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24e dimanche ordinaire A - 17 septembre 2017
 

Un Dieu du pardon ou de la torture ?

Le serviteur implorant la patience de son maître

Le serviteur implorant la patience de son maître

Le débiteur impitoyable : Matthieu 18, 21-25
Autres lectures : Sirac 27, 30 - 28, 7 ; Psaume 102 (103); Romains 14, 7-9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

 

Dans le passage de Matthieu (18,21-25) proposé par la liturgie de ce dimanche, Jésus raconte une parabole illustrant la nécessité de pardonner. Le début du récit montre un maître qui remet la dette de son serviteur. Or, à la fin de la parabole, il le fait livrer aux bourreaux pour qu’ils le torturent! La conclusion affirme que c’est ainsi que le Père traitera ceux qui ne pardonnent pas à leurs frères. Est-ce que ce texte présente un Dieu tortionnaire ou un Dieu du pardon ?

Pourquoi soixante-dix fois sept fois ?

Dans la culture biblique, le chiffre sept est le chiffre parfait. Lorsque Jésus dit à Pierre qu’il faut pardonner 77 fois 7 fois, c’est une façon de parler d’un pardon parfait et sans limites pour son « frère ». En plus de cette signification symbolique, ce chiffre rappelle une parole cruelle tirée du livre de la Genèse (4,24) : Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek soixante-dix-sept fois. Alors que le texte de la Genèse exalte la vengeance sans fin associée à Lamek, Jésus utilise le même chiffre pour proposer un pardon pratiquement sans limites. Le dialogue entre Pierre et Jésus offre une clé de lecture importante. Ce qui suit devrait parler de pardon.

Faire faillite au temps de Jésus

La parabole proposée par Jésus s’appuie sur le sort des personnes qui ne peuvent pas rembourser leurs dettes. Au premier siècle, lorsqu’une personne n’était pas solvable, ses créanciers pouvaient prendre ses biens, mais ils pouvaient aussi le vendre lui et sa famille comme des esclaves pour rembourser sa dette. Il pouvait aussi être jeté en prison et torturé jusqu’à ce que ses proches amassent l’argent nécessaire pour le libérer. Ne pas pouvoir payer ses dettes était donc un enjeu de vie ou de mort. De plus, la condition financière des gens de Galilée sous le contrôle romain était très précaire. Une mauvaise récolte pouvait être suffisante pour obliger une famille à emprunter ce qu’il faut pour survivre et ensemencer les champs.

Le débiteur impitoyable

Le débiteur impitoyable

Un récit caricatural

Dans cette parabole, plusieurs éléments sont amplifiés au-delà de ce qui est possible. Le serviteur doit dix mille talents. Le récit utilise le plus grand chiffre en grec (murioi) et la pièce qui vaut le plus cher (le talent). Pour un ouvrier de l’époque, il faudrait travailler des centaines de siècles pour amasser cette fortune. Sachant cela, sa promesse de tout rembourser est aberrante. Cette dette imposante montre à quel point le geste du roi est inouï. Il va au-delà de la demande du serviteur qui veut plus de temps pour rembourser en lui remettant l’entièreté de sa dette. Ce roi est ému aux entrailles et le pardonne (le verbe grec aphiemi a un sens religieux et économique). Sa générosité est si grande qu’elle dépasse la compréhension.

Il y a une disproportion singulière entre la gigantesque somme de cette première dette et la dette du compagnon du serviteur. Celui-ci lui doit 100 pièces d’argent (environ trois mois de salaire) comparé aux 60 000 000 de pièces d’argent (10 000 talents) du serviteur. Alors que le roi a eu pitié du serviteur qui avait accumulé une immense dette, le serviteur a envoyé son compagnon en prison pour une somme relativement petite. Les deux personnages sont donc placés en opposition. Le roi est aussi généreux que le serviteur est cruel. L’ironie de la situation est décrite dans la bouche du roi : Je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devrais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même, j’avais eu pitié de toi ? (Mt 18,32)

Un pardon économique et religieux, humain et divin

Le verset 32 fait écho au Notre Père (Mt 6,12). En effet, ce qu’on traduit habituellement par « pardonne-nous nos offenses » est littéralement une remise de dette. La remise de dette est l’image utilisée dans le Nouveau Testament pour parler du pardon. Dans le Notre Père, on demande à Dieu de pardonner comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Le pardon de Dieu est à l’image du pardon humain. À l’inverse, dans cette parabole, le pardon du roi (pouvant représenter Dieu) est premier. Il est montré comme la raison qui aurait dû inciter le serviteur à avoir pitié de son compagnon. D’une façon ou d’une autre, en Matthieu, les pardons humain et divin sont directement reliés. L’absence de pardon du serviteur déclenche la fureur du roi. Par analogie, on peut comprendre qu’il est nécessaire d’exercer le pardon dans nos relations humaines pour espérer recevoir celui de Dieu.

D’autres textes bibliques font le même lien. Par exemple, dans l’Ancien Testament, Siracide 28,2 indique que pardonner à son voisin permet le pardon de nos péchés. Dans le Nouveau Testament, la lettre de Jacques (2,13) dit essentiellement la même chose : Le jugement sera sans pitié pour celui qui n’a pas eu de pitié. 

Un Dieu tortionnaire ?

Le dernier verset est troublant. Il souligne que Dieu va faire la même chose que le roi qui a envoyé le mauvais serviteur se faire torturer jusqu’à ce que son immense dette soit repayée. Il y a un gouffre entre l’image d’un Dieu « vengeur » de Mt 18,35 et celui d’un Dieu d’amour et de pardon présenté par Jésus.

Le verset 35 ne peut être isolé du reste de la parabole. L’idée d’un jugement divin ne nie pas le pardon précédemment illustré. Si le dernier verset est bouleversant, il faut reconnaître que le pardon du roi l’est tout autant. Par sa capacité de juger et de pardonner, le Dieu de la Bible nous étonne. Par ailleurs, ce pardon peut être rendu nul par les actes de méchanceté des humains.

Cette parabole, qui se retrouve uniquement dans l’évangile selon Matthieu montre bien le rapport à la violence de cet évangile. D’une part en Matthieu, Jésus prêche une non-violence extrême dans le sermon sur la montagne et il empêche ses disciples de prendre l’épée lors de son arrestation. D’autre part, plusieurs textes laissent entendre qu’au jour du jugement, ceux qui ont été violents sur terre seront violemment exclus du royaume de Dieu.

Le meilleur exemple, se trouve en Mt 25,31-46 qui illustre le jugement dernier. Les hommes sont séparés en deux groupes. À droite, les bénis qui reçoivent le royaume en partage parce qu’ils ont posé des gestes concrets en faveur des plus petits auxquels Jésus s’identifie : donner à manger et à boire à qui a faim et soif, recueillir l’étranger, vêtir celui qui est nu et visiter le malade et le prisonnier. À gauche, les maudits, condamnés au feu éternel préparé par le diable et ses anges parce qu’ils n’ont pas posé ces gestes.

Entre le jugement et le pardon

Jésus parle de son Père comme un maître colérique qui use de torture sur les récalcitrants. Cette comparaison nous choque, mais elle a l’avantage de nous mettre en garde contre une façon mièvre ou simpliste de présenter Dieu. On aimerait bien que le côté violent de Dieu ne se trouve que dans l’Ancien Testament, mais cette parole montre bien qu’on le retrouve aussi dans le Nouveau. L’Évangile selon Matthieu se démarque par son insistance sur le thème du jugement. Le pardon et la justice sont toujours en tension dans les pages bibliques. D’ailleurs, c’est un peu comme dans la vraie vie. Un parent impose des règles et même punit son enfant sans cesser de l’aimer et de lui pardonner.

Sébastien Doane

Source : Le Feuillet biblique, no 2542. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Diocèse de Montréal.

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