Dieu, à la venue du Messie-Fils, au triomphe de la résurrection.

Pour nous, chrétiens d’aujourd’hui…

     Ce récit de la Transfiguration, en ce début de Carême, nous fait regarder déjà vers Pâques, but festif de notre marche de 40 jours. Or, partout présent dans la Bible, de la Genèse aux Évangiles, le chiffre 40, lié à une durée, évoque toujours un temps de maturation, de préparation menant à une autre étape de vie. Symboliquement donc, le Carême calque l’existence humaine. Le Carême est à notre vie présente ce que Pâque est à notre vie future. Il nous est bon de ne jamais perdre de vue le but final et glorieux de notre existence humaine, la résurrection promise et obtenue par la victoire du Christ. D’ici-là, sur notre route quotidienne, faite de joies et de souffrances, n’y a-t-il pas des moments de montagne où Dieu nous fait sentir sa présence « galvanisante », nous fait contempler l’issue glorieuse de nos vies, nous donnant le goût et le courage de traverser l’existence humaine avec tout ce dont elle est faite? À nous d’identifier ces transfigurations qui ont ponctué nos vies de disciples et d’y puiser la force de marcher avec Celui que la voix du Père nous exhorte à écouter.

___________________

1 Jésus multipliant les pains n’est pas sans rappeler deux grands personnages de l’Ancien Testament associés à des « miracles » alimentaires nourrissant des affamés : Moïse annonçant le don de la manne (Ex 16) et Élie, hébergé chez la veuve de Sarepta, pourvoyant miraculeusement huile et farine en des temps de famine (1 R 17,14-16).

2 Sur l’endurcissement des disciples, lire Mc 8,32-33; 9,33-37 et 10,35-45.

3 Parmi les Douze, Pierre, Jacques et Jean semblent avoir occupé auprès de Jésus une place privilégiée et joué un rôle prépondérant au sein de l’Église primitive, étant appelés les « colonnes » de l’Église » par Paul (Ga 2,9). À trois reprises, dans l’évangile de Marc, Jésus les prend à part avec lui et, curieusement, ces trois moments sont associés aux thèmes de la mort et/ou de la résurrection (Mc 5,37-43; 14,33-34 et ici, sur la montagne de la  Transfiguration). Jouant un rôle de « colonnes », il faut qu’eux, plus que les autres, aient été galvanisés dans cette foi en la résurrection.

4 Les quatre poèmes du serviteur souffrant, en Is 42,1-9 ; 49,1-8 ; 50,4-11 ; 52,13-53,12.

5 Paroles du Shema Israel tiré de Dt 6,4-5.

6 Sur l’exhortation à écouter Celui que Dieu suscite, comparer Dt 18,15 avec Mc 9,7.

 

Patrice Bergeron, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2306. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

Chronique précédente :
Quarante jours au désert