La parabole du figuier stérile. Eugène Burnand, 1908. Gravure, composition aux trois crayons N°27.

En sursis : Seigneur, laisse-le encore cette année...

Lorraine Caza Lorraine Caza | 3e dimanche du Carême (C) – 24 mars 2019

La conversion est urgente : Luc 13, 1-9
Les lectures : Exode 3, 1-8a.10.13-15 ;Psaume102 (103) ;1 Corinthiens 10, 1-6.10-12
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Chaque année, quand vient le Carême, nous savons que les deux premiers dimanches de ce temps liturgique nous rapportent la scène des tentations de Jésus et celle de la Transfiguration. Selon l’année A, B ou C du cycle liturgique, nous accueillons des textes différents pour les dimanches qui suivent. En cette année C, les 4e et 5e dimanches développent le thème émouvant de la miséricorde, avec les paraboles de la brebis perdue, de la drachme perdue et du fils perdu (Lc 15) ainsi que l’inoubliable récit du pardon de la femme adultère (Jn 8,1-11). Mais, qu’en est-il du 3e dimanche qui doit en ce moment retenir notre attention ? Des trois éléments que comporte le texte évangélique, les deux premiers contiennent un appel vibrant à un changement d’orientation de vie, à une conversion, et la section finale, comme pour nous préparer au saisissant message de miséricorde des dimanches qui vont suivre, évoque l’indicible patience de Dieu, toujours préoccupé de nous accorder un sursis pour que nous choisissions le chemin vers la vie.

Une tragédie...

Considérons d’abord les deux événements racontés dans le passage de Luc 13,1-9. Le premier rapporte un événement tragique, le massacre de Galiléens par Pilate ; le second, la chute de la tour de Siloé. Aucune autre source ne mentionne ces deux faits, mais si l’on en croit l’historien juif Flavius Josèphe, le premier est tout à fait vraisemblable, tant Pilate était connu pour ses répressions sanglantes. Les Galiléens assassinés pourraient être des zélotes venus au Temple pour la Pâque et tués alors qu’ils offraient un sacrifice. Ces zélotes formaient un parti qui s’était développé en Galilée, comme un mouvement pseudo-messianique. Ces zélotes s’agitaient particulièrement lorsqu’ils venaient en pèlerinage à Jérusalem. Or Pilate réprimait les moindres mouvements de foule.

Un accident...

Le second événement rapporté est la chute de la tour de Siloé qui aurait entraîné la mort de 18 personnes dans un faubourg bien connu de Jérusalem. L’accident est évoqué avec trop de précision pour qu’on puisse mettre en doute la véracité du fait. À la différence du premier fait mentionné, la chute de la tour n’implique ni la méchanceté ni la volonté humaine.

Qui est coupable ?

On est d’abord surpris de la réaction de Jésus. Quand on lui rapporte la tragédie des Galiléens assassinés par Pilate, il a le choix de répliquer en disant son accord ou son désaccord avec le comportement des Galiléens, ou bien son accord ou son désaccord avec l’agir de Pilate. Or le texte ne dit pas un mot à ce sujet. Jésus se montre surtout soucieux de tous les autres Galiléens qui n’ont pas été tués. Pourquoi la réaction de Jésus consiste-t-elle à affirmer que ces Galiléens ne sont pas plus coupables que tous les autres Galiléens? Pourquoi, surtout, lance-t-il à son auditoire un sévère appel à la conversion, au retournement du cœur, au changement d’orientation de vie sans quoi ils sont tous condamnés à périr? On a l’impression d’être renvoyés à la prédication de Jean le Baptiste : Produisez donc des fruits dignes du repentir et n’allez pas dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham. Car je vous dis que Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham. Déjà, même la cognée se trouve à la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu (Lc 3,8s).

C’est Jésus lui-même qui introduit le second événement et en dispose tout à fait dans le même sens que l’épisode des Galiléens. Les personnes écrasées par l’effondrement de la tour de Siloé ne sont pas mortes parce qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Siloé. Fidèle à la préoccupation qui le guidait dans sa réflexion sur le sort des Galiléens, Jésus lance à nouveau un vigoureux appel à la conversion. On ne se moque pas de Dieu. Ignorer l’appel au changement de vie, c’est faire le choix de périr de la même façon que les victimes des deux incidents rapportés.

En ce 3e dimanche du carême de l’année C, nous sommes donc tous et toutes invités à un profond retournement du cœur, sans jamais oublier la réponse de Jésus à ses disciples qui demandent ailleurs qui a péché pour qu’un homme soit né aveugle : Ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est afin que soient manifestées en lui les œuvres de Dieu. (Jn 9,3)

Une générosité démesurée...

Une étonnante parabole vient offrir un complément inattendu aux deux situations évoquées auparavant et associées à une démarche de conversion. Il s’agit de la petite parabole du figuier planté dans une vigne. Le propriétaire s’attend évidemment à y trouver des figues. Or, dit-il, trois années sont passées et il n’y a toujours pas de figues. Il croit donc l’heure venue de couper le figuier afin qu’il ne continue pas à épuiser le sol. À notre grande surprise, le vigneron intervient auprès du propriétaire pour réclamer un SURSIS pour ce figuier : Seigneur, laisse-le encore une année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas. TROIS ANS, n’était-ce pas là un maximum? Pourquoi ce sursis humainement déraisonnable ? Pourrait-il s’agir d’exprimer une patience, une miséricorde au-delà de nos mesures humaines ?
 
Outre ce figuier, il y en a aussi un autre dans les deux autres évangiles synoptiques (Mt 21,18-22 et Mc 11,12-14.20-26). Le figuier ne porte pas de fruit et s’attire la malédiction de Jésus avec le desséchement immédiat du figuier. Le contraste est fulgurant entre le traitement sans appel de l’un et la démesure d’une quatrième année accordée à l’autre par le vigneron pour donner à l’arbre la chance de porter des fruits. 

Seigneur, laisse-le encore cette année... N’y a-t-il pas une certaine complicité entre cette attitude du vigneron chez Luc, et le Dieu de l’exode qui dit à Moïse : Je suis le Dieu de ton Père, Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob... J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte et j’ai entendu ses cris... Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre spacieuse et fertile, vers une terre ruisselant de lait et de miel, vers le pays de Canaan... (Ex 3,6-8)?

N’y a-t-il pas une parenté entre le vigoureux appel à la conversion chez Luc et l’exhortation de Paul : Cessez de récriminer contre Dieu comme l’ont fait certains des Pères: ils ont été exterminés... Leur histoire devait servir d’exemple... Ainsi donc, celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber (1 Co 10,10-12)?

Quand François commente l’Évangile...

Appel à la conversion ; évangile de miséricorde : comment ne pas nous rappeler la Bulle d’indiction de François pour l’Année Sainte de la Miséricorde :

« Que puisse parvenir à tous la parole de pardon et que l’invitation à faire l’expérience de la miséricorde ne laisse personne indifférent! Mon appel à la conversion s’adresse avec plus d’insistance à ceux qui se trouvent éloignés de la grâce de Dieu en raison de leur conduite de vie. Je pense en particulier aux hommes et aux femmes qui font partie d’une organisation criminelle quelle qu’elle soit. Pour votre bien, je vous demande de changer de vie. Je vous le demande au nom du Fils de Dieu qui, combattant le péché, n’a jamais rejeté aucun pécheur... » (No. 19).

« Nous avons toujours besoin de contempler le mystère de la miséricorde. Elle est source de joie, de sérénité et de paix. Elle est la condition de notre salut. Miséricorde est le mot qui révèle le mystère de la Sainte Trinité. La miséricorde, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre. La miséricorde, c’est la loi fondamentale qui habite le cœur de chacun lorsqu’il jette un regard sincère sur le frère qu’il rencontre sur le chemin de la vie. La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché. » (No. 2)

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2612. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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