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1er dimanche de Carême B - 22 février 2015

 

La condition humaine :
vivre avec anges et bêtes

 

Le Christ dans le désert

Le Christ dans le désert par Ivan Kramskoï (1872)

 

 

 

Baptême et tentation de Jésus : Marc 1, 12-15
Autres lectures : Genèse 9, 8-15; Psaume 24(25); 1 Pierre 3, 18-22

 

Le premier dimanche du carême nous présente toujours Jésus au désert, tenté par Satan. Dans notre mémoire surgit un beau et long récit de trois tentations, dont celle de changer les pierres en pain. Le récit de Marc est si différent et si bref, à peine deux versets, qu'il paraît insignifiant à côté du récit familier tiré de Matthieu 4 et Luc 4. Pourtant, Marc propose une catéchèse originale et cohérente avec l'ensemble de son livre.

     Tout d'abord Jésus n'est pas mené au désert mais poussé; au sens littéral : chassé. On a ici le même verbe que dans les récits où Jésus expulse les esprits mauvais. Dans d'autres récits, ce verbe signifie envoyer ailleurs, mettre dehors, faire sortir. Les verbes conduire ou mener (cf. Mt et Lc) tournent le regard vers le lieu où l'on va. Mais chasser attire aussi l'attention sur le lieu d'où l'on vient. D'où vient Jésus ? de son baptême par Jean au Jourdain. Pour surmonter les coupures du Lectionnaire, lisons à la suite: Et une voix vint des cieux : Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur. Et aussitôt l'Esprit le chasse au désert. Jésus a vécu un moment de plénitude, d’intimité avec Dieu. Le voici expulsé de cette expérience rare et précieuse, de ce moment de certitude spirituelle. L'Esprit le pousse ailleurs, vers la solitude et la mise à l'épreuve. La véritable incarnation exige de sortir d’une proximité divine qui servirait de garantie au Fils de Dieu. Sa position dans le désert sera celle de tous les humains, pour qui la présence aimante de Dieu n’est pas évidente. Même Fils de Dieu, Jésus doit vivre cette épreuve, comme nous.

     Comme nous ? notre mémoire se rappelle plutôt la victoire décisive de Jésus sur Satan au désert. Et nous projetons cette mémoire sur le récit de Marc. Pourtant, il n'y a là ni victoire ni défaite. Pas de jeûne non plus. C'est un récit étrange: après la mise en place du début, il n’arrive rien, aucun changement ne se produit. Jésus est tenté par le Satan durant les quarante jours (pas seulement à la fin), et il est tout ce temps avec les bêtes et les anges. Tous les verbes sont conjugués à l'imparfait; tout se passe en même temps, et il n'y a pas d’événement final.

Vivre avec l'ambiguïté

     Jésus vit donc l'épreuve de la durée, dans une situation ambiguë et inconfortable. Le vocabulaire grec de la tentation évoque la mise à l'épreuve, le test. C'est bien le sens du mot dans le Notre Père: ne nous soumets pas à l'épreuve, n'éprouve pas trop sévèrement notre foi. La tentation, pour Jésus, serait de sortir de cette ambiguïté, de retrouver la plénitude de la présence divine ressentie au baptême. Sa victoire, dans le récit de Marc, consiste à tenir cette position, à consentir à cette apparente absence de Dieu. Il la vivra plus durement encore à la croix: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?

     Poussé au désert, Jésus côtoie les bêtes sauvages. La violence, la prédation et la mort qu'elles représentent, rappel de la menace contre la fragilité humaine. Il les côtoiera toute sa vie, car elles font partie de l'humanité et de nous-mêmes, tout autant que la fragilité. Les anges sont là aussi. Témoignage indirect de la sollicitude de Dieu, leur présence n'annule pas l'épreuve. Il les rencontrera aussi dans sa vie, comme nous en rencontrons parfois. Car ils sont comme nous, à l'image de Dieu.

     Fort de cette expérience de consentement à la condition humaine, Jésus en sortira en proclamant partout la Bonne Nouvelle: Dieu se fait tout proche! Pour nous, c'est la Nouvelle Alliance.

L'Alliance universelle du Déluge
(Genèse 9, 8-15)

     La première lecture de ce dimanche permet des liens intéressants avec le récit d’Évangile. Toutes les cultures anciennes ont des récits de déluge. Les auteurs de la Genèse ne savent pas ce qui s'est passé, mais ils se demandent pourquoi ce serait arrivé. On lit leur réponse au chapitre 6, 5-13. Dieu constate que la création dérape vers la violence, que les humains détruisent leur chemin de vie. Affligé et profondément déçu, il décide de tout détruire pour recommencer à neuf. Dieu est affecté par le mal et il lutte contre lui. On pourrait dire qu'ici, il combat le mal par le mal, la violence par une violence plus grande encore.

     Le texte de la liturgie propose la finale du récit (Gn 9, 8-15). On y lit que Dieu change d'idée et s'engage à ne plus jamais réagir ainsi. Car détruire toute violence équivaut à détruire les hommes. Il choisit une autre solution: l’alliance. Il tentera d'amener les humains à découvrir petit à petit le chemin de leur humanisation. Il s’engage à la patience et la miséricorde.

     Il faut réaliser l'originalité théologique de ce texte. Dans la tradition biblique, l’alliance concernait la relation particulière de Dieu avec son peuple Israël. Mais ici l’alliance est conclue avec toute l'humanité. Dieu se positionne comme Celui qui veut la vie, qui fait alliance avec toute vie humaine. Il consent à la prendre comme elle est, pour l'amener plus loin. Je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme, car les pensées de son coeur sont mauvaises dès sa jeunesse (8, 21). Le récit précise que Dieu fait alliance même avec « les bêtes sauvages qui sont avec vous ». Qui représente aussi la sauvagerie des humains. Dieu consent au monde réel, mélange de bon et de mauvais. Monde dans lequel la violence côtoie le service, où l'homme peut être un loup pour l’homme, un prédateur. Mais aussi monde dans lequel on rencontre des anges, des personnes témoins de la tendresse de Dieu. Il n'y a pas de déni en Dieu, pas d’idéalisation mensongère, mais au contraire prise en charge de l’humanité comme elle est, incluant ses côtés sombres.

Croire à la Bonne Nouvelle du Dieu tout proche

     Ce premier récit biblique d'alliance annonce déjà pour nous la nouvelle alliance en Jésus : Dieu invite les humains au même choix que lui. Renoncer librement à toute violence envers l’autre, choisir le chemin de l'humanisation, qui est un chemin de vie.

     Et il va infiniment plus loin: devenu si proche de nous, devenu l'un de nous, fragile et vulnérable dans ce monde imparfait. Que pourrait être la tentation pour un Fils de Dieu? La même que pour Dieu jadis, peut-être: détruire la violence par la force, manifester la puissance divine et obliger les humains à s'ajuster au rêve de Dieu. Mais dans la toute première alliance, Dieu a consenti à une humanité qui a encore du chemin à faire. Il a choisi une autre approche: l’alliance, la relation.

     En Marc, la Bonne Nouvelle proclamée par Jésus est que Dieu, dans sa relation à nous, a déposé les armes. Il n’a que la force de l’amour pour faire échec aux pulsions de violence et de refus qui nous habitent, quitte à en être lui-même victime. En ressuscitant Jésus, le Dieu de la vie se révèle fidèle à lui-même: sur le chemin qu'Il a choisi et qu’Il nous propose, la Vie et l’amour auront toujours le dernier mot contre la mort.

 

Francine Robert, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2435. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Dieu entend la plainte des captifs