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29e dimanche ordinaire C - 16 octobre 2016
 

Comparer Dieu à un juge inéquitable!

Parabole du Juge inique de John Everett Millais (1863)

Parabole du Juge inique de John Everett Millais (1863)

 

 

Parabole du juge qui se fait prier longtemps : Luc 18, 1-8
Autres lectures : Exode 17, 8-13; Psaume 120(121); 2 Timothée 3, 14 - 4, 2

 

L’Évangile de Luc (18,1-8) présente une veuve qui obtient justice à cause de sa persistance. Le juge inéquitable lui donne raison pour des motifs purement égoïstes. Il tranche en sa faveur pour avoir la paix devant son insistance. Luc possède un génie littéraire qui nous a donné de grands textes, mais pour celui-ci, il faut admettre que cette comparaison entre Dieu et un juge injuste semble un peu discutable. Pourtant, en creusant le texte, on peut y trouver des éléments très importants. Comment comprendre cette parabole?

Sur la route vers Jérusalem

     Cette courte parabole se situe vers la fin d’un voyage qui mène Jésus de la Galilée à Jérusalem (Luc 9,51-19,28). Les textes racontant ce déplacement sont marqués par ce qui s’en vient. Jésus sera crucifié et cette section transmet les enseignements importants du maître, son testament spirituel. On y retrouve des thèmes comme l’attitude à développer comme croyant, le rapport à la justice, la venue du royaume de Dieu, le retour du Fils de l’Homme. Le contexte de la parabole dans le récit de Luc invite donc à y voir comment les disciples doivent se préparer à l’absence de leur maître. L’enseignement de Jésus est placé comme une façon de développer la foi nécessaire pour attendre la venue du Royaume sans découragement.

Prier sans se décourager

     Dès le premier verset, le narrateur indique la clé d’interprétation du récit que Jésus va raconter : « Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour eux de prier en tout temps et ne pas se décourager ». Les lecteurs savent donc déjà la « morale de l’histoire » avant même de l’avoir entendu.

Qui sont les élus?

     Les auditeurs de la parole sont appelés « élus ». Ce mot employé pour désigner les croyants ne se retrouve pas dans l’Évangile selon Luc. Dans les autres évangiles, cette utilisation n’arrive que dans un contexte relié à la fin des temps (Mc 13,20.22.27; Mt 24,22.24.31). « Élus » désigne ceux et celles qui vont survivre au jugement final qui s’en vient.

     Ces élus sont mis dans une position analogue à celle de la veuve. Ils crient vers Dieu jour et nuit comme la veuve le faisait avec le juge. Alors que le premier verset parlait de prière, le v. 7 choisit le verbe crier (boôntôn) qui est beaucoup plus fort. Ce cri n’est pas une belle prière, mais un hurlement dont l’intensité est soulignée par le fait qu’il continue jour et nuit.

En attendant la fin des temps

     Curieusement, Dieu ne répond pas. Est-ce que Dieu est sourd aux prières qui lui sont adressées? En fait, il les fait attendre (18,7). Le passage se termine en affirmant que la justice viendra plus vite que l’on pense. En effet, le jour du jugement est annoncé ici par Jésus comme un événement qui va advenir dans les délais les plus brefs. Le moment associé à la fin des temps reste indéterminé, mais rapproché.

     Les premiers chrétiens avaient la conviction de vivre à l’aube de la fin. Les lettres du Nouveau Testament montrent l’évolution de cette attente. Le premier document chrétien à être écrit, la Première lettre aux Tessaloniciens, transmet la conviction que le jour de la venue du Seigneur viendra avant que Paul et les personnes auxquelles il s’adresse ne meurent : Nous les vivants, qui seront restés jusqu’à la venue du Seigneur… (1 Th 4,15). Environ 75 ans plus tard, dans la Deuxième lettre de Pierre - probablement le dernier texte du Nouveau Testament à être composé - le retard du retour du Seigneur provoque cette réflexion : Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de ce qu’il a promis, comme certains l’accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir (2 P 3,9). L’Évangile selon Luc a probablement été écrit autour des années 80-85. Il se situe donc à mi-chemin entre la lettre aux Thessaloniciens (vers 50) et la Deuxième lettre de Pierre (vers 125). Les premiers lecteurs/auditeurs de l’Évangile selon Luc se posaient donc la question du temps d’attente plus long que prévu de la fin des temps. À l’époque de la composition de cet évangile, l’attente du retour du Seigneur était encore là, mais il y avait déjà un certain découragement à cause de cette attente. L’Évangile selon Luc vise donc à répondre à cette question. Comme pour la deuxième lettre de Pierre, Luc met de l’avant la patience de Dieu. Les premiers chrétiens espéraient que le monde de justice promis par Dieu commence bientôt. Ils crient nuits et jours pour son avènement.

La morale de cette histoire…

     Le premier verset avait déjà annoncé que ce récit visait la nécessité de prier en tout temps sans se décourager. Or la fin du récit apporte une autre perspective : Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre? (18,8) L’enjeu de l’enseignement de Jésus concerne la présence ou l’absence de foi lors de la fin des temps. La question est donc plus complexe que la constance dans la prière. La parabole montre que Dieu n’est pas un vieux juge inéquitable pour qui l’on doit prier et crier pour qu’il nous entende. L’idée n’est pas de le prier pour faire changer son jugement. Non, la persistance dans la prière comme dans la foi est plus importante pour nous que pour lui. Il est si facile de se lasser ou de s’emballer pour des projets attrayants, mais éphémères. Cette parabole nous rappelle ce qu’il y a de plus important dans la vie des chrétiens : l’avènement du Royaume.

     La prière dont parle le texte n’est pas une simple prière de demande répétée jour et nuit. C’est un appel à la transformation de soi et de notre monde. Par la prière, nous devenons conscients de la transformation personnelle et intérieure qui dure toute une vie. Par la prière, nous devenons aussi conscients de la transformation sociale nécessaire pour construire un monde plus juste. Un monde dans lequel la veuve obtient la justice qu’elle mérite. Lire ces pages de l’Évangile de Luc nous apprend à reconnaître les injustices de notre monde et de nous engager à les dénoncer pour faire advenir un monde meilleur. Bref, la prière permet de continuer à croire à ce monde nouveau voulu par Dieu et de travailler pour le faire advenir.

Notre système de « justice »

     D’ailleurs, l’actualité nous montre que notre propre système judiciaire a des problèmes importants. Par exemple, l’impunité de la grande majorité des viols est complètement inacceptable. Le ministère de la Sécurité publique estime que 90% des agressions sexuelles ne sont pas déclarées et que moins de 1% des agressions déclarées mènent à une condamnation1 ! Ces chiffres ne parlent pas, ils crient! 2000 ans plus tard, ces femmes bafouées par la justice se retrouvent dans la même situation que la veuve. Obtenir justice ne va pas de soi. Bien au contraire. Elles doivent faire des pieds et des mains dans une longue procédure souvent humiliante. Les deux personnages de la parabole nous sont donc familiers. Il y a encore des « veuves » et des « juges inéquitables ».

     Cette parabole interpellait les chrétiens à persévérer dans l’attente du retour du Seigneur. Puisque nous sommes toujours dans ce temps d’attente, nous devons lire nos textes fondateurs pour retrouver la soif de justice et l’encouragement nécessaire pour donner vie à la foi sur la terre. La prière persévérante devient alors un appel à l’engagement personnel quotidien pour la justice, le droit et l’équité au nom de notre foi.

___________________

1 Au Québec, en 2014, il y a eu 1 814 condamnations pour 633 000 déclarations d’agression sexuelle selon statistique Canada.

 

Sébastien Doane, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2503. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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