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26e dimanche ordinaire C - 25 septembre 2016
 

Le riche, pauvre de coeur

Illustration de Lazare à la porte de l'homme riche par Fyodor Bronnikov, 1886.

Illustration de Lazare à la porte de l'homme riche par Fyodor Bronnikov, 1886.

 

 

La parabole du riche et de Lazare : Luc 16, 19-31
Autres lectures : Amos 6, 1.4-7; Psaume 145(146); 1 Timothée 6, 11-16

 

Voici un passage propre à Luc qui surprend et dérange. Comment le bon et doux Jésus a-t-il pu enseigner une telle parabole où un homme est tourmenté pour l’éternité sans aucune possibilité de secours ni pour lui, ni pour ses cinq frères toujours vivants? Où est passée la miséricorde de Dieu? Regardons ce texte de plus près afin de percevoir qui, au juste, manque de compassion.

Lazare passé sous silence

     Ce passage de l’évangile de Luc se divise en deux parties : le récit de la vie, de la mort et du destin post-mortem du riche et de Lazare (Lc 16, 19-23), suivi du dialogue entre le riche et Abraham (Lc 16, 24-31). Cette division fait immédiatement surgir un contraste aux yeux du lecteur. En effet, dans la première partie de la parabole, Lazare et le riche sont les personnages principaux, dont les vies puis les destins inversés sont brièvement racontés. Alors que, dans la seconde, l’avant-scène est occupée par Abraham et le riche, entre lesquels s’installe un dialogue en plusieurs étapes. Dans la première partie, nous avions connaissance des désirs et des souffrances de Lazare, mais dans la seconde, il est réduit au rôle de messager potentiel, un rôle souhaité par le riche, mais fermement refusé par Abraham. Lazare est donc totalement éclipsé dans cette deuxième partie du récit, au profit du dialogue qui se tisse entre Abraham et le riche. Ce contraste met en évidence l’hypocrisie, le manque d’introspection et l’absence de compassion du riche. Durant toute sa vie, il a vu Lazare souffrir à sa porte et aurait pu faire le bonheur de ce dernier avec ce qui tombait de sa table, c’est-à-dire sans rien perdre des biens dont il jouissait. Et maintenant qu’il souffre lui-même, il n’a pas plus d’égard pour Lazare auquel il ne daigne même pas s’adresser. La situation de tourment dans laquelle il se trouve, et dans laquelle se trouvait auparavant Lazare, cette condition humaine commune, aurait dû lui faire réaliser que lui et Lazare sont égaux et aurait dû faire en sorte de le rapprocher de cet autre être humain avec qui il partage en définitive les mêmes joies et les mêmes peines. Mais il s’adresse à Abraham au lieu de se tourner vers ce frère en humanité. Plutôt que de lancer une triple interjection de « père » (Lc 16, 24.27.30) vers ce patriarche qu’il voit pour la première fois, il aurait dû offrir un triple « frère » à cet homme qui gisait à chaque jour tout près de sa propre porte (Lc 16, 19-20).

Trois requêtes refusées

     Mais puisqu’il ne « s’abaisse » pas à s’adresser à Lazare, portons notre attention sur l’échange qu’il entretient avec Abraham. Celui-ci se compose de trois demandes qui sont tour à tour refusées par le patriarche. Chacune d’entre elle débute par une formule de politesse personnelle : « Père Abraham » (v. 24), « père » (v. 27) et « père Abraham » à nouveau (v. 30). Le riche tente, en rappelant son appartenance à la nation juive, de s’attirer des réponses favorables à ses demandes. Abraham répond « mon enfant » à la première requête du riche, mais ce titre filial disparaît dans les réponses suivantes au riche. Les deux dernières répliques d’Abraham sont non seulement moins intimes, mais aussi beaucoup plus brèves. La patience du patriarche s’en va en diminuant à mesure que la discussion s’étire.

     La première supplication du riche (v. 24) met bien en valeur le retournement complet  de situation. Le miséreux Lazare se retrouve maintenant en paix dans le sein d’Abraham, alors que le privilégié riche subit les tourments des flammes de l’Hadès. Malgré ce revirement radical, le riche, lui, n’a aucunement changé. Il considère toujours Lazare comme un simple subalterne qui ne servirait qu’à obéir au résultat de son marchandage avec Abraham. Le riche n’a pas été transformé par les événements. Il est toujours le même être qui n’a aucune considération pour Lazare et qui demeure encore principalement préoccupé par son propre bien-être personnel. La réponse d’Abraham est catégorique et sans espoir pour le riche. Non seulement il est trop tard, mais il est aussi absolument impossible de modifier son sort. Le refus radical d’Abraham s’explique donc, non pas par une absence de compassion du patriarche, mais comme étant une conséquence de la dureté du cœur du riche et de son incapacité à changer. Pourquoi Abraham serait-il soudainement pris de pitié pour ce riche qui n’a aucunement cheminé? 

     La deuxième demande du riche (vv. 27-28) s’oriente maintenant vers le destin de ses frères auxquels il souhaite éviter ce lieu de supplice. Une fois de plus, sa requête démontre qu’il n’a rien compris. S’adressant encore à Abraham, et ignorant toujours Lazare, il continue de voir ce dernier comme lui étant subordonné et ne servant qu’à réaliser son projet d’avertir ses frères. Mais est-ce bien là la leçon qu’il devrait tirer de la situation? Que l’important, c’est d’échapper aux flammes de l’Hadès? Que l’essentiel, c’est d’éviter de souffrir? N’aurait-il pas plutôt dû demander à Abraham : « Je te prie donc, père, de m’envoyer, moi et non pas Lazare, vers mes frères pour que je les exhorte à partager, à prendre soin des miséreux qui sont à leur porte et à comprendre que nous sommes tous des êtres humains de même valeur aux yeux de Dieu »? Ou encore : « Je te prie, père, de m’envoyer auprès des miséreux pour que je leur porte un message d’espoir » ? La réponse laconique d’Abraham ils ont Moïse et les prophètes; qu’ils les écoutent se réfère certes à tous ces passages de l’Ancien Testament où la même richesse égoïste est condamnée et où le même avertissement est servi. Mais la réponse d’Abraham va plus loin. Elle protège d’abord Lazare, qui n’a pas à jouer le rôle de subalterne que le riche voudrait bien lui imposer, puis elle affirme que Dieu a déjà envoyé de nombreux messagers porter le même appel à son peuple. Pourquoi refaire faire à Lazare ce que les prophètes ont déjà fait des centaines de fois?

     La troisième requête (v. 30) est encore pire, car voici que le riche cherche maintenant à instrumentaliser Lazare, qu’il tente d’exploiter son statut de mort afin d’arriver à ses fins. Eh bien bravo! Non seulement le riche refuse de reconnaître Lazare comme son frère en humanité, non seulement il le considère toujours comme un être inférieur à son service, mais voici qu’il cherche en plus à exploiter sa condition! La réponse d’Abraham sert à refuser l’exploitation du statut de Lazare. Mais plus important encore, elle est une condamnation de la dureté du cœur du riche et de ses frères. Faut-il vraiment un miracle pour qu’un riche éprouve de la miséricorde pour le pauvre qui git tous les jours à sa porte? Cette compassion ne devrait-elle pas se faire de manière spontanée? Ne devrait-elle pas jaillir naturellement du cœur du riche sans l’aide d’un miracle?

Notre frère Lazare

     Si dans ce texte l’important riche n’est pas nommé, c’est pour que le lecteur puisse s’identifier à ce personnage anonyme. Le riche, c’est nous. Que l’on soit riche financièrement, intellectuellement, physiquement, émotivement, socialement, ou autre, il y a au seuil de notre porte des gens qui sont dépourvus à l’extrême dans l’un ou plusieurs de ces domaines et qui en souffrent horriblement. La tradition a fait de cet enseignement de Jésus un fondement pour le dogme au sujet du paradis et de l’enfer. Mais si nous agissons uniquement afin d’éviter les flammes de l’enfer, ne sommes-nous pas tout aussi hypocrites et durs de cœur que le riche de la parabole? Ce que Dieu souhaite, ce ne sont pas les actions faites dans le but d’éviter nos propres souffrances, mais une compassion spontanée qui dissipe la souffrance des autres et abat les frontières. Hors, dans ce récit, le misérable pauvre est nommé. Et dans nos vies, nous connaissons très bien ces pauvres qui gisent à nos portes. Qu’attendons-nous pour sortir à leur rencontre?

 

Francis Daoust, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2500. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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