La loi ou la compassion?
Jésus guérit un lépreux : Marc 1, 40-45
Autres lectures : Lévitique 13, 1-2.45-46; Psaume 101(102); 1 Corinthiens 10, 31 - 11, 1
Ce récit de guérison d’un lépreux, tiré de l’Évangile de Marc est à la fois émouvant et étonnant. Un homme, plein de confiance envers Jésus, lui demande de le guérir de sa maladie; Jésus, pris de pitié, le guérit aussitôt. Mais voici que, sans raison apparente, il s’irrite contre lui. Puis il intime au miraculé de ne parler à personne de l’événement mais d’aller se montrer au prêtre et de faire l’offrande prescrite par Moïse. Au lieu de se taire, l’homme repart, proclamant haut et fort la nouvelle qu’il devait garder secrète; ce qui a pour effet que Jésus se retrouve assailli par les foules.
Difficile de s’y retrouver dans ce récit tissé de sentiments et d’attitudes contradictoires. Un récit qui, de tout temps, a donné du fil à retordre à ses commentateurs. On y a proposé différentes explications, dont celle que je reprendrai dans ce qui suit. En fait, la première lecture (Lv 13,1-2) ouvre la voie à cette explication.
Le Lévitique fait effectivement état d’une loi prescrivant à la personne atteinte d’une maladie de peau d’aller se montrer au prêtre. Pourquoi une telle démarche? Pour que le prêtre puisse évaluer s’il y a lieu d’isoler le malade. S’il est atteint de la lèpre, celui-ci doit nécessairement se tenir à l’écart de la population et signifier ouvertement son état par une tenue corporelle particulière et par l’avertissement verbal « impur! impur! » On comprend que ces précautions visent essentiellement à éviter la contamination. Par contre, lorsque le malade est guéri, il ne peut, de son propre chef, réintégrer la société. Il lui faut refaire sa démarche auprès du prêtre afin d’obtenir l’attestation officielle de sa guérison.
Jésus irrité contre le malade?
Revenons aux attitudes antagoniques de Jésus manifestées par des mouvements successifs de pitié et d’irritation. Pourquoi Jésus s’irrite-t-il contre le malade qui demande d’être délivré de sa souffrance?
Si étonnant que cela puisse paraître, il se pourrait fort bien que, dans le texte original, là où on fait état de pitié, il était plutôt question de colère à l’endroit du malade. En tout cas, dans des versions anciennes du texte, on lit effectivement « en colère » au lieu de « pris de pitié ».
Bien sûr, un tel comportement attribué à Jésus, si contraire à son image miséricordieuse à l’égard des malades, peut nous sembler invraisemblable. Pourtant, il n’est guère plausible de penser que des scribes aient ultérieurement changé la version originale où Jésus aurait spontanément manifesté de la compassion envers le lépreux pour lui attribuer un sentiment de colère. Au contraire, la tendance, en ce qui a trait aux modifications apportées aux manuscrits anciens, est plutôt d’embellir l’image de Jésus que de la ternir. Que Jésus se soit mis en colère contre un malade qui l’implore a donc pu sembler choquant. On aurait alors modifié le récit pour lui donner un contenu plus conforme à l’enseignement véhiculé par les premières communautés.
Pourquoi alors Jésus aurait-il manifesté de la colère envers ce malade qui s’approche de lui? Peut-être tout simplement parce que l’homme enfreint l’importante consigne de se tenir à l’écart du peuple. Il faut se placer en contexte et essayer d’imaginer la surprise et l’indignation des personnes présentes de voir sourdre ce malade qui, faisant fi de la loi, pose un geste carrément interdit, voire dangereux. Ce n’était pas une mince affaire! On n’a qu’à penser à ce que serait notre propre réaction, aujourd’hui, advenant une situation de contagion virulente non respectée dans notre propre environnement. Il est donc normal que le réflexe bien humain de Jésus face à une telle imprudence de la part du lépreux en soit un d’irritation. Après tout, il faut protéger la foule.
Une foi à toute épreuve
Mais le malade est-il vraiment cet inconscient, cet égoïste qui bafoue le bien commun pour obtenir son bien personnel? Ne nous méprenons pas, ce malade est un homme de sa culture et il connaît très bien la portée de l’interdit dont il est frappé et il connaît aussi l’opprobre que son audace est susceptible de lui attirer. On peut croire, d’ailleurs, qu’il a respecté la consigne du retrait jusqu’à ce que se présente l’occasion de s’approcher de Jésus.
Ces considérations mises en perspectives font donc ressortir cette puissance qui habite le lépreux, plus grande que toutes celles imposées par sa tradition. Une puissance qui le place au-dessus des conséquences logiques de son audace : la puissance de sa foi. Le lépreux sait, en effet, que s’il peut attirer l’attention de Jésus et formuler sa prière, il obtiendra la guérison, annihilant par la même occasion toutes les représailles que sa témérité aurait dû lui mériter.
Jésus, qui a bien saisi la profondeur de la foi du lépreux, se laisse toucher par elle. Il met alors à profit son talent de thaumaturge et guérit le malade, le délivrant de la honte dont il est affligé en lui permettant ainsi de réintégrer la société et de reprendre une vie normale. Il s’en suit alors ce qui devait arriver : le malade exulte de joie et proclame sa guérison, contribuant de ce fait à répandre la renommée de Jésus. Après tout, la lampe ne pouvait être tenue sous le boisseau!
Le visage humain de Jésus
Notre tradition chrétienne, qui confesse que Jésus de Nazareth est le Fils de Dieu, nous a trop souvent coupés de l’être humain à part entière qu’il a été. Jésus a vécu dans un contexte historique, culturel et géographique bien précis. Un contexte qui a influencé ses propos et ses gestes. C’est bien incarné dans ce contexte qu’il a œuvré pour le plus grand bien des siens. En son nom, il nous appartient, à nous chrétiens et chrétiennes, de continuer à faire vivre ses options comme il le ferait dans nos milieux respectifs.
Source: Le Feuillet biblique, no 2303. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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