De l'ovation à la dérision
L'entrée triomphale à Jérusalem : Marc 11, 1-10
Autres lectures : Isaïe 50, 4-7; Psaume 21(22); Philippiens 2, 6-11
Chaque fois qu’il y a une manifestation d’envergure dans les rues de la ville nous sommes à peu près certains que l’événement sera commenté dans les quotidiens avec un titre accrocheur. On parlera alors de la réussite ou de l’échec de ce rassemblement populaire. Au lendemain de l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem on aurait pu entendre sur toutes les lèvres : Le prophète de Nazareth en Galilée a été accueilli par une foule enthousiaste au cri de Hosanna! Quelle ironie! On avait pourtant dit que rien ne pouvait sortir de bon de ce village sans histoire (Jn 1, 46). Et pourtant un enfant de ce bled perdu est acclamé en libérateur. Bien sûr le vent tournera mais tenons-nous-en au texte.
Une première
Selon la lecture que Marc fait de l’événement et qui sera suivie par celle de Matthieu et de Luc, cette entrée à Jérusalem est du jamais vu. En effet, Jésus entre dans la ville sainte pour la première fois de sa vie de prêcheur itinérant, le premier jour de la semaine. Semaine durant laquelle il s’offrira lui-même pour le salut du monde. Pour notre propre salut.
La ville sainte, Jérusalem
La capitale biblique, Jérusalem, n’est pas une capitale ordinaire. La petite bourgade du 10e siècle, conquise par David, deviendra le lieu de rassemblement des douze tribus dont sera formé le peuple de Dieu. Devenue idolâtre, elle est prise et incendiée au 6e siècle. Ses habitants subiront l’exil. Ces déportés n’auront de cesse de l’idéaliser. De nombreux psaumes en témoignent. Le Psaume 137 est représentatif de cette mentalité : Comment chanter un chant au Seigneur en terre étrangère? Si je t’oublie Jérusalem, que ma langue colle à mon palais. Encore aujourd’hui, le rêve de la réunification du peuple sur la montagne de Sion est toujours vivant.
Le rêve d’un peuple
Quel est donc le lieu d’enracinement de ce rêve? À l’époque de Jésus, Israël rêvait toujours. Il rêvait d’être libéré du joug de la domination romaine. De père en fils on scrutait les Écritures pour essayer d’y découvrir les traits du libérateur tant attendu : le Messie de Dieu. Ce Messie glorieux entrerait avec faste à Jérusalem pour y chasser les Romains. Un psaume l’exprime : Vois, Seigneur, et suscite pour eux leur roi, le Fils de David, pour régner sur ton serviteur Israël (Ps 17, 21).
Le roi humble
Ce fils de David que la foule acclame et ovationne tel un roi, n’emprunte pas, à prime abord, les allures d’un conquérant. Pour éviter la confusion, Jésus révèle la sorte de dignité royale qu’il choisit : il réquisitionne le petit d’une ânesse que personne n’a encore monté. Les circonstances du choix de cet ânon sont relatées avec force détails. Petit, modeste certes, mais réservé pour le Seigneur (Mc 11, 4-7). Jésus se présente donc comme un roi humble.
Selon la coutume, un roi vainqueur se devait de se présenter devant le peuple monté sur un cheval de guerre et pénétrer dans la ville reconquise en héros victorieux. Jésus est en contradiction avec cette coutume. Il choisit la monture du pauvre. Encore là un passage du prophète décrit exactement la manière du nouveau roi, Jésus : Exulte de toutes tes forces, fille de Sion! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem! Voici ton roi, qui vient vers toi : il est juste et victorieux, humble et monté sur un âne, un âne tout jeune (Zacharie 9, 9).
Une brève espérance
On peut dire que Jésus rejoint le peuple dans son attente et dans sa soif. Mais soyons réalistes, il y répond l’espace d’une journée. La bulle qui contient le rêve, éclatera sous peu. Jésus ne veut pas les enfermer dans cette fausse attente, dans ce faux rêve. Il prend le risque de les décevoir. Ce qu’il propose en fait de libération est d’un tout autre ordre : Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous (Lc 6, 20). Son royaume n’est pas de ce monde : Nul ne peut voir le Royaume de Dieu, dira l’apôtre Jean (Jn 3, 3).
Les traces liturgiques
Ce mouvement populaire et spontané a laissé des traces liturgiques dans la fête d’aujourd’hui, ne serait-ce que la procession. Dans les pays nordiques comme le nôtre, la procession se résume à emprunter les allées de nos temples ou les corridors de nos chapelles mais la volonté est là. Elle met du nouveau dans les rites, de l’enthousiasme dans les chants. Les voix sont sincères et la procession convaincante avec le prêtre qui en prend la tête suivi de l’assemblée des fidèles. Si nous ne connaissions pas la suite, ce serait une réussite, un triomphe.
La procession est finie
Les derniers accords sont à peine plaqués que le drame se prépare. L’attente messianique, on l’a dit, est celle d’un roi guerrier. D’un roi dont l’armée puissante chasserait l’oppresseur. Le roi messie, Jésus, livrera sa bataille au fond des cœurs. Il vient libérer par le dedans, en douceur, en silence. Il vient déverrouiller ce qui est emprisonné à double tour : l’amour, le pardon, la non-violence.
Aussi, Jésus se retrouvera non pas solidaire des attentes immédiates de son peuple mais solitaire au milieu des siens. Ses contemporains, ces gens qu’il a guéris lui tourneront le dos pour la plupart. Ses apôtres qu’il a instruits s’enfuiront presque tous. Un le trahira, un autre le reniera. La réalisation de la promesse se situe au-delà. La victoire est ailleurs. Elle devra d’abord passer par la mort du « roi des Juifs » (Jn 19, 19).
Une même fête, deux événements
Aujourd’hui, nous célébrons dans une même cérémonie deux événements qui semblent vouloir s’opposer : l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et sa mort ignominieuse sur la croix entre deux bandits notoires. Comment réunir dans une même fête deux épisodes de la vie du Maître? N’est-ce pas essayer de réunir l’inconciliable? N’y a-t-il pas quelque chose de choquant de se réjouir juste avant de célébrer la Passion? Peut-être trouverons-nous une réponse si nous essayons d’y voir des points communs entre les deux récits plutôt que des oppositions.
Deux constantes majeures
Dans les deux textes, on retrouve deux acteurs principaux ayant des comportements semblables : la foule et Jésus. Une foule unanime qui proclame sa joie ou sa haine, et Jésus honoré des insignes royaux par la louange ou la dérision. Il y a dans ces deux points communs une double invitation : vérifier notre attitude de foi face au Christ et se poser la question : « À qui est-ce que je ressemble? » Ma vie n’est-elle pas un mélange des deux attitudes?
Source: Le Feuillet biblique, no 2310. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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