(photo : Oleg Dudko / 123RF)

Un cœur proche de Dieu

AuteurAlain Faucher | 22e dimanche du temps Ordinaire (B) – 2 septembre 2018

Le pur et l’impur : Marc 7, 1-8.14-15.21-23
Les lectures : Deutéronome 4, 1-2.6-8 ; Psaume 14 (15) ; Jacques 1, 17-27
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

« Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. » (Lettre de Jacques 1,22)

La longue fin de semaine de la Fête du travail nous laisse un peu de temps pour célébrer avec fierté nos réalisations. Justement, les textes bibliques de ce dimanche nous permettent de réfléchir à toutes ces actions que nous posons au fil des jours à cause de Dieu. Sommes-nous étouffés par les préceptes, les commandements et les règles? Ou, au contraire, savons-nous nous les utiliser comme un tremplin pour monter plus haut dans notre attachement à Dieu? L’Évangile, le Deutéronome en première lecture (Dt 4,1-2.6-8) et la Lettre de Jacques (Jc 1,17-27) nous recentrent sur une pratique religieuse consciente et équilibrée. Après avoir lu ou écouté attentivement ces paroles de jadis, nous aurons le goût de célébrer, à notre façon, le Seigneur notre Dieu qui est proche de nous (première lecture) et qui veut que notre cœur soit proche de lui (évangile) devant les dons parfaits qui viennent de lui (deuxième lecture)…

En lisant l’évangile, gare aux stéréotypes

Il nous arrive souvent de lire… sans lire. Au lieu de décoder ce qui se passe dans un texte, nous remplaçons inconsciemment un cas particulier par une généralisation décrochée du réel. Nous plaquons un stéréotype au lieu d’explorer chaque réalité avec toutes ses originalités. Ce phénomène joue souvent dans notre lecture de l'Évangile. Nous lisons des mots que nous interprétons avec un stéréotype. Ce « placage » d’une préconception nous empêche de percevoir le bien-fondé, l’ampleur et l'urgence des paroles de Jésus. Ainsi, chaque fois que nous entendons « pharisiens », nous pensons qu'il s'agit de méchantes personnes. Nous réagissons spontanément avec dédain, comme si être attaché à la Loi de Dieu « à la manière de ces gens-là », c'était mauvais ou suspect… et que nous ne pourrons rien en tirer d’intéressant ou d’utile.

Il faut dépasser notre préjugé défavorable et comprendre que les Pharisiens, c'étaient des laïcs juifs fortement engagés. Ces gens voulaient vivre à fond leur foi juive. Ils prenaient les grands moyens pour ne pas se laisser bouffer par la société permissive de la Jérusalem à moitié païenne. Aujourd'hui, on dirait en parlant des Pharisiens, avec nos mots à nous, que ces gens sont « du bien bon monde, du monde d'Église, des pratiquants convaincus et sérieux »…

Quant aux scribes, il s'agissait de gens cultivés, des gens imprégnés d'une solide culture et d'une grande connaissance religieuse. Nous avons tort de les considérer comme les méchants garnements de l'histoire, bornés et incapables d’évoluer. J'ai même l'impression qu'ils nous ressemblent, puisque nous aussi nous voulons vivre la loi de Dieu en l’appliquant intelligemment dans le monde où nous sommes... Donc, ce que dit Jésus dans cet évangile aux Pharisiens et aux scribes nous concerne directement!

Des propos du fond du cœur

Or, que dit Jésus? Il parle de deux sujets... apparemment. Il doit répondre aux reproches mérités par ses disciples qui ne respectent pas la tradition des anciens. Cela permet à Jésus d’aller plus loin : il commente les problèmes de pureté rituelle en fonction de la véritable source du mal, l'intérieur de l'homme. Il y a une connexion étroite entre les deux problèmes : à force d'accumuler les couches de traditions, on finit par ne juger les choses que de l'extérieur et on croit que tout ce qui peut faire problème ne peut venir que de l'extérieur. Jésus invite à plonger au cœur de la foi. C'est là que la décision de suivre Dieu se prend. Cette décision attaque à la racine le mal qui surgit du cœur de la personne.

Jésus rappelle qu'il y a un écart d'importance entre les commandements de Dieu et la tradition des hommes. Confondre les deux niveaux, cela brouille la communication, les lèvres et le cœur, l'extérieur et l'intérieur. Jésus renvoie à l'espace intime où notre liberté et celle de Dieu sont aux prises comme Jacob qui se battait avec l'ange. Là se jouent autant la vie que la non-vie, l'amour autant que « tout ce mal ».

Le reproche des pharisiens et des scribes au sujet de la tradition des anciens ne concerne donc pas seulement une question de propreté du genre de « la mère qui essaie de faire comprendre à son enfant de se laver les mains avant de manger! » Jésus ne se serait pas créé autant d'ennemis avec de simples déclarations au sujet de pratiques d'hygiène. Il luttait pour un enjeu majeur. Le reproche des gens de Jérusalem cache une conception de la manière de vivre la foi. Selon eux il y a des gestes qui différencient l'homme de la bête et le rapprochent de Dieu, des gestes qui
bloquent tout ce qui va-contre-Dieu. Personne ne trouvait à redire contre cette séparation des choses saintes et des choses profanes, à moins de proposer une manière supérieure de voir les choses « avec les yeux de Dieu ». C’est le cas de Jésus. Sans détruire le système du pur et de l’impur, il lève les œillères qui empêchaient d’en voir la profondeur.

Cœur à cœur

Au-delà du reproche des pharisiens et des scribes adressé aux disciples, il y a un reproche global contre le message adressé par Jésus à ses disciples. Ce message fondamental concerne la manière de vivre la foi au Dieu unique... En Judaïsme, il y a toujours eu une forte tendance à l'accumulation, à la superposition d'interprétations pratiques que l'on conserve même quand les circonstances n'ont plus rien à voir avec le problème original. Cette tendance à l'accumulation fait problème : cela finit par masquer le cœur de la foi et son utilité révolutionnaire, radicale.

Jésus n'a jamais été contre cet enseignement central sur l'amour de Dieu et du prochain, que l'on nomme en français la Loi. Au contraire, Jésus cite volontiers l'essentiel de la loi lorsqu’il est invité à citer le commandement essentiel. Nous y reviendrons au 31e dimanche. Cependant, ici, Jésus parle un peu d'autre chose. Il reprend le reproche que les prophètes adressaient au peuple : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » Jésus répète un reproche des prophètes qui leur coûtait souvent la vie... ce qui sera d’ailleurs le sort réservé à Jésus! Ce n'est pas la Loi que Jésus conteste, mais la manière de vivre la relation à cette Loi.

Ne nous limitons donc pas à dire : « Jésus est contre les règlements ». Il faut se sortir de la problématique « Loi-vue-comme-règlement » : notre traduction du mot Torah est un peu trop étroite... Comme en fait foi la première lecture, la Loi veut pointer sur quelque chose de central, d’essentiel pour la vie. Il s'agit d'un enseignement pour savoir comment vivre l'alliance avec Dieu... Comment traduire dans les faits l'amour pour Dieu. Sortons-nous d’une idée un peu trop ratatinée au sujet de la Loi: cela n'a rien à voir avec les petites règles élémentaires de la vie. Pas besoin d'être juif ou chrétien pour savoir qu'il faut se laver les mains avant d'aller à table! L'enjeu perçu par Jésus est autrement plus grave. Il s'agit d'exprimer le lien absolument indispensable entre le Créateur et ceux qui reconnaissent son existence et son rôle dans leur vie humaine.

Au cœur de nos pratiques

Le Deutéronome nous dit : les commandements, « vous les garderez, vous les mettrez en pratique; ils seront votre sagesse et votre intelligence aux yeux de tous les peuples. » À force d'accumuler les emballages, comprenez, les traditions neuves par-dessus les traditions desséchées, on se perd en parlotes et on ne fait plus grand-chose qui manifeste à quel point l’amour de Dieu est une force de transformation du quotidien. Il faut que les commandements et la tradition renvoient sans cesse au cœur du message de l'amour de Dieu. Sinon, ce ne sont que des mots, des mots, encore des mots... mais où est l'action? Il faut donc garder et observer tous les commandements, sans jamais oublier qu'ils sont des moteurs pour l'action, pas des freins ou des nuisances.

Les propos de Jésus nous ramènent au cœur de nos pratiques. Si nous apprenons à considérer sérieusement ce qui est éternel et relativiser ce que tel ou tel siècle a apporté dans notre piété et notre foi, nous serons capables de faire face au présent... et au futur! Heureusement, les circonstances extérieures nous poussent actuellement à prendre parti très clairement pour ou contre Jésus. Une fois ce parti pris, nous devons accorder notre vie à nos principes, sous peine de nous faire tourner en ridicule par notre entourage qui ne peut supporter les coquilles vides.

Jésus commente les problèmes de pureté rituelle en fonction de la véritable source du mal, l'intérieur de l'homme. Cela nous ramène à la première contestation de Jésus : ne pas se laisser impressionner par l'extérieur... Ce qui compte, c'est l'intérieur : de là surgit l'impureté réelle. Mais il ne suffit pas de bien situer la source du péché. Il faut reprendre en considération notre façon de voir tout ce qui nous arrive... Si le mal, c'est quelque chose qui surgit du cœur de l'homme, alors Dieu n'en est pas l'auteur. C'est ainsi que commence la deuxième lecture : « les dons les meilleurs viennent de Dieu ». Dieu n’est pas l’auteur des choses difficiles ou mauvaises, des maladies et des trahisons, des malheurs et des tuiles!

Si nous adhérons à Dieu, si nous faisons corps avec lui, nous aurons le goût de lutter contre tout ce mal qui surgit de nos cœurs et de nos vies limitées. N'ayons donc pas peur de vivre au monde, de nous salir un peu les mains. Ce n'est pas ce qui éloigne de Dieu. Si Dieu a pris corps, c'est parce que la vie vaut la peine d'être vécue. Ce qui compte désormais, c'est que nous soyons la présence de Dieu auprès de ceux et celles qui vivent des situations de détresse dans ce monde riche et égoïste. Ce que nous vivons entre nous donne sens à ces aventures que nous vivons lorsque nous osons parler de choses profondes avec les gens qui ont mal à leurs amours, le cancéreux au bord de sa phase terminale, la personne âgée qui vit l’abandon. Cessons de nous en laver les mains. Dieu nous veut dans ce monde, pour que le monde sache qu'il y a un Dieu qui aime l'univers, grâce aux gens qui font passer dans le domaine pratique la vie si riche donnée par Dieu. Dieu nous donne le meilleur du bon. À notre tour d'inventer pour ceux et celles qui nous entourent le don de la présence qui leur fera percevoir les bontés de Dieu.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2583. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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