Jésus et ses disciples. James Tissot, 1886-1896. Aquarelle opaque et graphite, 17,3 x 29,7 cm. Brooklyn Museum, New York.

Prêt-e à aller plus loin ?

Marie de LovinfosseMarie de Lovinfosse | 23e dimanche du Temps ordinaire (C) – 8 septembre 2019

Renoncer à tout pour suivre Jésus : Luc 14, 25-33
Les lectures : Sagesse 9, 13-18 ; Psaume 89 (90) ; Philémon 9b.10.12-17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

L’évangile de ce dimanche se situe au milieu de la marche vers Jérusalem (Lc 9,51–19,44) où Jésus vivra son « exode » (9,31), c’est-à-dire le grand passage, l’expression ultime du don de lui-même jusqu’à mourir sur une croix, puis être ressuscité par Dieu et élevé à sa droite. Cette marche de Jésus vers Jérusalem ne correspond donc pas au pèlerinage habituel que les Juifs avaient l’habitude de faire à l’occasion de grandes fêtes.

Appel à un engagement conscient et total

Des foules nombreuses marchent avec Jésus (14,25). Déjà éprouvé par des opposants qui veulent le tuer (13,31), Jésus ne cherche pas à être réconforté par ce groupe de gens qui l’accompagnent. De la même façon que lui-même s’est consciemment engagé sur son chemin vers Jérusalem (9,51), il invite les personnes qui font route avec lui à vivre un discernement en profondeur : sont-elles prêtes à aller plus loin, non seulement à « venir à lui » (14,26), mais à devenir réellement ses disciples, conscientes des implications fondamentales qui en découlent ?

Mettre la relation avec Jésus au centre de toute relation

La première implication de l’engagement à marcher avec Jésus consiste à le préférer à toute autre personne, même celle avec qui un lien étroit est établi par le sang et par le cœur (Lc 14,26). Il ne s’agit pas de négliger les relations parentales, conjugales ou fraternelles, mais d’apprendre à les vivre de manière unifiée, à partir de la source de toute relation vraie et libératrice : Jésus. Lui-même le témoigne par sa vie, en particulier à travers sa relation avec Marie, sa mère. Jamais sa relation avec elle n’est l’occasion de compromis dans sa mission d’annoncer le règne de Dieu. Au contraire, cette relation unique l’amène à reconnaître publiquement que le fondement de son lien avec sa mère, comme avec ses frères et ses sœurs, consiste dans une écoute commune de la parole de Dieu et dans sa mise en pratique (8,34-35 ; rappel en 11,28). L’échelle des relations de proximité de Jésus et, par conséquent, de ses disciples n’est pas celle du commun des mortels. La lettre de Paul à Philémon, dont on trouve un extrait dans la deuxième lecture de ce dimanche, l’illustre avec éloquence : si [Onésime] a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé (Phm 15-16).

Marie est intimement liée à la vie de Jésus, car, avec tout ce qu’elle est, femme, épouse et mère, elle est devenue d’abord servante de Dieu et disciple de Jésus. Qui, plus que Marie, a été disciple de Jésus? Cela ne l’empêche pas de ne pas comprendre au moment même les attitudes et les paroles de Jésus, par exemple, quand, à l’âge de douze ans, il reste au Temple, plutôt que de repartir avec ses parents (2,48-50). Marie a traversé cette part d’angoisse et d’étonnement grâce à son ancrage intérieur : Elle retenait tous ces événements dans son cœur (2,51). Elle était vraiment fondée sur le roc et non en fusion affective avec son fils.

Porter sa croix, derrière Jésus, chaque jour

Devenir disciple implique aussi d’apprendre à porter sa croix et venir derrière Jésus (Lc 14,27). Dans ce verset, le verbe « porter » est conjugué à l’indicatif présent. Il s’agit d’une action dans la durée et non d’une attitude ponctuelle. Après la première annonce de sa mort et de sa résurrection, Jésus avait déjà dit à tous : Si quelqu’un veut venir derrière moi, […] qu’il prenne sa croix chaque jour (9,23). Que signifie porter sa croix, derrière Jésus sinon consentir à partager la souffrance du Serviteur (voir Is 52,13–53,12) qui se livre entre les mains des siens, sans être reconnu et accueilli dans le don unique de sa vie, si ce n’est après coup, grâce à Dieu ?

Jésus a commencé à porter sa croix avant même d’entrer à Jérusalem. Lors de l’aboutissement de sa longue marche, après avoir vu la ville, Jésus pleura sur elle et dit : Si tu avais reconnu ce qui conduit à la paix, mais […] tu n’as pas reconnu le temps de ta visite (19,42.44). Dès sa première prédication, dans la synagogue de Nazareth, tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche (4,22). Cependant, après l’avoir écouté davantage, tous furent remplis de colère en entendant ces paroles (4,28) et étaient prêts à le tuer. À une autre occasion, Jésus reçoit un homme paralysé et lui prodigue non seulement la santé corporelle, mais le salut intégral par la rémission des péchés. Aussitôt, des gens murmurent contre Jésus et considèrent qu’il blasphème (5,21). Plus d’une fois, Jésus est confronté à des jugements téméraires : quand il mange avec des collecteurs d’impôts qui étaient reconnus comme des pécheurs publics (5,30) ; quand, un jour du sabbat, il guérit un homme à la main paralysée (6,11) et, plus tard, une femme possédée d’un esprit qui la rendait infirme (13,14) ; quand il se laisse approcher par une femme pécheresse qui arrose de ses larmes les pieds de Jésus, les essuie avec ses cheveux, les couvre de baisers et les parfume (7,39) ; quand il délivre un homme possédé sur la terre des Gergéséniens (8,37) ; quand il chasse un démon muet (11,15) ; quand il exprime aux Pharisiens et aux légistes sa lamentation devant leurs comportements à l’égard de Dieu et des autres, loin de la justice et de l’amour (11,53-54), etc. De plus, il n’est pas accueilli dans un village de Samaritains (9,53) et un légiste tente de le mettre à l’épreuve (10,25). Même sa relation avec ses disciples ne va pas de soi : ils ne le comprennent pas toujours (9,45) et sont parfois aux antipodes de l’esprit de Jésus, en particulier quand ils cherchent lequel d’entre eux est le plus grand (9,46).

Reconnaître ses limites devant Dieu et recevoir son Esprit Saint

Comment porter sa croix, derrière Jésus, sans se complaire, ni s’enfermer dans la souffrance ? À travers deux petites comparaisons, l’homme qui veut bâtir une tour (14,28-30) et le roi qui part en guerre contre un autre roi (14,31-32), Jésus invite les personnes qui marchent avec lui à prendre le temps de s’asseoir (14,28.31) pour considérer si elles sont en mesure de mettre la relation avec Jésus au centre de toute relation et de porter leur croix, derrière Jésus, chaque jour. La seconde comparaison laisse deviner que, d’un point de vue humain, la réponse est négative. En effet, il est humainement utopique de remporter la victoire avec dix mille soldats contre une armée qui est deux fois plus importante (vingt mille). Une telle prise de conscience est fondamentale pour reconnaître lucidement que, sans la grâce de Dieu, notre cheminement de disciple est voué à la « poussière » et ressemble à une « herbe changeante », pour reprendre des expressions du Ps 89(90) de ce dimanche. Cependant, Jésus ne nous laisse pas tout seul. Il est le premier à marcher avec nous pour nous donner son Esprit, cette « force d’en haut » (Lc 24,49). Avec Marie, apprenons à reconnaître devant Dieu notre part de pauvreté et à lui demander « comment cela se fera-il ? » (1,34), pour vivre selon sa Parole : L’Esprit Saint viendra sur toi et la force du Très-Haut te couvrira de son ombre (1,35). Au cœur des défis multiples, ce même Esprit fait exulter Marie dans son Magnificat (1,46-55) et Jésus dans sa louange au Père (10,21-22). Avec l’Esprit Saint, la part de souffrance à la suite de Jésus devient un processus d’enfantement à travers lequel le disciple devient progressivement à la fois recréé et fécond, transformé et transformateur, pour sa plus grande joie...

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Marie de Lovinfosse est professeure d’exégèse biblique à l’Institut de formation théologique de Montréal.

Source : Le Feuillet biblique, no 2628. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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