La référence biblique sur le casque de Carey Pricee.

L’évangile selon Carey

Sébastien DoaneSébastien Doane | 4e dimanche du carême (B) - 5 mars 2018

Le fils médiateur et le jugement : Jean 3, 14-21
Les lectures : 2 Chroniques 36, 14-16.19-23; Psaume 136 (137); Éphésiens 2, 4-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

L’extrait de l’Évangile selon Jean proposé par la liturgie de ce dimanche est très important pour Carey Price. En 2016, il a inscrit « John 3:16 » sur son casque pour évoquer ce verset biblique : Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle (Jn 3,16). En entrevue, le gardien de but du Canadien de Montréal a dit que c’est le verset biblique le plus important pour lui. En effet, les Églises évangéliques présentent ce verset comme une synthèse de l’ensemble du message biblique. Essayons de mieux le comprendre par un regard sur l’ensemble de ce passage.

Qui parle?

Coupé des versets précédents, l’extrait lu dans la liturgie ne révèle pas qui énonce les paroles. Un regard rapide dans l’évangile montre qu’il est situé à la fin du dialogue entre Jésus et Nicodème, un notable juif. Dans cet échange, Jésus parle du royaume de Dieu en termes de naissance en utilisant un mot grec à double sens :« anôthen ». Ceci peut être traduit par « naître à nouveau », ou par « naître d’en haut ». Nicodème interprète ce mot de façon très littérale comme un appel à une nouvelle naissance. Jésus rectifie le tir en affirmant qu’il faut naître d’en haut par l’Esprit/le souffle.

Curieusement, le dialogue entre ces personnages cesse autour du verset 13 pour laisser place à un monologue au sujet du Fils qui est descendu du ciel, envoyé par le Père pour être élevé afin de sauver le monde. Mais, qui énonce ces paroles? Est-ce que Jésus continue de parler seul jusqu’au verset 21? Dans un tel cas, Nicodème cesse tout à coup d’intervenir et laisse Jésus parler sans l’interrompre. Ce style est pourtant très différent du dialogue qui précède. Une autre option est de voir qu’il s’agit plutôt de la voix du narrateur de l’Évangile qui se permet de continuer l’échange en précisant pour les lecteurs l’identité de Jésus et sa mission selon l’angle particulier qu’il présente par cet évangile.

La question de l’attribution de ce texte à Jésus ou au narrateur permet de voir que les discours attribués au personnage de Jésus chez Jean sont très proches des commentaires du narrateur de l’Évangile. Ce détail permet de voir que nous n’avons pas accès au verbatim de ce qui s’est passé un jour lors de la rencontre entre Jésus et Nicodème, mais bien d’une réinterprétation de cet évangile par laquelle l’auteur fait parler Jésus comme lui. Le résultat est que contrairement aux autres Évangiles, le personnage de Jésus chez Jean parle beaucoup de lui-même. Et, il le fait en transmettant la théologie propre à cet Évangile.

Un peu de christologie johannique

Cet extrait permet de saisir le regard particulier de Jean sur l’identité profonde de Jésus. Il est le Fils de l’homme descendu du ciel (v. 13) qui par la suite, doit être élevé (v. 14). Une image est proposée pour comprendre cette élévation : le serpent que Moïse a élevé au désert. Dans l’Antiquité, le serpent était un symbole de vie éternelle parce que périodiquement, il mut en laissant sa peau morte pour continuer sa vie. Plus précisément, l’épisode du serpent élevé par Moïse évoque une scène du livre des Nombres (21,4-9) où pendant la traversée du désert, plusieurs personnes sont en danger de mort après avoir été mordues par des serpents. La solution offerte par le Seigneur est que Moïse élève un serpent sur une hampe. Quiconque regardait ce serpent avait la vie sauve. L’analogie offerte par cette image est que Jésus lorsqu’il sera élevé sur la croix aura aussi une portée salvifique. Cette analogie met l’accent sur la différence entre la vie offerte par Moïse et son serpent et Jésus. Alors que pour l’épisode de Moïse, il s’agit d’un retour à la santé, pour Jean, le salut offert par l’élévation de Jésus permet une vie éternelle.

Il y a un lien intrinsèque entre l’identité de Jésus et sa mission. Jésus est l’envoyé du Père qui sera exalté afin d’apporter la vie éternelle. La beauté de ce texte est qu’il enracine la mission de Jésus dans l’amour de Dieu qui envoie Jésus dans le monde par amour.

Entre l’ombre et la lumière

L’Évangile selon Jean aime bien offrir des images duelles et antithétiques. Le verset 19 indique que Jésus est la lumière, mais que les hommes ont préféré l’obscurité. Il y a un choix à faire entre l’ombre et la lumière. Du côté de l’ombre se trouvent ceux qui font le mal (v. 20) et craignent d’être démasqués par la lumière. Jésus est du côté de la lumière puisqu’il veut manifester en plein jour l’œuvre de Dieu. L’avantage de cette image duelle est de susciter une réponse de ses lecteurs et lectrices. Nous sommes placés devant le choix entre la lumière qui symbolise la vie éternelle offerte dans la foi en Jésus et l’obscurité qui représente le rejet de l’envoyé du Père. 

Une synthèse qui en évoque une autre

Si vous connaissez l’Évangile selon Jean, vous avez peut-être remarqué qu’il y a beaucoup de liens entre ce passage et le prologue. En effet, dès les premières lignes de cet Évangile, des clés sont offertes pour comprendre l’enjeu principal. Le Verbe était avec Dieu (v. 1-3); en lui est la vie (v. 4); cette vie est comme une lumière qui brille dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pas compris (v. 4.7-11); le critère de séparation est de croire ou non en son nom (v. 12). Le narrateur qui transmet l’essentiel de l’évangile dans le prologue revient à la charge au chapitre 3. Il complète le discours de Jésus à Nicodème en redisant autrement ce qui avait déjà été évoqué de façon poétique dans le prologue. Alors que le prologue affirme que le Verbe est la vie, le chapitre 3 révèle que la vie offerte aux personnes qui croient en Jésus est « éternelle ».

En plus de ce regard vers le début de l’Évangile, l’image de l’élévation du Fils de l’homme permet un regard prospectif vers la suite. Elle anticipe la crucifixion de Jésus qui, pour Jean, n’est fondamentalement pas une forme de torture et d’exécution, mais le lieu où se manifestera l’exaltation du Fils qui est élevé vers son Père.

Cary Price a bien raison. On peut difficilement dire que ce passage n’est pas une bonne synthèse de l’Évangile. Espérons que la lecture de ce passage lui permette de sauver quelques buts et la saison du Canadien... bien que ce soit, bien entendu, d’un autre ordre que le salut offert en Jésus Christ.

Sébastien Doane est professeur d'exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval (Québec).

Source : Le Feuillet biblique, no 2567. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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