La purification du Temple. Cecco del Caravaggio,  1610. Huile sur toile. Gemäldegalerie, Berlin (photo : Wikipedia)

Au-delà des signes, croire en la Parole

Yvan MathieuYvan Mathieu | 3e dimanche du carême (B) - 26 février 2018

La purification du Temple : Jean 2, 13-25
Les lectures : Exode 20, 1-17 ; Psaume 18 (19) ; 1 Corinthiens 1, 22-25
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Nous en sommes à la troisième étape de notre montée vers Pâques. Le premier dimanche, nous avons vu comment l’Esprit poussa Jésus au désert. Victorieux de l’épreuve, Jésus se mit à proclamer : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1,15). Dimanche dernier, avec Pierre, Jacques et Jean, nous avons contemplé Jésus transfiguré et la voix du Père nous a invités à écouter son Fils bien-aimé. Cette semaine, avec les disciples, nous suivons Jésus jusqu’à Jérusalem, le lieu où bientôt il donnera sa vie pour nous et ressuscitera d’entre les morts.

Une erreur historique ?

Dans l’évangile de Jean, Jésus vient plus d’une fois à Jérusalem. Lors de sa première visite, au tout début de son ministère, il purifie le Temple. Dans les autres évangiles, ce geste prophétique est plutôt posé juste avant la Passion. Saint Jean s’est-il donc trompé ? Non. Il opère plutôt un déplacement d’ordre théologique.

La semaine inaugurale

Pour saint Jean, le début de l’Évangile se déploie en sept jours. C’est une nouvelle création (voir Gn 1,1–2,4a). Au premier jour, Jean Baptiste témoigne qu’il n’est pas le Messie. Le lendemain, voyant Jésus venir vers lui, Jean déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (1,29). Le troisième jour, deux disciples de Jean suivent Jésus et l’un d’eux, André, amène son frère Simon-Pierre à Jésus (1,35-42). Au quatrième jour (1,43-51), Jésus appelle Philippe qui, à son tour, appelle Nathanaël. Trois jours plus tard, c’est-à-dire au septième jour, Jésus change l’eau en vin à Cana. Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit (2,11).

L’Heure de Jésus : une nouvelle Pâque

L’épisode que nous lisons aujourd’hui suit immédiatement cette semaine inaugurale. Avec Jésus, nous entrons dans le quotidien de l’Évangile. Or, le quotidien de l’Évangile s’ouvre au même lieu où il se conclura : Jérusalem. Ici comme au temps de la Passion, la Pâque juive était proche (2,13 ; voir 13,1). Le signe de Cana annonçait l’Heure de Jésus (2,4.10b). Le signe du Temple annonce comment cette Heure s’accomplira : par la mort et la résurrection du Fils de Dieu (2,18-22).

Un geste prophétique surprenant

Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce » (2,14-16). Ce geste et cette parole prophétiques étonnent. La loi de Moïse était claire, les fils d’Israël ne paraîtront pas les mains vides devant la face du Seigneur (Dt 16,16). Les marchands et les changeurs étaient là pour permettre aux pélerins d’offrir à Dieu un sacrifice. Pourquoi donc Jésus agit ainsi ?

Le nouveau Temple descend du ciel

On présente parfois la purification du Temple comme une sainte colère de Jésus. Pourtant, rien n’indique ici la colère. Certes, Jésus n’y va pas de main morte. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs (2,15). Les colombes servaient pour les sacrifices des pauvres (Lv 5,7). Or, Jésus ne chasse pas les marchands de colombes, il leur dit de partir. Son geste est réfléchi et calculé. Les prophètes avaient promis une restauration du Temple opérée par le Messie à la fin des temps : « ma maison s’appellera Maison de prière pour tous les peuples” » (Is 56,7). Par son geste et sa parole, Jésus indique que l’Heure du Messie et du nouveau Temple est arrivée. Lui, le Messie, prend possession de la maison de son Père.

La demande d’un signe

Devant cette prétention inouïe, des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » (Jn 2,18). Cette demande manifeste l’opposition au geste que vient de poser Jésus et à sa personne. Ces Juifs veulent qu’il authentifie son autorité par un acte prodigieux. Jésus ne fera aucun signe, mais il pointera en direction du signe ultime de sa mort et de sa résurrection. « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai » (2,19). Il importe d’être attentif au déplacement de vocabulaire. Jusqu’ici, saint Jean avait parlé du Temple (2,14.15 : hieron). Ici, Jésus ne parle pas de tout le Temple, mais bien du sanctuaire (naos), une partie bien spéciale du Temple, le Saint des Saints, le lieu où Dieu est présent. Ce n’est pas lui qui détruira le sanctuaire, mais bien ses interlocuteurs. Le verbe utilisé pour parler de la reconstruction n’est pas choisi au hasard. Il ne s’agit pas de reconstruire, mais bien de relever (2,19.20 : egeirô).

Un malentendu johannique

Faisant usage d’un procédé littéraire qu’il affectionne, Jean aime jouer avec le double sens des mots. Ainsi, le verbe « relever » peut désigner une réédification du sanctuaire au plan matériel tout autant que la résurrection du corps. La réponse des interlocuteurs indique bien qu’ils se limitent au sens matériel. « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » (2,20). Mais le narrateur s’empresse de guider son lecteur : Mais lui parlait du sanctuaire de son corps (2,21). Le signe de la purification du Temple renvoie à un autre signe, mystérieux et plus difficile à saisir, le grand signe de la résurrection de Jésus.

Apprendre de l’expérience des disciples

Les disciples sont là eux aussi. Ils interprètent d’abord le geste de Jésus en relisant les Écritures : Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : « L’amour de ta maison fera mon tourment » (2,17, citant Ps 68(69),10). Puis ils interprètent la promesse de Jésus de relever le sanctuaire : quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite (Jn 2,22). Deux niveaux de compréhension sont donc possibles : une compréhension prépascale et historique, celle des Juifs ; une compréhension d’après Pâques, qui nécessite une relecture des Écritures à la lumière de la résurrection, celle des disciples.

Une foi qui doit grandir

La finale de ce récit a de quoi surprendre : Beaucoup crurent en son nom à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux  (2,23-24) ! Littéralement, il ne croit pas en eux, parce qu’il connaît ce qu’il y a dans l’homme (2,25). La foi basée sur les signes ne tiendra pas devant l’épreuve. Elle doit devenir foi en la parole que Jésus a dite. En lui, toute la construction s’élève harmonieusement pour devenir un temple saint dans le Seigneur. En lui, vous êtes, vous aussi, les éléments d’une même construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit Saint. (Ep 2,21-22) C’est le passage que nous sommes appelés à vivre pendant le Carême. « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » (Jn 20,29)

Père mariste, Yvan Mathieu est professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2566. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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