Jésus guérit la belle-mère de Pierre. Mosaïque de l’église Saint-Sauveur-in-Chora, Istanbul.

L’Évangile qui guérit!

Alain FaucherAlain Faucher | 5e dimanche du Temps ordinaire (B) - 29 janvier 2018

Jésus guérit la belle-mère de Pierre : Marc 1, 29-39
Les lectures : Job 7, 1-4.6-7 ; Psaume 146 (147) ; 1 Corinthiens 9, 16-19.22-23
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Les guérisons de Jésus nous amènent ailleurs, au-delà de notre époque. Selon nous, la guérison physique exige des compétences attestées soigneusement par des autorités médicales très compétentes. Parce que nous vivons dans ce contexte restrictif, nous avons du mal à nous sentir touchés ou impliqués par l’évangile du jour, chargé de guérisons. Comme si les gestes posés autrefois par Jésus ne nous concernaient plus. Comme si les gens de notre entourage n’avaient pas besoin d’être soulagés et ne ployaient pas sous le fardeau des maladies de notre époque…

Voir Jésus effectuer en rafale des guérisons nous intrigue, au mieux, ou nous exaspère, au pire. Nous avons pris l’habitude de dissocier les soins du corps et les questions de sens, de croyances et de foi. Devant les succès de Jésus, notre mentalité nous donne envie de limiter ses talents au niveau « psychologue amateur ». En évitant d’affronter cette puissante réalité de son époque : un homme de Dieu confirmait son autorité en distribuant autour de lui soulagement et guérison.

Notre malaise devant les récits de guérison est révélateur. Il exprime la différence qui nous sépare du monde de Jésus. Nous valorisons pilules et petites granules? Les préoccupations de l’époque de Jésus sont ailleurs. Pour combler ce fossé, pour apprécier la force de l’évangile, nous devons percevoir la portée des comportements de Jésus qui y sont racontés. Une fois apprivoisés avec la valeur de ces comportements, nous pourrons ouvrir avec précaution les portes sur une actualisation des événements racontés dans l’évangile. Même modeste, cette ouverture fera de l’évangile une Bonne nouvelle pour nous, une Bonne nouvelle proclamée jusqu’aux périphéries de nos Galilée d’aujourd’hui.

Jésus réintègre une personne malade

L’évangile du dimanche enfile trois scènes qui ont chacune leur importance. En explorant leur signification dans le contexte de l’époque, nous constatons qu’il ne s’agit pas d’anecdotes minces et banales, mais davantage de mises en récit concentrées de préoccupations très importantes à l’époque de Jésus.

Le récit le plus troublant pour nous est celui qui ouvre le texte d’évangile aujourd’hui. Jésus ramène à la santé la belle-mère de Pierre. Au lieu de prendre le temps de récupérer, madame s’empresse de recevoir les visiteurs de passage. Nous trouvons alors ambigu le beau geste de Jésus. Nous fronçons le sourcil : Jésus est-il en train de renvoyer les femmes à la cuisine? Cela nous semble dépassé.

En fait, pour Jésus, guérir les corps aidait à rétablir les relations humaines brisées par la maladie. Les sociétés de l’époque de Jésus attribuaient de l’honneur aux gens qui accomplissaient correctement les rôles attribués à chaque type de personne. Tenir sa place, jouer son rôle étaient une source de grand honneur. Voilà pourquoi Jésus ne soigne pas seulement le corps de la belle-mère de Pierre. Il la guérit complètement car il l’aide à jouer le rôle social que tous (y compris elle-même) attendaient d’une mère. En présence de Jésus, la fièvre qui gâchait sa vie disparaît, ce qui rétablit son honneur.

Jésus guérit des foules

Dans la première scène, nous avons constaté qu’on associe le pouvoir de guérison au pouvoir de « remise en relation ». Dans les deuxième et troisième scènes de l’évangile, Jésus guérit beaucoup, avec abondance.

Mais il ne se limite pas à ouvrir un dispensaire. Il va, il vient, il porte partout une Bonne Nouvelle efficace. Elle fait fuir les démons, ces esprits pervers à qui on attribuait tous les malheurs de l’époque. Malaise physique et possession sont entremêlés dans le récit, au point qu’il est difficile pour nous de comprendre comment Jésus s’y prenait pour affronter et régler tous ces problèmes… Au fond, Jésus recrée l’ordre du monde. C’est lui qui a l’initiative de la Parole, pas les forces du mal. Ses succès comme guérisseur démontrent qu’il est investi de la puissance de création qui appartient… au Créateur. Jésus a les pouvoirs de son envoyeur…

Même si la compétence « médicale » de Jésus est difficile à déchiffrer, nous commençons à comprendre pourquoi nous devons nous y intéresser maintenant. D’autres sociétés s’y intéressent de plus en plus! La foi est en mouvement sur notre planète vers des pays davantage capables d’apprécier ce « talent » de Jésus. C’est un fait avéré par les statistiques : la foi chrétienne migre vers le Sud, vers des peuples qui valorisent beaucoup les talents de guérisseurs. La foi chrétienne aura un avenir dans ces contrées si elle « soigne » les personnes dans toutes leurs dimensions… y compris la dimension physique.

La totale pour Jésus : guérir et proclamer

Notre foi chrétienne sera intéressante pour les gens de notre pays si nous apprenons à dire à quel point elle fait une différence dans notre vie quotidienne, incarnée. À quel point elle nous apporte guérison du cœur, consolation, mais surtout élan nouveau et capacité d’innovation en répondant aux besoins réels de nos concitoyens. Par exemple, dans un contexte de restriction des soins disponibles, n’y aurait-il pas place pour des communautés religieuses qui voueraient leur vie à accompagner certaines clientèles particulièrement fragiles et négligées?

Les propos de Jésus sur l’Évangile à proclamer démontrent qu’il s’adresse à des personnes « complètes » : Jésus soigne les corps autant que les âmes. Ses bienfaits touchent les corps lorsqu’il les guérit. Mais cette guérison va plus loin que l’hygiène et la remise en forme. En toute cohérence avec la scène de réintégration de la belle-mère de Pierre, Jésus guérit des personnes impliquées dans le monde pour affirmer la présence de la Bonne Nouvelle. Il proclame l’Évangile d’un monde humain désormais en contact étroit avec le monde de Dieu.

Certes, Jésus apprécie le silence du désert. Mais ce lieu de retraite et de prière lui redonne l’élan pour rentrer en zone humaine et y porter sa différence. Sa proclamation « passe par le corps », même le corps malade. Sans qu’on utilise le mot, l’Incarnation est à l’œuvre. Dieu n’est pas le Tout-lointain, mais plutôt le Très-bas, le Tout-proche.

Nous touchons du doigt l’originalité de notre religion. Dieu s’occupe des humains, corps et âme. Dieu s’investit dans les soins des corps humains. C’est pour lui un chemin pour se dire. Il n’est pas le fou furieux destructeur que certains exaltés acclament en faisant sauter leurs bombes. Dieu est là quand sont soignés les corps affamés, assoiffés, blessés, prisonniers, ce que célèbre l’Évangile selon Matthieu dans une page célèbre (Matthieu 25)…

Paul se fait tout à tous
1 Corinthiens 9, 16‑19.22‑23

Quelques mots maintenant sur les deux autres lectures. Elles s’inscrivent dans la continuité de certains propos de l’Évangile.

Ainsi, la deuxième lecture fait corps avec le texte de saint Marc. Elle fournit un écho du parcours d’évangélisation de Jésus. Paul décrit à quel point ce processus de communication est désormais inscrit au cœur de son existence. Il ne se limite pas au côté spectaculaire des guérisons physiques. Il se donne totalement pour proclamer que le monde divin fait désormais partie du monde humain.

La vie de l’homme est une corvée
Job 7, 1‑4.6‑7

Ces quelques lignes offrent une excellente mise en contexte des récits de guérison. On y dresse un portrait assez lugubre de la condition humaine. Cette évocation rapide est à la fois grandiose et tristement réaliste.

Le texte est composé de phrases exprimant en double chaque idée. Cela lui confère un souffle prophétique et une force de communication exceptionnelle.

Trois idées s’y enchaînent. D’abord, on constate la difficulté de la vie. C’est une corvée, un travail de bas étage. Ensuite, on évoque la noirceur ressentie à l’égal de la nuit qui envahit la conscience et instille la peur au creux de la vie. Enfin, cette triste vie n’est pas bien longue. Comme la navette du tisserand, elle épuise bien vite la provision de fil…
Cette vie humaine a besoin de guérison. Pour toutes ces raisons, l’air frais de l’Évangile est bienvenu.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2562. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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