Danse la vie. DèsLou, 2012. Acrylique sur toile (courtoisie de l’artiste).

Dieu dansera de joie !

Francine RobertFrancine Robert | 24e dimanche du Temps ordinaire (C) – 15 septembre 2019

La brebis égarée et la pièce de monnaie retrouvée : Luc 15, 1-10
Les lectures : Exode 32, 7-11.13-14 ; Psaume 50 (51) ; 1 Timothée 1, 12-17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Des trois paraboles que nous offre le chapitre 15 de Luc, la plus célèbre est la troisième, dite ‘du fils prodigue’. La première nous est familière aussi : on aime les images du berger portant sa brebis sur l’épaule, et on l’apprécie pour parler du pardon aux enfants. La deuxième, on en parle rarement, sinon jamais. Un personnage de femme pour représenter Dieu ? Ça ne nous vient pas à l’idée...

Puisque la parabole des deux fils et du père était déjà au carême de cette année, je choisis de porter le regard sur les deux premières. On a tendance, parce qu’elles sont brèves, à les lire comme un simple amuse-gueule avant le plat principal : le retour du fils pécheur et la miséricorde du père. Du coup, on leur attribue la même signification, le même enseignement sur l’accueil et le pardon de Dieu envers les pécheurs. Jésus a-t-il voulu dire trois fois la même chose ?

Il est vrai que les trois paraboles ont en commun un point important : quand on retrouve ce qui était perdu, c’est la joie et la fête ! Nos deux petites paraboles ont même un refrain là-dessus ; elles sont comme deux couplets d’une chanson, ponctuée par le refrain de la joie de Dieu pour le pécheur revenu. Cette insistance est peut-être ce qu’elles apportent d’original.

L’effort de la recherche

Comme souvent, Luc met en parallèle deux personnages, un homme et une femme [1]. Les deux récits sont construits sur le même modèle : quelqu’un s’efforce de retrouver quelque chose qui a été perdu. Ici un berger et sa brebis, là une femme et sa pièce d’argent. La répétition d’un même schéma doit souligner son importance : ce que ces deux récits ont en commun n’est pas l’objet perdu mais sa recherche frénétique. Tous les efforts sont mis en œuvre par le berger et la femme. L’intensité de la recherche et du désir de trouver ressort ici bien plus que dans la parabole semblable de Mt 18,12-14 : le berger se réjouira SI il retrouve la brebis. D’ailleurs elle s’est égarée, précise Matthieu, qui pense au pécheur s’éloignant de Dieu. Mais en Luc, l’accent porte tout entier sur le sentiment de perte ressenti par le berger, redoublé dans la même expérience vécue par la femme. C’est l’effort de la recherche qui est mis en scène. Pas question d’arrêter avant d’avoir trouvé ! La fête qui suit, rassemblant voisin-e-s et ami-e-s, souligne aussi l’importance de la quête pour ces deux chercheurs. Les paraboles nous solidarisent avec eux, et nous invitent à partager leur joie.

Cette joie, on la retrouve chez le père de la troisième parabole, qui organise la fête pour le retour du fils cadet. La différence ? les deux petites paraboles insistent plutôt sur la recherche et le désir de trouver. On devine bien sûr le désir du père, qui attendait son fils et l’aperçoit de loin. Mais les mésaventures et le cheminement du jeune homme sont décrits assez longuement, pour faire place au thème de la conversion du pécheur et du pardon offert. De même, l’attitude de l’aîné fait rebondir encore ce thème : une autre conversion est appelée ici, et reste inachevée (Lc 15,25-32).

Évidemment, on ne raconte pas la conversion d’une brebis et d’une pièce de monnaie. C’est là aussi, justement, que ces deux paraboles diffèrent. Par rapport à la troisième, les deux premières parlent uniquement de l’agir de Jésus. Leur seule visée est de mettre en scène le désir profond de Dieu.

Jésus en quête des perdus

Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux, disent les pharisiens et les scribes. Ils ne sont certainement pas opposés à la conversion possible des pécheurs. Après quoi ils pourront les fréquenter. Mais ils critiquent le fait que Jésus accueille ces gens de mœurs douteuses sans poser de condition préalable. Pire : il semble les chercher, souhaiter les côtoyer et les accueillir.

Le verbe grec qui est traduit dans ce récit ‘faire bon accueil’ n’est pas le verbe habituel au sens courant d’accueillir, comme dans la foule le suivit, Jésus l’accueillit (Lc 9,11). Notre verbe ici est le même que, par exemple, Siméon attendait la consolation d’Israël ; Joseph d’Arimathie attendait le Règne de Dieu (Lc 2,25 ; 23,51). On le traduit donc plutôt ‘attendre’, espérer. Il signifie accueillir ce qu’on espère, ce qu’on désire ardemment.

Ce verbe évoque donc la même disposition intérieure, le même mouvement qui anime le berger et la femme des paraboles. Jésus ‘raconte’ l’élan qui le porte vers ces gens qui sont loin de Dieu, dans l’espoir de leur révéler que Dieu les cherche et les aime. Les paraboles sont ainsi à la fois la réponse de Jésus à ceux qui le critiquent et la révélation aux pécheurs du Dieu qui s’inquiète pour eux. Qui vit lui-même dans l’attente et l’espérance de les retrouver. On rejoint ici la conclusion de Jésus chez Zachée : le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (19,10). C’est aussi la découverte de Paul, évoquée dans la deuxième lecture de ce dimanche (1 Timothée 1,12-17).

Nous réjouir avec Dieu

Certes, la parabole du père et des deux fils nous rappelle l’indispensable cheminement de la conversion. Cheminement auquel nous sommes toujours appelés. Mais le schéma répété des deux premières paraboles posent d’abord l’affirmation du désir profond de Dieu, ce qui le porte vers nous. Insistons : c’est la parole sur Dieu qui vient en premier ! Tout Lc 15 suggère que Dieu ressent les perdus—pécheurs comme une perte personnelle. Ce que proclame le refrain qui vient ponctuer chaque petit récit : la joie de Dieu qui retrouve le perdu. Non pas parce que Dieu ne trouve aucune joie dans sa relation avec les justes, comme Syméon, Élisabeth ou Marie. Mais la joie ici est ponctuelle et soudaine, elle jaillit d’un événement longtemps espéré, d’un désir enfin comblé.

Dieu nous invite à partager ce jaillissement de joie. Si nous sommes les voisin-e-s et les ami-e-s invités, ce serait dommage de bouder la fête de Dieu, comme le fils aîné malheureux de voir son père accueillir son frère revenu.

Dieu « dansera pour toi avec des cris de joie ! » nous dit le prophète Sophonie [2]. C’est quand, la dernière fois que vous avez imaginé Dieu en train de danser de joie pour nous ?

Diplômée en études bibliques, Francine Robert est professeure retraitée de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

[1] Voir les annonces à Zacharie et Marie, le témoignage de Syméon et Anne, la veuve et le lépreux qu’Élie et Élysée ont aidés, les 2 paraboles sur la prière, avec  l’ami importun et la veuve insistante, et les femmes qui croient l’ange au tombeau alors que les autres disciples ne croient pas (1,5-20.26-38 ; 2,25-38 ; 4,25-27 ; 11,5-8 ; 18,1-8 ; 24,9-12).
[2] Sophonie 3,17. Cité par François dans son Exhortation apostolique La joie de l’Évangile, # 4.

Source : Le Feuillet biblique, no 2629. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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