L'une des premières représentations du Bon Pasteur. Catacombe de Priscille, Rome. (photo : Wikipedia)

Quel genre d'homme était le Fils de l'homme?

Sébastien DoaneSébastien Doane | 4e dimanche de Pâques (année B) - 22 avril 2018

Le pasteur véritable et le mercenaire : Jean 10, 11-18
Les lectures : Actes 4, 8-12; Psaume 117 (118) ; 1 Jean 3, 1-2
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Les études bibliques s’inspirent souvent des recherches en sciences humaines. Par exemple, depuis peu, plusieurs chercheurs se penchent sur la construction de la masculinité dans la Bible. Chaque culture porte sa propre façon « d’être un homme ». On retrouve aujourd’hui plusieurs stéréotypes qui évoquent autant de façons d’être un homme : le macho, l’homme rose, le bûcheron urbain, le hipster, l’intello, etc. Aux temps bibliques, on retrouve aussi divers modèles de masculinité. Au fait, quel genre d’homme était Jésus? L’extrait de l’Évangile selon Jean de ce dimanche (10,11-18) montre comment cet évangile propose de voir la masculinité de Jésus. Les crucifiés étaient vus comme des criminels qui n’avaient plus rien en commun avec les hommes honorables. Pourtant, Jean présente Jésus comme un modèle d’homme à suivre. Un bon berger qui donne sa vie pour les autres.

Les idéaux masculins de l’Antiquité

Que faut-il faire pour être un homme, un « vrai », au temps de Jésus? Le contrôle de soi et de ses émotions était très important. Dans les interactions publiques, un homme se devait de montrer son influence autant dans ses paroles que dans ses actions. Faire preuve de courage et de force dans des situations de combat était très bien vu. Bref, un homme devait tout faire pour être reconnu comme un leader par d’autres hommes.

Dans les évangiles, certains traits de Jésus sont associés aux idéaux masculins. Par exemple, il est reconnu comme un grand orateur. Lorsqu’il est publiquement mis au défi par d’autres hommes spécialistes des lois religieuses, il réussit toujours à se tirer d’affaire. Il est si persuasif qu’il réussit à se rapprocher des exclus, des pauvres, des malades, des enfants et des femmes tout en gardant sa posture de leader. Il est même reconnu comme maître (rabbi) par un groupe d’hommes qui acceptent de se mettre à sa suite et de devenir ses disciples.

La perception d’un crucifié

Or, le type de mort de Jésus change complètement le portrait de sa masculinité, de sa façon d’être homme. Cicéron, un orateur romain, transmet à quel point ce type d’exécution est mal vue : « Enchaîner un citoyen romain est un crime, le battre de verges est un délit ; lui faire subir la mort, c’est presque un parricide, mais l’attacher à une croix! Les expressions manquent pour caractériser une action aussi exécrable! ... c’est le supplice le plus cruel et le plus infamant qu’on inflige à des esclaves » [1]. La crucifixion est un sort impensable pour un homme libre. Ce type d’exécution fait passer le supplicié sous le rang des esclaves.

Dans ce contexte, la méthode d’exécution de Jésus fait qu’il est vu comme une victime, publiquement humiliée par ceux qui exercent le pouvoir. Son corps est pénétré par les clous plantés par d’autres hommes plus forts que lui. L’Évangile selon Marc montre la croix comme un événement d’abandon total de Jésus. Les disciples l’ont déserté. Personne n’est au pied de la croix. Dans son dernier souffle, Jésus lui-même crie l’abandon qu’il ressent de Dieu.

L’Évangile selon Jean permet une interprétation très différente de cette scène. Dès le chapitre sept, ce récit révèle que des hommes en autorité veulent tuer Jésus. Cette mort semble inévitable. Jésus va mourir crucifié comme un bandit, comme un voleur. Mais pour l’Évangile selon Jean, il ne s’agit que de l’apparence. En réalité, Jésus ne meurt pas parce qu’il est faible. Au contraire, il meurt parce qu’il est le « bon berger ».

Le bon berger comme figure masculine

L’image bucolique qu’on porte aujourd’hui par rapport aux bergers ne cadre pas avec le monde de la Bible. À l’époque, ils étaient des gens marginalisés. Leur métier obligeait les bergers à vivre loin des autres. La proximité des bêtes était plus habituelle que celles des autres personnes. Par ailleurs, la Bible transmet aussi une tradition positive au sujet des bergers qui sont associés à la juste façon d’être roi. En effet, le roi, l’homme par excellence, celui qui représente Dieu auprès de son peuple est présenté dans l’Ancien Testament comme un berger qui prend soin de son peuple. Cet idéal biblique est souvent mis en contraste avec les rois humains qui ne sont pas à la hauteur de cette tâche, qui s’occupent de leur intérêt personnel avant tout.

L’Évangile selon Jean, en reprenant ce symbole biblique, indique que Jésus est comme un berger : à la fois exclu socialement, mais aussi proche de l’idéal divin pour le leadership de son peuple. Pourtant, Jésus, le bon berger, ne gouverne pas de peuple. Il est un témoin qui indique la voie vers le Père.

Ainsi, malgré les apparences, le crucifié est le leader idéal. Il répond aux vertus masculines de l’époque en faisant preuve de contrôle de soi et de ces émotions, même dans l’anticipation de la mort qui vient. Il n’est pas exécuté parce qu’il est plus faible que les autres, mais parce qu’il se donne pour ceux dont il a la responsabilité. « Je donne ma vie... Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même » (Jn 10,18).

Le bon berger donne sa vie pour ses brebis en s’opposant aux loups qui attaquent le troupeau. Contrairement aux dirigeants de l’époque, il se soucie des personnes sans vouloir prendre le pouvoir et dominer.

Donner pour recevoir

L’histoire ne se termine pas avec la crucifixion. Jésus accepte de donner sa vie, mais Dieu répondra en lui redonnant la vie par sa résurrection. La réaction à ce discours de Jésus provoque la division. Certains affirment qu’il est possédé d’un démon, qu’il est fou et qu’il ne faut pas l’écouter. Selon leur perspective, Jésus ne se contrôle pas, il n’est pas un « homme » raisonnable. Par contre, les « vraies brebis », ceux et celles qui le connaissent et le suivent, accepteront l’interprétation que Jean propose de la mort de Jésus et ainsi, ils recevront « la vie éternelle, ils ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main » (Jn 10,28).

Cette présentation peut nous aider à réfléchir sur nos propres conceptions de ce qu’est un « vrai homme » dans notre culture. Le succès d’un homme est souvent mesuré par son argent, sa renommée ou son pouvoir. En tant qu’homme, le don de soi pour les autres, à la Jésus, m’inspire. Relire les évangiles peut nous amener à regarder d’une façon critique les valeurs associées aux hommes pour permettre la construction d’une société moins patriarcale et plus fraternelle.

Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuse de l’Université Laval (Québec).

[1] Cicéron, Contre Verrès, 5, 64. Écrit vers 70 av. J.-C.

Source : Le Feuillet biblique, no 2573. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.