La Transfiguration (haut du tableau). Raphaël, 1518-1520. Huile sur bois, 405 x 278 cm. Musée du Vatican (photo : Wikipedia)

Deux fils, deux pères

Benoît LambertBenoît Lambert | 2e dimanche du carême (B) - 19 février 2018

La Transfiguration : Marc 9, 2-10
Les lectures : Genèse 22, 1-2.9a.10-13.15-18; Psaume 115 (116B) ; Romains 8, 31b-34
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Les disciples du Christ sont des gens qui écoutent. Ils vont au-delà de la simple audition d'une parole. Ils prêtent attention aux mots divins. Ils les conservent dans leur cœur. Ces mots guident leur existence et orientent leurs actions. Abraham a écouté Dieu malgré la douleur qu'il a dû ressentir devant la requête de Yahvé. Et Jésus a été identifié par la mystérieuse voix présente dans la nuée comme le Fils qui doit être écouté.

Avant l'événement

Une grande vérité de la foi chrétienne trouve son illustration dans les deux récits proclamés durant la célébration du deuxième dimanche de Carême. Le salut ne trouve pas son origine dans les actes posés par l'être humain. Il est un don de Dieu. Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les conduit vers un endroit élevé. Yahvé entame le dialogue avec Abraham. Il ne faut pas se scandaliser de la demande de la divinité dans ce texte. Cette pratique de sacrifier des enfants était répandue à l'époque du père des croyants et des croyantes. Les chefs n'hésitaient pas à offrir en sacrifice leur progéniture aux diverses divinités pour attirer leurs faveurs. Abraham n'est donc pas étonné que la divinité lui demande de sacrifier son enfant.

Les deux textes renferment un symbole universel : la montagne. Ce lieu représente un espace de contact privilégié avec l'au-delà dans les religions antiques. Les dieux grecs habitent le mont Olympe. Plusieurs temples sont édifiés sur des montagnes. Cette signification a imprégné la conscience collective d'Israël. Yahvé dirige Abraham vers une montagne et Jésus amène lui aussi ses amis sur une hauteur.

L'événement

Le sort de deux fils se joue dans les deux scènes. Dans un premier temps, un père humain doit sacrifier son fils, le fruit de la promesse divine, pour plaire à l'Unique. Dans un deuxième temps, le Père céleste désigne Jésus comme le Fils qui accomplit toutes les promesses de l'Ancienne Alliance d'une manière qui doit rester encore secrète.

Jésus se dévoile complètement devant les siens. Il se montre divin en rayonnant d'une lumière blanche que l'humanité ne peut pas produire. Dans sa description, l'évangéliste a succinctement intégré des détails hautement significatifs. Les vêtements du Christ sont transfigurés. Dans la Bible, les habits ne sont pas de simples survêtements qui doivent cacher la nudité. Ils donnent plutôt une indication sur l'identité ou sur le statut de la personne. Encore aujourd'hui, certains travailleurs se vêtent pour identifier leur fonction (juges, policiers, soldats, docteurs, etc.). Le tissu qui couvre le corps de Jésus provient de notre monde terrestre. Même s'il appartient à l'univers céleste durant cette apparition, Jésus manifeste par le vêtement qui couvre son corps qu'il demeure humain, quelqu'un issu du limon originel. La blancheur resplendissante illustre toutefois que Jésus, pendant un moment, est retourné dans le Royaume éternel. Cette couleur va réapparaître dans le Nouveau Testament avec le même sens (Mc 16,5 : la blancheur des anges à la Résurrection; Ap 3,5 : le vainqueur de l'Apocalypse).

La présence de Moïse et d'Élie lors de la Transfiguration n'est pas futile. Jésus a été envoyé pour réaliser les engagements divins pris dans l'histoire de la nation sainte. Israël considère que l'Ancien Testament se compose de deux parties : la Loi qui contient les clauses de l'Alliance prise entre Yahvé et ses enfants choisis et les Prophètes qui proclament la volonté du Très-Haut après la transmission du Sinaï. Moïse symbolise la Loi parce qu'il est l'homme qui l'a accueillie sur la montagne du Sinaï et Élie illustre la tradition prophétique parce qu'il est considéré comme son premier représentant. Dans la révélation de la Transfiguration, Jésus réalise dans sa personne l'alliance entre l'humanité et la divinité promise par Yahvé à Israël. Élie et Moïse disparaîtront après le miracle parce que le Seigneur a réalisé l'union qu'ils ont annoncée.

La demande de Pierre

Pierre a souvent fait preuve d'une plus grande acuité devant le mystère que les autres disciples. Il manifeste cette sensibilité dans notre récit. Il est heureux durant la Transfiguration. Il ressent l'extase dans laquelle l'humanité sera plongée dans le Royaume des cieux. Il est ici happé vers l'au-delà. Mais Pierre va commettre une erreur qui va abréger cet instant de plénitude. Il va proposer d'ériger trois tentes pour Jésus, Moïse et Élie. Jésus reste silencieux devant cette suggestion. L'apôtre n'a pas compris la raison de la Transfiguration. Jésus dévoile entièrement son identité parce qu'il veut raffermir la foi des disciples qui vont traverser des moments pénibles dans l'avenir. Le Père ne veut pas rendre ce miracle permanent. Il ne souhaite pas que le monde entier se dirige vers cette montagne pour adorer le Fils unique. Cet instant est transitoire. Le Fils doit continuer sa mission jusqu'à la résurrection. Enfin, Pierre commet aussi une gaffe parce qu'il n'a pas encore compris que Dieu prend toujours l'initiative dans l'histoire du salut. Si le Très-Haut avait voulu des tentes, il aurait fourni ces objets comme il a fourni le bélier à Abraham. La joie de Pierre va donc baisser d'un cran après sa question maladroite. Lui, Jacques et Jean vont désormais ressentir l'émotion habituelle des humains devant la puissance divine : une crainte respectueuse. La félicité du pêcheur d'hommes a été annihilée par son incompréhension. Il n'est pas encore prêt pour se lier personnellement de manière durable avec le Seigneur. Il ne peut pas comprendre les paroles du Christ qui concluent cet épisode. Son éducation religieuse lui interdit de concevoir qu'un être humain puisse être aussi Dieu. Il faudra la Résurrection, l'Ascension et le don de l'Esprit à la Pentecôte pour que les apôtres comprennent les mots du Christ et du Père prononcés dans ce texte.

La réponse affectueuse du Père

Dans l'épisode du sacrifice d'Isaac, Dieu répond amoureusement à Abraham qui l'a écouté. Il annule sa requête. Isaac restera vivant et Abraham deviendra l'ancêtre d'une descendance nombreuse. Durant la Transfiguration, le Père va transmettre aux disciples un enseignement qui traite d'amour. Il est présent dans la nuée, un élément qui manifeste souvent sa présence, comme par exemple au-dessus de la Tente de la Rencontre quand il entre en dialogue avec Moïse, ou au-dessus du Temple lors de sa consécration. Il dira au trio : « Ceci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. » L'amour constitue le trait majeur de cette affirmation. L'Éternel aurait pu insister sur la puissance de Jésus, sur son caractère transcendant. Au contraire, il exprime la relation d'amour qu'il entretient avec son Fils. Après avoir identifié le Transfiguré, le Père émet un ordre. Il veut que le Fils soit écouté puisqu'il transmet éloquemment sa Parole.

Dans la deuxième lecture, Paul confirme la révélation du Père, car lorsqu'il écrit sa Lettre, le Christ est ressuscité. Désormais le Fils a réparé dans sa personne l'Alliance brisée par le péché humain. En accomplissant la volonté du Père, il a joint dans son être l'homme Jésus qui a dit oui et le Fils de la Trinité. Une nouvelle alliance est désormais conclue. Toutes les personnes qui entendent la parole du Maître et qui la mettent en pratique ont désormais accès au Royaume grâce à l'Esprit envoyé par le Seigneur. Les chrétiens et les chrétiennes n'ont donc plus à craindre les persécuteurs, car le Christ qui leur assure une place dans l'Éternité est avec eux.

Détenteur d’une maîtrise ès arts (théologie) de l’Université Laval, Benoît Lambert a rédigé des articles et des brochures pour plusieurs revues religieuses (Vie liturgique, Revue Notre-Dame-du-Cap). Il collabore au Feuillet biblique depuis 1995.

Source : Le Feuillet biblique, no 2565. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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