Le baptême du Christ. Jean Restout, 1748, huile sur toile, Inv. CA 449 Saisie révolutionnaire, Chartreuse de Champmol, Dijon.
Au Musée en 1799 © Musée des Beaux-Arts de Dijon / François Jay

Plonger dans la mort... pour révéler Dieu

Francine RobertFrancine Robert | Baptême du Seigneur (B) – 29 avril 2018

La prédication de Jean le Baptiseur : Marc 1, 7-11
Autres lectures : Isaïe 51, 1-11; Cantique : Isaïe 12; 1 Jean 5, 1-9

L’Évangile de Marc vient de commencer, sans récit de naissance, ni anges ni chorale céleste. Or dans chaque livre, la première arrivée du personnage principal est toujours l'objet d'un récit très soigné. L'auteur le présente sous l'angle qu'il juge pertinent pour offrir au lecteur une clé, une manière de regarder ce personnage. Quel angle Marc choisit-il ? On peut le percevoir dans la différence entre les versets 1 à 8 et le style du récit qui introduit Jésus : récit dépouillé, schématique.

En huit versets, Marc prépare ses lecteurs à l'arrivée de quelqu'un de très spécial : Il a désigné Jésus comme Messie et Fils de Dieu (v. 1), puis cité Isaïe annonçant un envoyé de Dieu (vv. 2-3) et Jean le baptiseur annonçant un plus fort que lui (v. 7). Pourtant à partir du v. 9, on lit un récit minimal, squelettique. Jésus vient de Galilée, se fait baptiser, remonte de l'eau, voit et entend certaines choses. On doit éviter de lire le récit en y ajoutant mentalement des éléments empruntés à Matthieu (3, 13-17) - ce que fait le Alléluia de la liturgie. La comparaison des détails est éclairante : ici, pas de dialogue montrant Jésus plus grand que Jean et pas de foule témoin d'un événement spécial : la théophanie est racontée comme une expérience réservée à Jésus.

La théophanie est un genre littéraire qui exprime une présence particulière et intense de Dieu, avec des symboles qu'on ne doit pas prendre au sens concret. Or dans son récit, Marc présente une théophanie « privée » : c'est Jésus qui voit les cieux se déchirer et l'Esprit descendre, c'est à lui que la voix parle. Il semble être le seul témoin de ces événements. Pas d'effets spéciaux ni de voix haut-parleur! Marc nous présente une expérience intérieure forte vécue par Jésus, sans gloire extérieure ni succès public. Seuls les lecteurs sont témoins de cette discrète théophanie. Pour eux, Marc mettra toujours de l'avant, dans son Évangile, l'angle qu'il choisit : la condition humaine de Jésus.

Une plongée dans la mort

 Jean a annoncé quelqu'un qui baptisera dans l'Esprit. Mais voici venir Jésus au Jourdain et se faire baptiser comme tout le monde. Marc ne dit pas pourquoi. Vérifions si ailleurs dans le livre il offre une signification possible à ce geste de Jésus.

En 10, 33-34, Jésus annonce sa mort pour la 3e fois. Les disciples ne veulent toujours pas l'entendre. Jacques et Jean demandent plutôt de partager sa gloire. Jésus répond en parlant encore de sa mort : Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? (10, 38).

L'image de la coupe revient dans tous les récits de son agonie comme figure de la mort prochaine. Marc ajoute ici l'image du baptême et lui donne le même sens : sa passion et sa mort. Le baptême, littéralement « immersion », offre une bonne image de la plongée dans la mort. Dans la Bible, les grandes masses d'eau symbolisent le lieu des forces de mort.

La mort de Jésus est une clé majeure de la foi de Marc. Donc il l'évoque dès l'entrée en scène de Jésus, par le sens qu'il donne au baptême et par le dénuement de son récit. Si nous y cherchons un événement glorifiant, nous ressemblons à Jacques et Jean qui répondent à l'annonce de la passion en demandant à voir plutôt sa gloire. Suite à quoi Jésus donne un enseignement sur le refus de la domination : Etre le premier, c'est choisir de se faire serviteur, esclave (10, 42-45). Pour Marc le Dieu révélé en Jésus renverse la logique que l'on attend de lui : non pas puissant et dominateur mais serviteur et vulnérable, comme Jésus.

La brèche ouverte : Dieu pour nous

En monde juif « les Cieux » désignent le lieu de Dieu. Dans le récit traditionnel, les cieux s'ouvrent, comme en Matthieu; ce verbe évoque une révélation à un prophète. Marc écrit plutôt que les cieux se déchirent. Même au sens français de ces deux verbes, on sent la différence. Ce qui s'ouvre se referme, mais la déchirure suggère une brisure, une brèche violente. Comme si, dans la vision chrétienne de l'événement Jésus, on découvrait une effraction, une ouverture définitive de Dieu à l'humanité.

Ce verbe déchirer (schizô) est assez rare. Marc l'utilise deux fois: ici et au moment de la mort de Jésus, justement. Le voile du Temple se déchire, ce voile qui ferme l'accès au Saint des saints, cette frontière qui protège le « lieu de Dieu ». On voit bien ici l'inclusion originale que Marc construit. Dès l'entrée en scène de Jésus, l'angle de lecture est proposé : dans la vie et la mort de cet homme, Dieu est révélé comme désormais accessible à tous et toutes, irrémédiablement. Révélation que Dieu confirme en ressuscitant Jésus. Le récit du baptême nous tourne vers la mort de Jésus : comme le centurion, c'est devant Jésus mort que nous sommes invités à reconnaître en lui le Fils de Dieu (15, 39). On comprend mieux alors pourquoi le récit de Marc est aussi sobre: ce n'est pas dans la gloire que Jésus révèle Dieu, mais plutôt dans la fragilité et le dénuement.

Un seul autre passage biblique parle de cieux déchirés : Isaïe 63, 20. Le peuple pense que Dieu l'a oublié, qu'il ne réalise plus les merveilles d'autrefois : Où est Celui qui fit remonter de la mer le berger de son troupeau ? Où est Celui qui mit en lui son Esprit saint? (...) Ah! si tu déchirais les cieux et si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant toi!

Le récit de Marc est proche de ce texte : comme Moïse, Jésus remonte de l'eau, l'Esprit vient EN lui (et non sur lui comme en Matthieu et Luc) et il sera le nouveau berger, qui libère le peuple et en prend soin. L'Esprit lui donnera la force annoncée par Jean: une force pour combattre ce qui aliène les gens. Marc racontera de nombreux récits de guérison et définira la force de Jésus par sa capacité à délivrer les gens des « esprits mauvais » (3, 22-27). Et ce sera comme berger que Jésus est ému de voir la foule désemparée, qui cherche un enseignement sur Dieu (6, 34).

Pourtant le Dieu espéré en Isaïe 63-64 est tout-puissant : Si tu déchirais les cieux et si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant toi! les nations trembleraient quand tu ferais des prodiges terrifiants. Mais cette théologie ne correspond pas au Dieu révélé en Jésus selon Marc : plutôt que de s'imposer avec puissance, il acceptera d'être rejeté. Par les images de déchirures des Cieux et du voile, Dieu se révèle accessible à tous, consentant totalement à la liberté des humains face à lui.

Relecture du baptême chrétien

Pour les premiers chrétiens baptisés à l'âge adulte, le récit tellement sobre de Marc pouvait évoquer leur propre baptême: plonger dans la cuve baptismale et en remonter, recevoir l’onction signifiant le don de l'Esprit, et être désigné comme fils et fille de Dieu. Une expérience intérieure forte!  Paul nous rappelle que, à la suite de Jésus, c’est en sa mort que nous avons été plongés (Romains 6,4), afin de témoigner de ce même Dieu avant de participer à la vie nouvelle de sa résurrection.

Frncine Robert est professeure à l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

Source : Le Feuillet biblique, no 2429. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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