(Joshua Lanzarini / Unsplash)

Un peu, c’est bien assez!

Alain FaucherAlain Faucher | 27e dimanche du Temps ordinaire (C) – 6 octobre 2019

La puissance de la foi : Luc 17, 5-10
Les lectures : Habacuc 1, 2-3 ; 2, 2-4 ; Psaume 94 (95) ; 2 Timothée 1, 6-8.13-14
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Une trace d’additif ajouté à l’essence permet de la vendre comme « essence d’hiver ». En cuisine, les ingrédients qui parfument une préparation sont généralement utilisés en toute petite quantité. Ainsi, une trace de vanille donne sa personnalité à un dessert. Dans l’industrie, des quantités infimes de tel ou tel ingrédient confèrent de nouvelles propriétés qui suffisent à relancer un produit en fin de cycle. La « chimie des traces » est un domaine fascinant!

Il en va de même dans le domaine de la foi. Un peu de foi crée toute la différence dans une vie humaine. Un petit peu de foi permet d’affronter les situations difficiles vécues dans le monde, dans la société, dans la vie personnelle... Jésus rassure ses apôtres : un petit peu de foi, une quantité de foi minuscule comme une graine de moutarde fait lever autrement la recette… La foi? Une pincée, c’est assez!

La foi existe ou n’existe pas. L’adhésion croyante opère ou n’opère pas. Ce « tout ou rien » exprime le caractère décisif de la foi. La foi permet un choix radical. Et une telle foi, même à petite dose, modifie toute la cohérence de la vie. Peu importe sa « quantité »!

Combien de foi?

Décousu à première vue, l’évangile trouve son unité dans la thématique de la foi. Le texte aborde d’abord la question du « combien », puis élargit la discussion à la question des conséquences pratiques de la relation au Tout-Autre. Cette question se déploie dans la métaphore de la vie des subalternes engagés dans les familles aisées de l’époque. Voilà pourquoi l’évangile choque nos oreilles occidentales égalitaires et démocrates!

Les apôtres demandent à Jésus d’augmenter leur foi. Doit-il vraiment accéder à cette demande? Est-ce nécessaire? Selon notre conception habituelle de la foi (« croire à quelque chose »), on n’en aurait jamais assez. La quantité ferait une réelle différence. Comprenons plutôt la foi comme la comprenaient les contemporains de Jésus : « adhérer à quelqu’un ». La quantité n’a pas d’importance. On adhère ou on n’adhère pas, un point c’est tout.

Aux apôtres enthousiastes qui lui demandent d’augmenter leur vertu de foi, Jésus répond avec une consigne surréaliste. Jésus répond qu’une petite dose de foi peut transplanter un arbre en pleine mer. Comme si la foi venait bouleverser les mécanismes mis en place lors de la création, en permettant la vie (l’arbre) au beau milieu d’un lieu de perdition (la mer)!

Le contraste des « quantités de foi » est éloquent dans cet évangile. La foi en petite quantité (la graine de moutarde) suffit pour replanter l’arbre (grand) dans le lieu de perdition par excellence, la mer incontrôlable peuplée de créatures maléfiques... Belle image pour dire qu’une pincée de foi bouleverse tout et contribue à recréer le monde!

Des relations transformées

Mais ce n’est pas la seule surprise du texte. Jésus semble changer le sujet de la conversation. Il évoque une scène de la vie paysanne de son époque. Jésus évoque le service effacé de l’employé d’un propriétaire agricole. Le travailleur agricole assume chez son maître des tâches sans s’attendre à des égards spéciaux pour son travail habituel. De même, les apôtres sont conscients que leurs actions doivent témoigner de la primauté de Dieu dans leur vie. La foi imprègne leur vie de cette relation.

Le parallèle établi entre l’acte de foi des apôtres et cette relation maître-serviteur nous heurte. En Amérique du Nord, nous avons fait de l’autonomie individuelle un absolu. Pour apprécier la relation de foi, nous devons inclure dans notre réflexion la relation de subordination qui est à la base de l’acte de foi.

Les convictions véhiculées dans la deuxième partie de l’évangile heurtent violemment nos sensibilités sur la valeur de nos réalisations personnelles. Et si la tradition biblique ouvrait une autre perspective sur nos relations avec Dieu? Nos réalisations dans le domaine de la foi sont, la plupart du temps, bien modestes. Et si nous laissions de côté nos hésitations ou notre déception devant notre manque d’envergure? Nous pourrions envisager notre fragile vie avec Dieu avec un réalisme beaucoup plus productif...

Pour les premières générations chrétiennes, la foi n’était pas d’abord jonglerie de l’intelligence. La foi consistait à adhérer à une personne plus importante que soi, à s’effacer quelque peu devant elle pour qu’elle exerce au maximum son influence bienfaisante. Accoler ainsi sa propre vie à une vie autre devenait une source de multiples bienfaits. En échange de tels avantages, la personne qui adhérait à meilleur qu’elle prenait alors plaisir à jouer un rôle de soutien. Comme le serviteur discret de l’évangile…

L’évangile offre une clé pour comprendre la dynamique profonde de la relation offerte par Dieu à l’humanité. La foi n’est pas un somnifère pour nous faire accepter un rôle subalterne. La foi est une forme de réalisme. Elle reconnaît qui est à la source des bienfaits. Elle affirme que l’honneur des croyants réside dans la reconnaissance pour les bienfaits reçus.

Peu, c’est déjà beaucoup

On comprend mieux alors l’ironie de Jésus devant la demande des apôtres concernant le « combien ». Jésus ne juge pas utile d’augmenter la quantité de leur foi. La foi ne s’évalue pas en termes de quantité, mais plutôt par sa qualité, par sa cohérence. Même à faible dose, la foi modifie la carte des relations humaines et spirituelles. Nous pouvons légitimement nous réjouir de notre foi limitée, car elle est suffisante pour nous aider à tenir bon. Elle injecte la motivation requise pour nous engager dans des changements bienfaisants, au bénéfice de la société et du monde.

Chose certaine, la demande initiale des apôtres nous concerne. Peut-être parce que nous sommes découragés devant la faiblesse de notre foi, devant son manque d’envergure, devant sa petitesse! Les défis de la vie actuelle sont tellement exigeants que nous nous sentons démunis, mal outillés avec une foi si fragile... Nous voulons nous rassurer en rêvant à la quantité… alors que le fait d’une adhésion sincère suffit déjà à faire toute la différence du monde.

Habacuc 1, 2-3 ; 2, 2-4

En trois ans, le Lectionnaire dominical prévoit une seule rencontre avec le prophète Habacuc. La première partie du texte prophétique pourrait avoir été écrite pour notre époque. Elle trouve un écho dans le désarroi actuel de nombreux baptisés. À la manière du livre de Job, le prophète s’adresse au Seigneur Dieu. Il fait part de ce qu’il perçoit, lui, simple mortel : l’injustice semble avoir le dernier mot. Notre acclamation « Parole du Seigneur » valide ce constat du prophète.

Non, les efforts de lucidité ne déplaisent pas à Dieu... Relire dans la foi des événements actuels nous conduira parfois à dénoncer des situations d’injustice créées par des puissances locales ou multinationales. Nous nous inscrivons ainsi dans la grande tradition prophétique de la Bible. Les Juifs pieux de Qumrân ont fait de même avec le livret prophétique d’Habacuc. Ils comparaient les envahisseurs mésopotamiens mis en scène par Habacuc avec les occupants de la Terre sainte de leur époque, les abominables Romains.

Psaume 94 (95)

Ce psaume abrégé est familier pour quiconque célèbre l’Office des heures. Le texte cumule des titres attribués à Dieu et des images pour décrire l’action divine. La première strophe évoque la solidité du créateur et la joyeuse allégresse des célébrations de sa royauté. La deuxième strophe associe la révérence due à l’auteur de la vie humaine et son comportement de berger. La troisième strophe offre une rareté : une parole divine est citée dans un psaume. Cette citation décapante empêche d’idéaliser la période du désert. Comme la situation évoquée par le prophète Habacuc, ce fut une période de test. Les ancêtres l’ont échoué : n’allons pas répéter les erreurs du passé en fermant notre cœur à la foi!

2 Timothée 1, 6-8.13-14

Deux sentiments s’opposent. D’un côté, la honte : honte du témoignage mal reçu, honte pour l’apôtre retenu en prison. Le regard des autres est plus important que le sentiment personnel. De l’autre, la fierté de ce qui est accueilli comme don. Il s’agit de l’esprit transmis par l’apôtre : un esprit de force, d’amour, de raison... « Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné… » (verset 7) Le dépôt de la foi est de toute beauté!

Ces quelques versets qui évoquent un modèle puissant nous dépaysent. Vraiment, nous ne sommes plus en Amérique du Nord. Nous voici plongés dans le monde méditerranéen. La volonté personnelle n’est pas la source du développement individuel. Les choses importantes de la vie (l’honneur, la nourriture, les soins...) y sont reçues d’un Autre, comme une faveur.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2632. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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