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1er dimanche de l'Avent C - 29 novembre 2015

 

Lire Luc et Jérémie lorsque l'Empire contre-attaque

Jérémie se lamentant de la destruction de Jérusalem

Jérémie se lamentant de la destruction de Jérusalem (tableau de Rembrandt).

 

 

La venue du Fils de l'homme : Luc 21, 25-28.34-36
Autres lectures : Jérémie 33, 14-16; Psaume 24(25); 1 Thessaloniciens 3, 12 - 4, 2

 

La liturgie de ce dimanche propose un extrait de l’Évangile de Luc encadré par des textes portant sur le Temple. Plus spécifiquement sur la destruction de Jérusalem et de son Temple en 70 par l’armée romaine. Le texte de Jérémie proposé par la liturgie est en réaction à la première destruction de Jérusalem et de son Temple en 587 av. J. C. par les forces de l’empire babylonien. Luc et Jérémie proposent des pistes de réflexion sur la présence de Dieu en temps de crise. Ils ont un regard prophétique qui peut encore éclairer notre monde aux prises avec d’autres pouvoirs impériaux.

Jérusalem en 70

     Un lecteur de l’Évangile de Luc au premier siècle ne pouvait lire le chapitre 21 sans penser à ce qui s’était passé à Jérusalem en 70. Les versets précédant l’extrait de la liturgie de ce dimanche le montre bien : Quand vous verrez Jérusalem encerclée par les armées, sachez que l’heure de sa dévastation est arrivée (Lc 21,20).

     Après un siège, les soldats romains ont envahi Jérusalem. Ils ont mis le feu à la ville. Puisque les rebelles s’étaient réfugiés au Temple, celui-ci fut complètement pulvérisé. Plusieurs sont morts, « tombés au fil de l’épée », d’autres « emmenés captifs dans toutes les nations ». Les premiers lecteurs de Luc connaissent cette scène de destruction. Certains faisaient peut-être partie du groupe qui a « fui dans les montagnes » en « sortant de la ville ».

     La destruction de Jérusalem a été un événement catastrophique pour les judéo-chrétiens. Elle pose une question importante. Pourquoi Dieu a-t-il laissé la ville sainte se faire détruire? Comment se peut-il que la demeure de Dieu ait été profanée à ce point? Luc écrit quelques années après cet événement. Il tente de l’interpréter, de lui donner un sens. Il indique que Jérusalem sera piétiné par des païens jusqu’à ce que le temps des païens soit rempli (Lc 21,24). Cette expression est mystérieuse. Peut-être qu’elle indique qu’il s’agit du temps nécessaire pour que la Bonne Nouvelle se rende jusqu’aux autres nations. C’est ce que Luc raconte dans son deuxième livre, les Actes des Apôtres.

Jérusalem en 587 av. J. C.

     La destruction de Jérusalem et son Temple par l’armée romaine rappelle celle de 587 par l’armée babylonienne. Cette destruction et l’exil qui a suivi ont complètement bouleversé le peuple qui se retrouvait sans Temple, sans terre et sans roi. Ils se demandaient comment Yahvé, leur Dieu, a pu laisser cela arriver. Cette question a permis une vaste réflexion qui a donné une bonne partie des textes de l’Ancien Testament. Voici le schéma de la réponse des prophètes par rapport aux empires étrangers.

  1. Au départ, Dieu s’oppose à l’empire étranger.
  2. Puis, Dieu utilise le pouvoir de cet empire pour punir son peuple de ses infidélités.
  3. Enfin, après la destruction, Dieu sauve son peuple et juge sévèrement l’empire étranger.

     Ce schéma utilisé pour comprendre la destruction de Jérusalem en 587 av. J. C. est repris pour comprendre la destruction de Jérusalem en 70. Le texte de Jérémie 33,14-16 est situé dans le troisième temps de cette démarche. Après la punition, le Seigneur adresse une parole de bonheur, de salut, de justice, de sécurité à son peuple qui en a bien besoin. La prédication des prophètes bibliques va toujours à contre-courant : quand tout va bien, les prophètes avertissent qu’il faut se retourner vers Dieu, alors que quand tout va mal, ils donnent l’espoir d’un jour meilleur.

Ce n’est pas la fin du monde

     Bien que le chapitre 21 de Luc soit de style apocalyptique, il est intéressant de noter qu’il ne présente pas la chute du Temple comme la fin des temps. L’avenir reste ouvert. Ce n’est pas la fin du monde. La vie ne s’arrête pas dans cette scène de désastre. Le texte interpelle le lecteur à persévérer, à rester éveillé, à prier en tout temps.

     De même, le chapitre 21 de Luc invite ses lecteurs à voir la chute de Jérusalem non plus comme un signe de dévastation, mais comme un signe annonçant une nouvelle forme de présence du Seigneur. Jadis, le Temple était le lieu de la gloire de Dieu. Avant sa construction, une colonne de nuée jouait le même rôle. Elle précédait le peuple lorsqu’il marchait au désert après la sortie d’Égypte. Maintenant qu’il est détruit, la présence de Dieu n’est plus au Temple, c’est le Fils de l’homme qui va venir, entouré d’une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire (21,27). Le prophète Ézéchiel avait aussi parlé de la gloire de Dieu quittant le Temple lors de sa destruction. Cette gloire divine qui s’en ira en exil s’arrête d’abord sur le mont des Oliviers (Ez 11,23). Luc 21,37 précise justement qu’après avoir enseigné au Temple, Jésus se retire sur le mont des Oliviers. Plus qu’une coïncidence, il s’agit d’un clin d’œil de Luc pour que le lecteur associe Jésus et la gloire de Dieu. Dieu est présent là où se trouve Jésus.

     Inséré avant la passion de Jésus, ce texte permet déjà au lecteur d’anticiper ce qui vient. Jésus va mourir, un peu comme Jérusalem a été détruite en 70. Mais, l’histoire ne finit pas là. Luc invite ses lecteurs à chercher la présence de Dieu dans le Christ ressuscité. Et ce, même après les événements dévastateurs de 70.

L’empire contre-attaque

     Après la révolte juive, en 70, l’Empire romain contre-attaque et détruit Jérusalem et son Temple. En reprenant des thèmes de l’Ancien Testament, Luc utilise cette dévastation pour réfléchir sur la présence de Dieu en Jésus. Ce n’est plus le Temple ou les prêtres qui représentent Dieu. Ce ne sont plus l’Empereur ou le gouverneur qu’il a mis en place qui manifeste la présence des dieux. Jésus a été tué par les autorités politiques et religieuses de son époque. Les représentants du pouvoir impérial l’ont exécuté. Pourtant, c’est lui, le marginal qui n’était ni prêtre ni représentant de Rome qui est au centre du royaume de Dieu. Il représente l’antithèse du pouvoir impérial.

Se tenir debout, malgré la peur

     L’extrait de l’Évangile de Luc lu ce dimanche commence par la mention d’une angoisse et d’une épouvante si extrême que les « hommes détalleront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde ». Pourtant, il se termine avec l’assurance de « se tenir debout devant le Fils de l’homme ». Même devant les pires atrocités des guerres vécues à Jérusalem en 587 av. J. C. et en 70 l’évangile invite ses lecteurs et lectrices à se préparer, à « rester éveillés » pour « être dignes » et « se tenir debout ». La puissance de l’armée impériale romaine a bien la force de détruire et tuer sur son passage, mais l’évangile invite à avoir un regard critique devant tout cela. Il ne s’agit pas de réformer l’empire, de s’y opposer par la violence, ni d’être complètement passif. Les chrétiens sont appelés à adopter une posture de résistance, en marge des structures de pouvoir pour vivre une expérience spirituelle et communautaire alternative dans l’anticipation de la transformation divine du monde.

     En préparant la naissance de Jésus et la fête de Noël, je vous propose de prendre la posture prophétique de Marie qui au début de l’Évangile de Luc exalte le Seigneur parce qu’il jette les puissants de leurs trônes et élève les humbles (1, 52). Nous aussi pouvons résister aux pouvoirs impériaux de notre monde. L’Évangile nous présente des critères pour discerner ce qui est bon de ce qui ne l’est pas. À nous de vivre des valeurs évangéliques pour transformer le monde dans lequel nous vivons.

 

Sébastien Doane, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2466. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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