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25e dimanche ordinaire B - 20 septembre 2015

 

Jésus conteste!

 

 

 

 

Deuxième annonce de la Passion : Marc 9, 30-37
Autres lectures : Sagesse 2, 12.17-20; Psaume 53(54); Jacques 3, 16 - 4, 3

 

Comme si c’était un secret de famille, Jésus parle à ses disciples de réalités angoissantes. Elles vont à l’encontre de son honneur et de son statut. Son propos de meurtre et de résurrection est particulièrement troublant… en apparence (Marc 9, 31). Car quiconque connaît le Livre de la Sagesse comprend que la mort du juste ne peut laisser Dieu indifférent : Si ce juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera, et le délivrera de ses adversaires (Sagesse 2, 18). Que sa mort soit déshonorante ne devrait pas empêcher l’action salvatrice de Dieu. Le psaume 53 (54) développe la prière du juste dans les circonstances : devant les puissants qui cherchent sa perte, Dieu vient l’appuyer et l’aider.

     Les propos de Jésus font peur aux disciples (Marc 9, 32).  Jésus s'est-il trompé sur les motivations de son entourage?  Il s'est choisi des disciples qui semblent surtout soucieux de leur place les uns par rapport aux autres (Marc 9, 33-34). Les disciples ont un point de vue différent de celui de Jésus quant à l'attitude qui convient pour gérer les rapports entre les personnes. Se pourrait-il que les disciples reflètent simplement le sens commun de l’époque?  Que Jésus propose un point de vue différent, un point de vue divin?

Chacun sa place

     Au temps de Jésus, dans les pays de la Méditerranée, chaque personne tient mordicus à son rang et à ses privilèges. Dans l’antique société, les rôles sociaux sont figés depuis la naissance. Connaître son rang exact est important pour la gestion du quotidien. La préoccupation des disciples au sujet de leur place relative est donc normale et légitime. Dans un tel contexte, les disciples ont raison de discuter de leur position dans le groupe. Pour eux, il s’agit « des vraies affaires »! Par contre, leurs propos détonnent si on les compare avec les paroles semi angoissantes semi optimistes de Jésus.

     L'honneur consistait à tenir sa place, à se conformer à son rôle.  Dans un tel contexte, les propos de Jésus (être dernier et serviteur pour devenir premier, verset 35) prennent davantage de force : ils sont carrément explosifs! En demandant à ses disciples de se faire serviteurs de tous, Jésus propose une ouverture exceptionnellement grande. En suggérant d'accueillir un enfant en son nom, Jésus rappelle que les relations qui comptent aux yeux de Dieu ne font pas toujours grimper dans l'échelle sociale.  Les relations qui contribuent au maintien de la vie, pour le pur plaisir d'être attentif à la vie fragile, doivent désormais entrer en ligne de compte. Pour ne citer qu’un exemple d’incarnation de ces valeurs à notre époque, pensons aux Foyers de l’Arche de Jean Vanier…

Du serviteur à l’enfant

     Une autre caractéristique du texte évangélique pose question.  Le texte de ce court évangile semble déjanté, bien chaotique. Combien de sujets différents y sont abordés? À première lecture, un francophone en perçoit quatre : le sort prévisible de Jésus; la fuite des disciples devant ces propos; la discussion sur les places et la valeur du serviteur; l'accueil des enfants. Y aurait-il dans ce texte d’évangile un fil conducteur désormais invisible pour les lectrices et les lecteurs francophones? Jésus propose aux disciples de se faire serviteur, puis leur suggère d'accueillir un enfant. Nous ne saisissons pas le lien. Ce recul de l’état adulte à l’enfance nous donne l'impression d'un coq-à-l'âne. En fait, il y a « sous le texte » un jeu de mots impossible à saisir en français. En araméen, la langue de Jésus, on peut jouer facilement sur les mots « serviteur » et « enfant ». Le même mot araméen véhicule les deux sens. Un peu comme en français le mot « femme » fait penser à une personne féminine ou, plus spécifiquement, à une épouse. Ou comme le mot «homme» a trois sens en français: la personne au masculin, l'être humain en général ou le mari d'une femme.

     Mais Jésus ne fait pas que jouer sur les mots. Il reste très cohérent. Autant le serviteur que l'enfant, dans la société du temps de Jésus, sont des gens sans importance. Les serviteurs, à cause de leur rang social; les enfants, à cause du risque immense de mortalité infantile. Serviteurs et enfants n'ont pas à se prononcer lors d’une quelconque décision. L'enfant comme le serviteur sont ceux à qui on ne demande jamais leur avis. Le serviteur comme l'enfant sont dépossédés de leur existence comme personne. Ils sont fragiles, et de corps et d'esprit. Pour survivre, dans la société du temps de Jésus, ils doivent accepter d'être complètement décentrés, ouverts sur les personnes dont ils dépendent.

     Dans la société où vivait Jésus, l'enfant est vraiment vulnérable, dépendant. Accueillir un enfant, c'est donner de la considération à quelqu'un que la société tenait pour négligeable.  Jésus révèle alors un paradoxe sensationnel. Accueillir un enfant, au nom de Jésus, accueillir un être humain vulnérable, en étroite communion avec Jésus, « en son nom », c'est accueillir Jésus. C'est accueillir aussi son envoyeur divin (verset 9, 37).  Dans l'accueil de l'être vulnérable, le Tout-Puissant se donne et se laisse rencontrer. Nous souvenant de la première lecture, au livre de la Sagesse (2, 18), nous osons ajouter : le Tout-Puissant vient dans la faiblesse accueillie relever son serviteur ou sa servante fidèle, lorsque ces disciples sont injustement dénigrés.

Notre vie goûte-t-elle l’évangile?

     Jean Radermakers lit dans cet évangile une perspective nouvelle de la morale chrétienne :« Ainsi, l'Évangile de Marc ne présente pas la morale chrétienne comme un code de lois à observer.  Pour lui, elle consiste essentiellement à suivre le Fils de Dieu fait homme dans sa mission de Fils de l'homme, en assumant, à son exemple et par sa grâce, la cause des petits, des pauvres, dans un esprit d'obéissance disponible, de fidélité dans l'amour, de détachement des biens et du profit »  (Feu nouveau, volume 34, numéro 10/11, août-septembre 1991, pages 11-12).

     Sommes-nous vraiment évangélisés? Sommes-nous entrés dans la dynamique du relèvement proposé par Jésus, le relèvement des morts vécu par la seule grâce de Dieu? Oui, si nous appliquons les critères de service de Jésus dans nos décisions quotidiennes. Par contre, si nous trouvons que les disciples devaient en priorité chercher un bénéfice ambitieux dans leur engagement à la suite de Jésus, non, l’évangile n’a pas encore fini son mûrissement dans notre vie.

     Remarquez qu’il n’y a rien de honteux à gérer une certaine ambition. Vouloir occuper un beau poste au travail ou une position rutilante dans un groupe d’amis n’est pas déplacé. C’est même une force vitale. Ce qui s’avère déplacé, c’est une ambition qui occupe tout notre champ de vision intérieur. Une ambition dévorante, qui se soulage avec la jalousie et la violence, devient un malheur à répétition. La grâce de Dieu peut nous délivrer de ces déséquilibres. La Lettre de saint Jacques est particulièrement clairvoyante : elle oppose les actions malfaisantes à la sagesse alimentée par Dieu. Jalousie et rivalités provoquent désordre et actions mauvaises, tandis que la sagesse de Dieu génère paix, tolérance, compréhension, miséricorde (Jacques 3, 16-18).

     Alors, comment vivre les fruits de la sagesse de Dieu? Jésus parle d'accueillir un enfant. Ce n'est pas une invitation à rétrograder dans le romantisme fleur bleue de notre jeune temps.  Jésus parle de quelque chose d'infiniment plus grave que de faire des câlins aux plus jeunes. On peut se limiter à entendre dans les paroles de Jésus un appel romantique à faire attention aux plus petits. Nous nous limitons alors à quelque chose d'assez naturel pour chacun de nous... quand les enfants sont propres et bien mouchés. Quand Jésus parle d'accueillir un enfant, c’est plus qu’une invitation à respecter l'enfant qui est en nous.  Jésus propose d’aller au-delà de la morale peu exigeante des livres de psychologie populaire de tabagie ou de dépanneur.

 

Alain FAucher, ptre

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2456. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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