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Dimanche des Rameaux A - 9 avril 2017
 

Trahir Jésus : les anciens, Judas et nous

Le Baiser de Judas, de Giotto di Bondone.

Le Baiser de Judas, de Giotto di Bondone.

 

 

La trahison de Judas : Matthieu 26, 14 - 27, 66
Autres lectures : Isaïe 50, 4-7; Psaume 21(22); Philippiens 2, 6-11

 

Cette très longue lecture tirée de l’Évangile selon Matthieu couvre un total de 128 versets et semble comporter plusieurs répétitions. Or ces redoublements de thèmes ne sont pas fortuits, car l’auteur de ce texte a consciencieusement élaboré une structure concentrique de type A / B / C / B’ / A’ qui nous pousse à réfléchir sur les raisons de la condamnation de Jésus et sur notre propre attitude face à sa mort déconcertante. Cette structure relie d’abord la comparution de Jésus devant Caïphe (section A) à la comparution devant Pilate (section A’). Elle associe ensuite deux trahisons : celle de Pierre (section B) et celle de Judas (section B’). Et met finalement en évidence le rôle central joué par les grands prêtres et les anciens du peuple dans la condamnation à mort de Jésus (section centrale C).

Rejeté par toutes les autorités humaines

     Cette structure commence donc avec la comparution de Jésus devant le grand prêtre (Mt 26,57-66) et se termine avec celle devant Pilate (Mt 27,11-31). Ces deux épisodes comportent de nombreux éléments en commun. Dans les deux cas, Jésus est faussement accusé (Mt 26,59-61; 27,12) et il se tait (Mt 26,63; 27,12.14). Les deux figures d’autorité que sont Caïphe et Pilate lui demandent s’il est le messie en mettant l’accent sur l’aspect de la messianité qui les préoccupe le plus. Le grand prêtre, représentant de l’autorité religieuse, cherche à savoir si Jésus est le Christ, le Fils de Dieu (Mt 26,63), alors que le gouverneur romain, représentant de l’autorité politique, tente de voir si Jésus est le roi des Juifs (Mt 27,11). Dans les deux cas, Jésus retourne son interlocuteur à lui-même : C’est toi qui l’as dit (Mt 26,64) ou c’est toi qui le dis (Mt 27,11). Dans les deux parties, la situation se termine aussi de la même manière : Jésus est condamné à mort (Mt 26,66; 27,26), on crache sur lui (Mt 26,67; 27,30), on se moque de lui (Mt 26,68; 27,27-30) et on le frappe (Mt 26,67; 27,30). Il est important de noter que ceux qui l’outragent ainsi sont les subalternes de Caïphe et Pilate, à savoir, respectivement, tout le Sanhédrin et toute la cohorte des soldats du gouverneur. Ils le font aussi en se moquant de l’aspect de la messianité de Jésus qu’ils craignent : les prêtres raillent le Christ prophète (Mt 26,68), alors que les soldats bafouent le roi des Juifs (Mt 27,28-29).

     Ces deux sections parallèles démontrent que Jésus est rejeté à la fois par les autorités religieuses et politiques de son époque. Elles soulignent aussi le rôle majeur joué par les scribes, les grands prêtres et les anciens (Mt 26,57.59; 27,12.20). Ce sont eux qui interviennent afin de faire condamner Jésus par la figure d’autorité. Il s’agit cependant d’une décision collective : ils dirent : il est passible de mort (Mt 26,66); ils disent tous : qu’il soit crucifié (Mt 27,23).

Trahis par deux de ses apôtres

     Les deux comparutions de Jésus encadrent deux trahisons de ses disciples. Nous avons d’abord la trahison de Pierre (Mt 26,69-75), puis celle de Judas (Mt 27,3-10). Ces deux apôtres ont failli à leur maître : Pierre, en reniant Jésus; et Judas, en le livrant. Les deux disciples quittent le lieu de leur trahison : Pierre sort dehors (Mt 26,75) et Judas se retire (Mt 27,5); et les deux regrettent fortement leur action, mais ne réagissent cependant pas de la même manière. Pierre pleure amèrement (Mt 26,75), mais Judas se pend (Mt 27,5). C’est un des très rares cas de suicide dans la Bible. Outre les nombreuses morts héroïques des deux livres des Maccabées, très peu de personnages de la Bible s’enlèvent la vie (voir Abimélek en Jg 9,52-54; Samson en Jg 16,23-30, Saül et son écuyer en 1 S 31,1-6 et 1 Ch 10,1-5 et Zimri en 1 R 16,15-18).

     Plusieurs lecteurs pourraient affirmer que les gestes de Judas sont plus nobles que ceux de Pierre. En effet, Judas semble aller au bout de ses convictions. Il ne fait pas que pleurer Jésus; il va jusqu’à s’enlever la vie. On peut aussi remarquer que Pierre ne fait que s’éloigner de Jésus en le reniant à trois reprises alors que Judas tente de se rapprocher de lui en essayant de le sauver. Judas se repenti (Mt 27,3), ce qui n’est pas mentionné dans le texte de Matthieu pour Pierre.

     En sens contraire, on pourrait considérer que Pierre est un meilleur modèle à suivre, car il ne cède pas au désespoir comme c’est le cas pour Judas. Il pleure amèrement, certes, mais il ne va pas jusqu’à s’enlever la vie. On sait évidemment, par un autre passage de l’évangile de Matthieu, et par l’histoire, qu’un grand destin attend Pierre : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église (Mt 16,18). Pierre, bien qu’il regrette son geste et qu’il pleure amèrement, ne ferme pas la porte à l’action possible de Dieu dans le futur, alors que la réaction de Judas met un terme à toute issue potentielle. Il existe un autre élément du texte qui différencie la conduite de Pierre de celle de Judas : contrairement à Judas, Pierre se souvient d’une parole de Jésus (voir Mt 26,34-35). Judas reconnait que Jésus était un juste, mais Pierre va plus loin : il se remémore l’enseignement de Jésus. Judas fait lui aussi un retour vers le passé. Voyant que Jésus a été condamné, il rapporte les trente pièces d’argent que lui avaient remises les grands prêtres. Mais comprenant que les grands prêtres ne sont pas intéressés à discriminer Jésus et qu’ils le renvoient à lui-même, Judas perd tout espoir. Il ne voit aucune issue possible, se défait des pièces ignoblement gagnés et va se pendre. Pierre, quant à lui, revient sur un passé qui va éventuellement le porter dans le futur. En se souvenant de la parole de Jésus, il ne fait pas, comme Judas, que reconnaître que Jésus était un simple juste; il se souvient de l’enseignement de Jésus. Pour Judas tout est terminé avec la condamnation à mort de Jésus, alors que pour Pierre, ce retour aux dires de Jésus sera une source de réalisations futures.

     Cette opposition entre Pierre et Judas n’est pas fortuite. En fonctionnant ainsi, l’évangile de Matthieu place le lecteur dans une situation de questionnement. Moi, comment est-ce que je réagis face à l’échec apparent de Jésus? Comment est-ce que je réponds quand j’ai l’impression que la mission de Jésus a échoué? Jésus a apporté un message d’amour, de solidarité, de salut, de dignité et d’espoir. Mais lorsqu’on regarde notre monde aujourd’hui, 2000 ans plus tard, on peut avoir l’impression que ce message n’a pas été reçu. Est-ce que, comme Judas, je baisse les bras et me laisse aller au désespoir? Ou bien, comme Pierre, je reconnais ma faiblesse et mes manquements, les regrette amèrement, mais garde la porte ouverte pour l’action de Dieu? Notre réaction face à la mort de Jésus va dans le même sens. Considérons-nous qu’il est simplement mort ignominieusement sur la croix ou sommes-nous profondément touchés par cette mort humiliante, mais demeurons ouverts à l’action de Dieu … et à la résurrection?

Condamné par les anciens

     Finalement, entre les deux trahisons de Jésus, se trouvent deux versets où est établie la responsabilité des grands prêtres et des anciens du peuple dans la condamnation à mort de Jésus (Mt 27,1-2). Toute cette grande structure qui lie les deux comparutions et les deux trahisons de Jésus se focalise sur ce point. Ce sont eux, les leaders du peuple, qui connaissent les Écritures sur le bout de leurs doigts, qui auraient dû reconnaître la véritable identité de Jésus. Ils auraient dû comprendre, avec leur sagesse, leur expérience et à la lumière des textes de l’Ancien Testament, que le messie ne devait pas être un prestigieux membre de la classe sacerdotale, ni un puissant guerrier, mais que c’était cet humble prédicateur itinérant, galiléen et fils de charpentier.

 

Francis Daoust

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2528. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Alors Jésus se mit à pleurer