INTERBIBLE
Au son de la cithare
célébrer la paroleintuitionspsaumespsaumespsaumes
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Célébrer la Parole

 

orant

Imprimer

6e dimanche ordinaire B - 15 février 2015

 

Dieu entend la plainte des captifs

Guérison d'un lépreux

Jésus Christ purifiant un lépreux par Jean-Marie Melchior Doze, 1864

 

 

Jésus guérit un lépreux : Marc 1, 40-45
Autres lectures : Lévitique 13, 1-2.45-46; Psaume 101(102); 1 Corinthiens 10, 31 - 11, 1

 

La maladie fait partie de nos vies : en nous ou chez des gens qui nous sont proches. Elle nous rappelle que nous sommes fragiles, vulnérables. La personne malade éveille en nous tristesse et compassion. Comme Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui. La détresse du lépreux l’atteint fortement, le « prend aux tripes », selon une expression familière proche du mot grec ici, qui évoque les entrailles physiques. Au sens propre, ça lui fait mal au ventre. Porté par cette émotion, Jésus touche l’homme malade et le guérit. On serait si heureux de pouvoir, comme lui, guérir l’autre d’un geste! On se sentirait tellement moins impuissant. Si on ne fait pas de miracle, qu’est-ce qu’on peut faire ?

Être malade aux temps bibliques

     Dans une société de performance, la maladie éveille aussi un certain malaise. Ce malaise social trouve un écho lointain dans le monde juif, reflété par la première lecture (Lv 13,1-2.45-46). Ce texte est dur: le lépreux déclaré impur est exclu de la société. Il doit manifester visiblement son statut de paria (vêtements déchirés, cheveux en désordre) et le crier bien fort pour que les gens l’évitent. Donc en plus de subir la Loi, il doit l’intérioriser, se voir lui-même comme la Loi le voit : avoir honte et se cacher. Cesser d’exister dans la vie des autres. Sûrement, tous les témoins de la scène, pharisiens ou non, sont choqués de voir ce lépreux transgresser la Loi en s’approchant, et plus choqués encore de voir Jésus l’accueillir!

     La Loi de Moïse est fondée sur la transcendance et la sainteté de Dieu, qui préside à l’ordre du monde. Pour maintenir cet ordre, on a besoin de règles claires et précises. Les notions de pur et impur font partie de ces règles. Le péché rend impur, bien sûr, mais la notion d’impureté inclue aussi tout ce qui touche la mort et la fécondité, forces mystérieuses associées au monde divin. Et elle concerne tout ce qui sort de la normalité et crée une insécurité sociale. Le lépreux n’est pas jugé coupable, pas plus que la femme qui accouche où l’homme qui a le devoir d’embaumer son père. Mais les trois sont impurs et devront se purifier pour s’approcher à nouveau du Dieu Saint.

     Souffrant d’une quelconque maladie de la peau, le dit « lépreux » déclaré impur est incapable de se purifier s’il ne guérit pas. Victime d’un état insolite durable, il perturbe l’ordre normal des choses. Ce n’est pas sa maladie qui le rend contagieux, mais le désordre qu’elle manifeste : le chaos menace l’équilibre fragile du monde. Il y a là un certain écho du malaise social actuel face à toute maladie grave, incurable. Au temps de Jésus, ces lois qui protègent l’ordre social sont le don de Dieu pour le salut du groupe. Ainsi pensent les Galiléens et les disciples de Jésus qui le voient accueillir et toucher le lépreux. Selon la Loi, ce qui touche l’impur devient impur; un désordre produit d’autres désordres. Pourquoi donc Jésus touche-t-il ce lépreux, alors qu’il guérit presque toujours par une simple parole?

Un récit en tension : Loi de Dieu, salut de Dieu

     Ce récit ne raconte pas une guérison facile et paisible. Il est rempli de tensions et d’émotions contradictoires. Cette manière de raconter la scène peut-elle refléter une tension interne de Jésus ? Il dit qu’il n’est pas venu abolir la Loi. Mais voici un malade qui n’a pas intériorisé cette Loi : il la transgresse publiquement, il refuse de s’exclure, d’agir en paria. Il n’est pas « un malade »; il n’est pas sa maladie, mais une personne que la maladie a frappée. Ajoutée à sa détresse, cette réclamation audacieuse de sa dignité touche Jésus avec force. Il ne guérit pas cet homme d’un mot, rapidement. Non! Pris aux entrailles, il s’engage. Il ne touche pas le malade, mais la personne. Ce seul geste est déjà une guérison, autre que physique: il réintègre cet exclu dans le corps social et religieux.

     Le geste de Jésus est illégal, comme celui du lépreux. Les voilà tous deux hors-la-loi. Pourtant la Loi n’est pas annulée, ni dans la société, ni en Jésus : il ordonne aussitôt à l’homme de se soumettre à ce qu’elle prescrit pour sa guérison. Il parle avec brusquerie, comme s’il passait de la compassion à la colère (la traduction liturgique affaiblit le mot grec). Sans qu’on sache pourquoi, il chasse le lépreux avec irritation. Ces émotions contraires peuvent refléter une tension intérieure.

     Jésus veut révéler en tous ses actes un Dieu qui aime et sauve. Devant le besoin évident, il a agi dans un élan spontané. Mais  son acte contredit une Loi dont les gens ont besoin aussi, qui les rassure. D’où les tensions de ce récit : transgression de la Loi approuvée et même imitée par Jésus, suivie d’un ordre d’obéir à cette même Loi qui vient de Dieu. Dans l’Évangile de Marc, c’est le premier récit montrant Jésus aux prises avec la Loi. Pas d’affrontement avec les scribes et les pharisiens, ici. Cette tension est en Jésus lui-même. Le Dieu qui lui inspire son geste entre en contradiction avec le Dieu qui a donné cette Loi de salut. Pourtant Jésus continuera à agir ainsi; il a fait son choix. Selon Paul dans la seconde lecture de ce dimanche (1 Co 10, 31 – 11, 1) : Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu (1 Co 10,31). Quand Jésus accueille des impurs, des exclus, des pécheurs, il révèle la gloire de Dieu. Car la gloire de Dieu, c’est la personne debout et sauvée, même si c’est parfois contraire à Sa Loi.

     Une dernière tension clôture ce récit : l’homme guéri en parle à tout le monde. Il désobéit à l’ordre de silence donné par Jésus, tout comme il a désobéi à la Loi. De sorte qu’en finale, Jésus se retrouve dans la position que la Loi assignait au lépreux: obligé d’éviter les lieux habités, il ne peut plus entrer en ville ouvertement. Comme disait Isaïe : Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies (53, 4). Mais Jésus attire plein de gens, même dans les lieux déserts. Cette finale annonce déjà l’aboutissement du conflit. Jésus continuera de révéler un Dieu sauveur qui déborde librement les limites de sa propre Loi. Il sera condamné au nom du Dieu de cette Loi qui exclut les indignes de Lui. Et Dieu le relèvera, manifestant sa gloire qui surpasse toute Loi, fut-elle la plus sainte. Désormais le Christ Ressuscité attire à lui plein de gens, même dans les lieux écartés réservés aux hors normes, ceux que la Loi rend captifs.

Un miracle à notre portée

     Deux miracles sont accomplis ici. Le premier n’est pas au-delà de nos capacités: le geste qui confirme la dignité de la personne malade ou exclue, et restaure sa pleine participation au corps social. C’est ce premier miracle, source de guérison intérieure, qui donne le sens profond du second. Il se produit chaque fois que nous surmontons les tensions ou malaises devant quiconque nous rappelle nos fragilités personnelles et collectives. Nous répondons alors à l’appel de Paul qui invite à imiter le Christ : nous reflétons le visage du Dieu qui entend la plainte des captifs, selon le Psaume de ce dimanche (102, 21).

 

Francine Robert, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2434. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

Chronique précédente :
Une journée dans la vie de Jésus