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27e dimanche ordinaire B - 7 octobre 2012

 

Un radicalisme déconcertant

Mariage et divorce : Marc 10, 2-16
Autres lectures : Genèse 2, 18-24; Psaume 127(128); Hébreux 2, 9-11

Disons-le d’entrée de jeu, les textes de l’évangile de Marc proposés pour les 27e et 28e dimanche sont d’un radicalisme déconcertant. Qu’on en juge : Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d’adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d’adultère. (Mc 10, 11-2) Dimanche prochain, on entendra cette autre parole retentir dans nos assemblées dominicales : Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. (Mc 10, 25)

     Il y a fort à parier que bon nombre de commentateurs et d’homélistes ne résisteront pas à la tentation d’en adoucir le sens, arguant que ces textes relèvent d’une époque et d’une culture bien différente de la nôtre. Argument facile voire insidieux qui peut être appliqué à tout texte le moindrement dérangeant et contribuer ainsi à l’édulcoration des écrits bibliques dont un des objectifs est de répondre à la soif d’absolu et d’idéal de ceux qui les fréquentent.

« Mais si le sel perd son goût … »

     Par ailleurs, les limites du Lectionnaire étant de nous servir la Bible en petites tranches comme on sert un saucisson, il est dommage que le verset introductif  aux deux échanges que Jésus aura, l’un avec les pharisiens sur le mariage et l’autre avec l’homme riche sur la richesse, n’apparaisse pas au Lectionnaire. Il se lit comme suit : C’est une bonne chose que le sel. Mais si le sel perd son goût, avec quoi le lui rendrez-vous? (9, 50) Ce verset précédant tout juste le texte de ce dimanche pourrait être mis en exergue au dessus des deux textes évangéliques des 27e et 28e dimanches.  

« Jésus va dans le territoire de la Judée… »  

     Partant de là, Jésus va dans le territoire de la Judée, au-delà du Jourdain. (10, 1)On se demande pourquoi ce verset qui ouvre le chapitre 10 n’apparaît pas au Lectionnaire. Il est vrai que le segment de phrase au-delà du Jourdain pose une question d’ordre géographique due peut-être aux copistes ignorants de la géographie de cette région, la Judée ne s’étendant pas au-delà du Jourdain. Mais quand on sait que la Judée était le cœur de la religion juive, le lieu du temple avec ses officiels, l’endroit où se discutent et se définissent les canons de la religion, on comprend que cette mention a toute son importance. C’est là, en territoire de Judée que Jésus prodiguera ce qu’on pourrait qualifier « un enseignement officiel » concernant le mariage. La deuxième phrase du même verset omis par le Lectionnaire a aussi toute son importance : De nouveau, les foules se rassemblent autour de lui et il enseignait une fois de plus, selon son habitude. (10, 1) Plus qu’une discussion d’écoles entre spécialistes, l’enseignement de Jésus ne s’adresse pas seulement aux pharisiens, il s’adresse aussi à ces foules parmi lesquelles se lèveront des disciples qui deviendront le sel. Car c’est une bonne chose que le sel (9,50) !

« Pharisiens » et « piège »

     En ignorant les mots « Judée » et « foules »,le Lectionnaire met l’accent sur « pharisiens » et « piège » qui arrivent en tête du texte tel que découpé. Ce choix a pour effet de coincer les paroles de Jésus à l’intérieur d’un étau dont les mâchoires sont précisément les pharisiens et le piège, orientant ainsi la réflexion sur la façon avec laquelle Jésus va se déprendre du piège qui lui est tendu et limitant par le fait même la portée de ses paroles. La parole de Jésus sur le mariage va bien au-delà de la sortie d’un piège.

À cause de la dureté de votre cœur

     À la question de Jésus les renvoyant à la Loi de Moïse, les pharisiens répondrent : Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation (10, 4), faisant ainsi référence au livre du Deutéronome chapitre 24 versets 1 à 4. Connaissant la façon légaliste qu’ont les pharisiens de discourir, on aura tôt fait de passer vite sur leur réponse pour voir comment Jésus va s’en sortir. La réponse de Jésus : C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse a écrit pour vous ce commandement (10, 5), donne l’impression que Jésus ne réagit pas sur le fond de l’argument, argument pourtant bien appuyé sur la Loi de Moïse. En effet l’expression dureté de votre cœur (10, 5) peut paraître comme un jugement porté sur ses interlocuteurs alors qu’elle est une reprise de ce que Moïse avait déjà constaté concernant l’ensemble du peuple de Dieu. À propos du mariage, les pharisiens n’ont trouvé rien d’autres à citer ! 

     L’expression dureté de votre cœur n’est donc pas tant un jugement de valeur porté sur les quelques pharisiens qui l’ont abordé qu’un constat relayé par le début du chapitre 24 du Deutéronome portant sur  le rappel de l’infidélité chronique du peuple d’Israël par rapport à son Dieu. Par le truchement des pharisiens présents, c’est au peuple d’Israël dans son ensemble et à nous aujourd’hui que Jésus s’adresse. En montant en épingle l’acte de répudiation, les pharisiens ne s’en rendent peut-être pas compte, mais ils mettent en lumière les nombreux constats de rupture qui jalonnent l’histoire d’Israël avec son Dieu : Ainsi parle le Seigneur : Où est donc la lettre de divorce par laquelle j’aurais renvoyée votre mère ?, écrit le prophète Isaïe (Is 50, 1); C’est bien en raison de son adultère que j’ai répudié Israël-l’Apostasie, en lui donnant un acte de divorce, écrit pour sa part le prophète Jérémie (Jr 3, 8). Répétons-le, l’expression dureté de votre cœur utilisé par Jésus s’adresse à l’ensemble du peuple d’Israël, donc à nous aujourd’hui. On comprend dès lors que les deux locutions acte de répudiation et dureté de votre cœur sont intimement liées et se répondent l’une l’autre.

     Dans l’expression de Jésus dureté de votre cœur il y a le mot cœur. En parlant ainsi, Jésus élimine, si tant est que ce soit nécessaire, toute dimension juridique. Les prophètes l’ont répété sur tous les tons : la relation entre Dieu et son peuple en est une d’amour et de fidélité et non de contrat à base de règlements. Le prophète Osée s’est même servi de sa vie de couple pour en faire l’illustration vivante. Cette mystérieuse relation de Dieu avec son peuple qui porte le nom « d’alliance » est illustrée, symbolisée, signifiée par la relation de l’homme et de la femme dans le mariage. En considérant le mariage comme le sacrement, c’est-à-dire comme le signe visible de la relation entre Dieu et son peuple, on comprend dès lors que dans l’idéal il ne peut être question de divorce. Car, dans cette façon de voir le mariage, divorcer c’est annoncer que Dieu peut se séparer de son peuple ou que celui-ci a toute la liberté de le faire. Dans son essence, le mariage exprime, illustre d’une façon visible l’invisible mariage entre Dieu et son peuple.

     « C’est une bonne chose que le sel. Mais si le sel perd son goût, avec quoi le lui rendrez-vous? » (9, 50).

 

Claude Julien, F.CH.

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2328. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Un peuple de prophètes