Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.
(photo : Glenn Carstens-Peters / Unsplash)

Solidaires, à la mort, à la vie!

AuteurAlain Faucher | 5e dimanche du carême (année B) - 12 mars 2018

L’heure du Fils de l’homme : Jean 12, 20-33
Les lectures : Jérémie 31, 31-34; Psaume 50 (51); Hébreux 5, 7-9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Nos oreilles sont vite intéressées par les promesses de nouveauté contenues dans la première lecture. En bons Nord-Américains, nous carburons à l’innovation, au développement, à la croissance, à ce qui est inédit. Pour une fois que la Bible parle de nouveauté, nous nous sentons directement concernés!

Mais comment se réalise, concrètement, cette promesse d’alliance nouvelle? Comment Dieu s’y prend-il pour nous introduire dans un nouveau « centre de décision », un nouveau centre de gravité dans nos processus de discernement? Car le cœur, dans la Bible, était réputé remplir les fonctions que nous attribuons désormais au cerveau… Quel est donc « le cerveau » où se noue le processus de renouveau entrevu par le prophète Jérémie et le psaume 50? Quelle est donc cette connaissance de la Loi partagée à l’infini qui vient consolider l’entrée dans la nouveauté?

La deuxième lecture affirme que cela se noue définitivement dans la solidarité vécue entre Jésus et l’humanité. Cette solidarité de Jésus s’est manifestée sans ambiguïté dans sa traversée du processus de souffrance et de mort. Ayant vécu la mort, Jésus peut nous introduire dans la vie…

À des gens venus des périphéries de la foi, des gens de culture grecque, Jésus présente dans l’évangile la puissance de la mort pour la multiplication de la vie. Les belles images du grain qui meurt et qui devient multiple sont plus que des éléments de poésie bucolique. Il faut lire ces images en résonance avec les propos des deux premières lectures. Ces belles images traduisent le miracle accompli par la solidarité de Jésus avec nous dans son parcours de mort et de relèvement. Si nous pouvons accueillir et vivre le mystère rendu accessible par Jésus, c’est parce que lui, le premier, a accepté ce parcours terrifiant. Il l’a vécu à la gloire de Dieu, comme peuvent se vivre nos engagements dans la foi et l’espérance à la suite de Jésus, solidaire du Père et de l’humanité.

Depuis pratiquement deux mille ans, Jésus est l'indispensable passerelle entre notre humanité et la divinité. Il est notre chance de vivre dans toute sa puissance l'alliance nouvelle proclamée par Jérémie. Cette alliance se base sur une connaissance profonde, une connaissance intime de la relation avec Dieu. Cette alliance fait intervenir le centre de décision, le cœur de chaque membre du peuple de Dieu.

L’alliance nouvelle (Jérémie 31, 31-34)
Première lecture

Cet oracle divin annonce une alliance nouvelle. Il ne s'agit pas d'une remise en question de l'alliance offerte lors de la grande délivrance d'Égypte. Au contraire, il s'agit du renforcement de cette offre initiale. La première alliance, globale et collective, s'est avérée fragile. Les bénéficiaires se sont permis des ruptures insultantes pour leur libérateur. La nouvelle alliance est encore destinée au peuple. Mais elle se donne des chances de durée car elle s'inscrit dans le cœur de chaque membre du peuple.

Attention cependant! Lorsque la Bible parle du cœur, elle ne parle pas de la même chose que notre psychologie de tabagie! Alors que le cœur est pour nous le siège des émotions et de l'amour, le cœur pour les gens de la Bible remplit les fonctions dévolues dans notre langage... à la tête! Peu étonnant alors que la conséquence logique de l'alliance nouvelle inscrite dans le cœur s'appelle «connaissance».  Parce que le Seigneur sera connu de tous et chacun, les bêtises du passé n'auront plus de prise. Le Seigneur pourra gommer de la mémoire ces épisodes honteux.

Pour apprécier cette annonce de nouveauté, souvenons-nous que les gens qui ont vu surgir la Bible vivaient dans une société relativement stable. Les modes de fonctionnement évoluaient assez peu d'une génération à l'autre. Il était alors plus facile de s'émerveiller d'une transformation, d'une rupture bienfaisante avec la routine ou le prêt-à-penser. C'est sur cet arrière-fond conformiste que brillent l'oracle de Jérémie, la gloire de Jésus dans l'évangile et son rôle d'incontournable intermédiaire vers le salut éternel proposé dans la deuxième lecture.

La solidarité de Jésus (Hébreux 5, 7-9)
Deuxième lecture

Ces quelques lignes véhiculent un contenu puissant aux implications énormes. Notre attention est d'abord captivée par les réalités très terre-à-terre de l'incarnation vécues par le Christ, le Fils de Dieu: le cri, les larmes, la prière et la supplication.

Une lecture attentive révèle d'autres aspects importants. Le texte trouve son tonus dans une certaine redondance du vocabulaire grec et dans quelques oppositions très fortes. La traduction liturgique veut faciliter l'écoute du texte biblique en français. Il s'avère alors difficile de conserver certains jeux de mots qui unifient le texte en grec. La version originale en grec répète des mots de la famille du verbe « obéir ». C'est évident en français aux versets 8 et 9. S'ajoutent en grec deux éléments intéressants du verset 7 : « il s'est soumis en tout, il a été exaucé. » En grec, le verbe qui signifie « être exaucé » a aussi une forme active qui signifie « obéir ». Ce verbe contient donc en grec des éléments communs avec l'« obéissance » et l'« obéir » des versets 8 et 9. Une autre expression, dont la sonorité française semble sans lien avec ces éléments, a un étroit rapport de sens en grec : « parce qu'il s'est soumis. »

Des oppositions traduisent les grandes transformations auxquelles l'adhésion à Jésus donne accès.  Au début du texte, il est question des « jours de sa vie mortelle », alors que la fin laisse le lecteur en contemplation devant le « salut éternel ». Autre contraste très fort : parce qu'on désigne Jésus comme le Fils de Dieu, on lui attribue normalement le même rang que son Père. Et pourtant, il utilise la supplication, la prière et l'obéissance pour vivre à fond son aventure.

Dans l'obéissance, Jésus a connu la perfection : il a été « être porté à son accomplissement ». Il est désormais pour quiconque le prend au sérieux en lui obéissant la cause (« l'auteur ») du salut éternel, une existence du même niveau que la vie des personnes divines.

Parole de spécialiste

Pour approfondir cet extrait précieux de l’Épître aux Hébreux, il vaut la peine de partager quelques lignes de Mgr Gianfranco Ravasi, tirées de son commentaire en italien des textes de ce dimanche.

Dans la Pâque du Christ, un pont de communication s'établit en pratique entre Dieu et l'humanité. C'est l'alliance nouvelle : non pas scellée avec des sacrifices d'animaux, mais avec l'offrande du Fils, victime et prêtre. Un premier point de réflexion nous conduit à contempler le sacrifice du Christ qui nous sauve et qui nous implique avec lui. « Ce qu'exprime la lettre aux Hébreux, c'est un Credo partagé avec l'ensemble du Nouveau Testament : la solidarité du Christ avec l'être humain souffrant et pécheur, fondée sur une fidélité radicale à Dieu; cette solidarité et cette fidélité vont jusqu'à la mort, jusqu'au sacrifice de la vie. Dieu y répond de manière créatrice, en acceptant cette vie offerte. » (E. Schillebeeckx) Ce sacrifice s'avère ainsi lui-même créateur et sauveur. Il en va de même de notre sacrifice, en tant que membres du Corps du Christ, « qui complète dans notre chair ce qui manque aux souffrances du Christ en faveur de son Corps, qui est l'Église ». (Colossiens 1,24) [1]

Le sacrifice du Christ ne s'accomplit pas seulement lors de sa mort, mais dans l'ensemble de l'événement pascal : Jésus n'est donc pas seulement le simple martyr d'un idéal humanitaire. Passant par l'ultime solidarité humaine (la mort et la souffrance), il dépose en elles le germe de l'éternité et de la vie, par sa résurrection et son exaltation. À cause de cela, la vision chrétienne est à la fois réaliste et optimiste, chair et esprit, grain mort et épi mûr. C'est perdre pour trouver, ce sont vie terrestre et vie éternelle, humiliation pour la glorification, mort et vie, humanité et divinité.

La vie s’enracine dans la mort (Jean 12, 20-33)

Vous porterez attention à de nombreux détails de l’évangile. Il serait dommage de limiter notre étude à la seule parabole du grain qui ne meurt pas ou qui meurt bel et bien... même si ces images agricoles sont très puissantes dans leur brièveté!

Quelques questions

Voici une liste de détails à observer. Remarquez où et quand se situe l'action. Qui déclenche la longue déclaration de Jésus? En combien d'étapes se noue le contact? Pourquoi les services d'intermédiaires semblent-ils plus efficaces qu'un contact direct avec Jésus? Les paroles de Jésus ont-elles un rapport avec la demande initiale des étrangers? Qui semble trouver intérêt aux paroles de Jésus? Quelle confirmation reçoit-il de la pertinence de ses propos? Sous quelle forme? Comment les auditeurs accueillent-ils cette confirmation?

Quelques réponses

Les relations, l'être-avec sont le thème dominant de ces lignes. Au moment crucial de la Pâque juive, des étrangers espèrent une rencontre spirituelle de fort calibre. Ce désir s'exprime dans le verbe « voir », un mot très riche dans l'Évangile selon Jean.

Que des étrangers s'intéressent à un prêcheur juif n'est pas si surprenant. Il y a plusieurs degrés d'appartenance au peuple de Dieu, dans un Empire romain ouvert sur la diversité. Comme la société donne priorité aux relations de groupe sur les relations individuelles, il est normal de chercher les canaux de communication les plus efficaces. Choisir comme intermédiaires deux apôtres au nom grec constitue un choix stratégique. D’autant plus que l'un des deux vient d'une ville nouvelle typiquement païenne…

La réponse de Jésus embrasse ainsi plus que le groupe des demandeurs. Elle concerne un thème d'importance vitale dans la société méditerranéenne: la réputation qui vient des relations avec une personne plus puissante que soi. Selon Jésus, le partage de la gloire du Père ne rejaillit pas seulement sur le Fils. Tous ceux qui « voient » et « suivent » auront accès à cette dignité.

Dans un monde qui prend au sérieux les états de conscience altérés, la confirmation céleste ne fait nullement problème. Au contraire, elle ajoute de la valeur aux propos publics de Jésus.

Des Paroles pour vivre

Ne nous limitons pas au charme agricole de la micro-parabole du grain qui meurt. Bien sûr, cette brève image conteste notre manie de tout limiter à notre orgueilleuse personne.  Mais l'expérience relatée ne correspond plus tellement aux préoccupations quotidiennes de la majorité des auditeurs de la Parole.

Les personnes qui vivent en milieu urbain seront fascinées par le reste du texte évangélique. Ses considérations sont très urbaines: mise en contact des personnes, relations solides et fructueuses, intégration, participation à la gloire... On croirait entendre les propos d'un chef d'entreprise qui stimule ses travailleurs à participer aux succès de l'organisation!

Il y a cependant une condition pour que Jésus intervienne comme agent d'intégration à l'alliance nouvelle. C'est l'obéissance. Chez nous, c'est un terme à connotation négative. On soupçonne d'obéir les seules personnes qui n'ont pas assez de colonne vertébrale pour mener leur existence à leur convenance. Selon la culture biblique, l'obéissance est la source d'une vie fructueuse, riche en relations profitables. L'obéissance à la personne dont on dépend pour trouver une place dans la société traduit la réalité de l'être-ensemble. Voilà du nouveau aux oreilles des individus qui jouent à fond les cartes de la culture nord-américaine. Leur isolement n'est certainement pas le projet de Dieu. Leur détresse a déjà trouvé une solution dans l'obéissance de Jésus. Il est, lui, le dernier mot de Dieu, une parole d’alliance éternellement nouvelle.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2568. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

[1] Gianfranco Ravasi, Celebrare e vivere la Parola, Commento al Lezionario Festivo, Anni A-B-C, Milano, Editrice Àncora, 1987, page 319. Traduction par Alain Faucher.

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