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30e dimanche ordinaire C - 23 octobre 2016
 

La miséricorde de Dieu ne s'épuise pas

Le pharisien et le publicain, fresque baroque dans la basilique de Ottobeuren.

Le pharisien et le publicain, fresque baroque dans la basilique de Ottobeuren (Allemagne).

 

 

Le pharisien et le collecteur d'impôts : Luc 18, 9-14
Autres lectures : Siracide 35, 12-14.16-18; Psaume 33(34); 2 Timothée 4, 6-8.16-18

 

Luc n’a pas connu Jésus personnellement! Comme nous, il a fait sa rencontre à travers des témoins vivants de son temps, mais également, comme un historien, à travers des documents écrits sur Jésus qui circulaient au premier siècle, ce qu’on a l’habitude d’appeler les « sources des évangiles ». Ces sources, il les a épluchées méticuleusement, nous dit-il (Lc 1,3), afin d’offrir à son honorable Théophile un récit ordonné. Ordonné, Luc l’est à souhait. Il y a dans son évangile une grande cohérence. Dans ce qu’il choisit de nous rapporter de la personne et de l’enseignement de Jésus, Luc a des thèmes récurrents qu’il aime surligner : notamment celui du renversement des situations présentes qu’opère la venue du Royaume de Dieu et celui de l’humilité, attitude attendue devant Dieu. Déjà, en début d’œuvre, le Magnificat de Marie donnait le ton, annonçant ces deux thèmes chers à l’évangéliste (Lc 1,51-53) 1.

Mise en contexte

     Situons d’abord l’extrait de ce dimanche dans l’ensemble de l’évangile. Luc est le seul des évangélistes à nous rapporter cette parabole. Il la présente comme une instruction ordinaire de Jésus donnée le long de sa marche vers Jérusalem, séquence importante et structurante de l’évangile (Lc 9,51-19,27). Pour être encore plus précis, dans le dernier tiers de cette marche (Lc 17,11-19,27) où, depuis que la question de la venue du règne de Dieu lui a été posée (Lc 17,20) son enseignement est teinté par la perspective des derniers temps. C’est dans cette perspective qu’il faudra interpréter cette parabole qui ne se veut pas une leçon sur la prière – contrairement à la péricope qui la précède immédiatement (Lc 18,1-8) – mais sur l’humilité et sur le regard « tout autre » que Dieu pose sur l’humanité en matière de justice. « La justice de Dieu n’est pas celle des hommes », voilà une maxime qui pourrait résumer la leçon que nous laisse cette parabole. Ou pour le dire autrement : « À la fin, à l’établissement du règne de Dieu, nous serons surpris de qui se trouvera justifié ou non ».

Jésus dit une parabole pour certains hommes
qui étaient convaincus d’être justes
et qui méprisaient tous les autres (Lc 18,9)

     Mais qu’est-ce qu’être « juste » ou « justifié » ? Grosse question que celle de la « justification » dans la Bible que je ne prétends pas régler par ce bref papier! Mais disons simplement que le verset introductif ci-haut cité et le contenu du discours – caricatural, avouons-le! - du Pharisien de la parabole nous montrent que Luc est en phase avec la pensée paulinienne à propos de la gratuité du salut de Dieu 2. Fait-on son salut soi-même en mettant en pratique une Loi ou le reçoit-on d’un Autre comme un don. Tout le débat du premier siècle, qui sera engendré par l’entrée massive de non-juifs (pagano-chrétiens) dans l’Église où se trouvent déjà installés des juifs convertis (judéo-chrétiens), sera de distinguer ce qui est nécessaire de retenir de la riche tradition juive depuis la résurrection du Christ et l’irruption de l’Esprit Saint autant sur les juifs que sur les païens. Une partie des prédicateurs de l’époque - que nous appellerons les « judaïsants » - était d’avis qu’il fallait, pour devenir juste et être sauvé, en plus de croire au Christ, continuer à pratiquer la Loi de Moïse et imposer celle-ci aux pagano-chrétiens. À l’opposé Paul prêchera et défendra la gratuité absolue et universelle du salut de Dieu par la seule foi au Christ Jésus. Pour lui, la Loi de Moïse était préparatoire à la venue du Christ et celle-ci la rend caduque.

     Il est possible que ce débat, contemporain des communautés chrétiennes de l’époque de Luc et de Paul, soit transposé au temps de Jésus dans les évangiles. Ce qui n’exclut pas que Jésus lui-même se soit opposé effectivement au légalisme pharisien de son temps 3. Luc ne ferait encore que surligner dans les paroles de Jésus ce qui est le plus susceptible d’éclairer, sur ce sujet, sa communauté vivant vers la fin du premier siècle. Désormais, dans l’économie chrétienne c’est à l’aune du double commandement de l’amour (amour de Dieu et du prochain ; Lc 10,25-28) et non plus à celui de l’observance de la Loi de Moïse que nous serons jugés justes ou non. Et le pardon de Dieu est sans doute plus large que ne le concevait le pharisaïsme de l’époque. À cette lumière, observons donc le contenu de la prière des protagonistes de notre parabole.

La prière du Pharisien

     Pour Dieu, nul doute, il est zélé en en faisant même plus que ce que la Loi de Moïse exigeait (jeûne deux fois par semaine). Pour Dieu, il se garde du mal. Plus, fidèle à l’idéal pharisien, il se targue de ne pas frayer avec ceux qui le commettent. Jusqu’à un certain point sa prière ressemble à celle du psalmiste (Psaume 26 (25)), mais il ajoute une dose de mépris pour ce collecteur d’impôts qu’il aperçoit derrière lui dans le Temple. Sa prière suffisante n’honore ni Dieu à qui il ne demande rien, ni son prochain qu’elle méprise. Sa prière est auto-contemplation de ses œuvres bonnes. Voilà un subtil piège d’orgueil dans lequel il tombe, piège guettant ceux qui font des progrès réels dans la vertu et la vie spirituelle. Résultat : il n’est pas juste devant Dieu, il n’a pas cette beauté intérieure que Dieu cherche à discerner dans le cœur de ses enfants.

La prière du publicain

     Pécheur, il l’est réellement. C’est un fait connu, collecteur d’impôts, le publicain collaborait avec l’occupant romain profitant de sa fonction pour se servir aux dépens de ses frères. Sa prière est vraie, humble, sans fard. Il demande pardon, n’osant même pas lever les yeux au ciel. Sa confession sincère plait à Dieu et l’ouvre à la grâce. C’est lui, nous dit Jésus, qui revient chez lui « justifié », c’est-à-dire dans ce cas-ci, « pardonné » et ce, sans avoir au préalable réparé ses torts.

En conclusion… un Dieu miséricordieux ! 

     Oui, Luc est d’une grande cohérence. Comme Lévi le publicain appelé par Jésus (Lc 5, 27-32), comme la femme pécheresse (Lc 7,36-50), comme le fils retrouvé de la parabole (Lc 15,11-32), comme Zachée (Lc 19,1-10), les exemples abondent dans l’évangile de Luc pour nous dire que le pardon et l’amour de Dieu pour le pécheur précèdent le changement de vie. Dieu aime le pécheur et fort de cet amour, le changement s’opérera, tel est le pari que prend avec nous le Dieu de la miséricorde.

1 Autres passages de Luc sur le thème du renversement des situations : Luc 6, 20-26; 13, 30; 16, 19-31; sur le thème de l'humilité : Luc 9, 46-48; 10, 21; 14, 7-11.

2 On croit que Luc ait pu être un compagnon de mission de Paul, ce qui expliquerait la prenté de leur pensée.

3 L'évangile de Luc comporte d'ailleurs quelques charges contre le légalisme Pharisien, Luc 11, 37-53; 12, 1; 16, 15.

Patrice Bergeron, ptre

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2504. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Comparer Dieu à un juge inéquitable!