Jésus chasse un possédé de la synagogue (détails). James Tissot, entre 1886 and 1894. Aquarelle et mine de plomb sur papier vélin, 23 x 18 cm. Brooklyn Museum, New York (photo : Wikipedia)

Un enseignement nouveau

Sébastien DoaneSébastien Doane | 4e dimanche du Temps ordinaire (B) - 22 janvier 2018

L’homme tourmenté par un esprit mauvais : Marc 1, 21-28
Les lectures : Deutéronome 18, 14-20 ; Psaume 94 (95) ; 1 Corinthiens 7, 32-35
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Lorsque je travaillais à l’Oratoire Saint-Joseph, j’ai connu un bon père qui devait prendre sa retraite. Lors de son déménagement, je lui ai donné un coup de main avec ses dossiers. Parmi ses homélies, j’en ai trouvé une qui portait une annotation en marges : « argumentation faible, hausser le ton! » On voit parfois la même tactique chez les politiciens. Lorsqu’on parle fort avec conviction, même les banalités peuvent passer. Il semble que cette stratégie ne date pas d’hier. Dès le début de l’Évangile selon Marc, Jésus est présenté comme un enseignant qui se distingue des autres.

Quel enseignement?

La scène se déroule à Capharnaüm le jour du sabbat. Le narrateur fait une distinction entre Jésus et les scribes. Ils enseignent tous à la synagogue, mais Jésus enseigne avec « autorité » (exousian), contrairement aux scribes. Le travail des scribes comprenait plusieurs tâches. Ils pouvaient écrire et lire des documents, enseigner la lecture et l’écriture, mais aussi interpréter les Écritures et les lois. Cela dit, la distinction que fait Marc montre que Jésus n’est pas un scribe. D’ailleurs, puisque nous n’avons aucun écrit de Jésus, plusieurs se demandent même si Jésus savait lire et écrire. Il faut savoir que les spécialistes estiment que seulement 5% de la population de l’époque était lettré. Cela ne veut pas dire que les autres n’étaient pas intelligents, bien au contraire. La lecture et l’écriture étaient réservées à un groupe de scribes qui se spécialisaient dans ce travail.

Mais, quel est l’enseignement de Jésus? En lisant ce texte à partir de notre culture actuelle, notre présupposé est que l’enseignement de Jésus est composé de discours plus percutant que ceux des scribes. Or, la suite montre que ce n’est ni le contenu ni le ton qui marque la différence de sa prédication. La scène qui est encadrée par l’affirmation du narrateur et des foules que Jésus enseigne avec autorité n’est pas un discours, mais le récit d’un exorcisme.

Pour l’Évangile selon Marc, il semble que l’enseignement et l’exorcisme sont reliés. C’est suite à l’exorcisme que la foule s’exclame : « Voici un enseignement nouveau donné avec autorité ». Cette parole n’indique donc pas que Jésus est un rhéteur habile pour manier le verbe. En fait, cette scène sur l’enseignement de Jésus ne transmet que quelques mots du maître : « Tais-toi! Sors de cet homme. » Contrairement aux présentations de Jésus des autres évangiles, Marc ne montre pratiquement jamais Jésus en train de faire des discours. Le Jésus de Marc parle par ses actions. Cependant, les quelques mots qui lui sont attribués s’avèrent d’une efficacité redoutable. Alors qu’à la synagogue, les scribes lisaient et commentaient les Écritures avec plus ou moins d’effet, Jésus, par quelques mots, expulse un esprit impur! Voilà ce qui est jugé « nouveau » et qui fait « autorité ». 

Quelle autorité?

L’activité de guérisseur et d’exorciste de Jésus pose question. Cependant, nos questions ne sont pas celles du premier siècle. Pour nous, ces activités surnaturelles semblent impossibles. Pourtant, en Marc, les adversaires de Jésus ne remettent pas en cause le fait que Jésus opère des miracles. En revanche, ils demandent constamment quelle autorité lui permet de réaliser ces actes de puissances.  Puisqu’il commande aux esprits impurs et que ceux-ci lui obéissent, on peut comprendre un peu plus loin dans l’évangile que certains se demandent s’il ne détient pas son autorité du chef des démons : « Il a Béelzéboul en lui! C’est par le démon qu’il chasse les démons. » (3,22) Or, dans le dialogue de l’extrait de ce dimanche, l’esprit impur indique plutôt un rapport d’opposition entre lui et celui qu’il qualifie de « Saint de Dieu ». Ce titre assez rare indique que Jésus est « saint », c’est-à-dire proche de Dieu, la source de toute sainteté. Comme le sacré est séparé du profane, Jésus est ainsi mis à part par sa relation à Dieu. Voilà d’où il tient son autorité et ce qui le distingue des autres. Il n’est pas comme les autres, il est le saint de Dieu.

Les exorcismes de Jésus

Avouons-le, lire les récits d’exorcismes opérés par Jésus peut nous rendre mal à l’aise. D’une part, l’aspect surnaturel n’est pas évident à comprendre. D’autre part, la question du mal et de ses représentations peut faire peur. D’ailleurs, le film culte de science-fiction The Exorcist a bien compris le potentiel symbolique de cet acte spirituel fascinant.
En Marc, les récits d’exorcismes permettent de comprendre l’identité profonde de Jésus. Contrairement aux disciples, les esprits mauvais dans leurs dialogues avec Jésus savent qu’il est le Christ, le fils de Dieu et dans ce récit le saint de Dieu.

Peu importe si l’on accorde une valeur historique ou non aux récits d’exorcisme, le message de foi qu’ils proposent est essentiel. Les exorcismes de Jésus permettent aux personnes qui étaient exclues de retrouver une place dans la société. Ces exorcismes sont les signes que le règne de Dieu proclamé par Jésus triomphe du mal dans toutes ses formes.

À la fin de ce premier récit miraculeux, la table est mise pour la suite de l’Évangile selon Marc. Tout au long du ministère de Jésus, sa renommée se répand partout en Galilée. Comme ici, les foules sont saisies, étonnées et même parfois apeurées par les actes de puissance réalisés par Jésus. D’ailleurs, dans cet évangile, les disciples sont envoyés pour annoncer l’Évangile en faisant des signes similaires à ceux de Jésus (Mc 16,15-18).

La prédication non verbale

Au lieu de commenter l’évangile par de belles paroles ou en « haussant le ton » comme mon ami, peut-être qu’on peut faire comme Jésus et laisser nos gestes parler. On attribue à François cette maxime qui traduit tout à fait l’esprit de la prédication de Jésus en Marc : « Prêche tout le temps l’Évangile et, si nécessaire, utilise des mots. »

Sébastien Doane est bibliste et responsable de la rédaction du site interBible.

Source : Le Feuillet biblique, no 2561. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.