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À chaque saison, ses tâches spécifiques…

Patrice Bergeron Patrice Bergeron | 33e dimanche du Temps ordinaire (C) – 17 novembre 2019

Annonce de la destruction du Temple : Luc 21, 5-19
Les lectures : Malachie 3, 19-20a ; Psaume 97(98) ; 2 Thessaloniciens 3, 7-12
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Nous avons la chance de vivre dans un pays où les quatre saisons sont bien définies et distinctes l’une de l’autre. Et chaque saison apporte son lot de tâches qui lui est propre. Pour n’en nommer que quelques unes : ramassage des feuilles mortes à l’automne, pelletage de la neige en hiver, semailles au printemps, jardinage et vacances en été. Or, le calendrier de Dieu comporte aussi ses propres saisons. Aussi, il importe de saisir les temps où nous nous situons historiquement dans le grand Plan d’Amour de Dieu pour connaître les tâches spécifiques à cette saison ! 

Au calendrier de Dieu…

Au calendrier de Dieu, nous sommes à l’avant-dernière saison de son Plan de salut. Nous sommes dans cette saison préparant l’ultime qui sera l’aboutissement complet et parfait du Plan de Dieu : le Royaume pleinement accompli, une humanité sauvée, parfaitement juste et fraternelle, où Dieu sera tout en tous, saison dans laquelle nous serons parfaitement nous-mêmes, saints et saintes, et où le mal, la souffrance et la mort auront disparu. L’ultime saison est hors du temps, elle sera éternelle et s’inaugurera par la seconde venue de Jésus, celle-là dans sa Gloire de Ressuscité venant accomplir toutes choses, venue que nous appelons la Parousie.

Alors nous sommes dans les derniers temps, dans cette avant-dernière saison du Plan de Dieu. Cette saison est encore temporelle, mais sa durée est indéterminée. C’est cette saison théologique située entre les deux venues de Jésus, celle historique dans la chair et celle dans la gloire ! La venue de Jésus dans la chair a culminé par sa mort et résurrection, l’événement temporel le plus extraordinaire de l’histoire de l’humanité. À partir de la résurrection du Christ, l’avant-dernière saison commence, qu’on peut appeler aussi la saison de l’Église !

Combien de temps durera cette avant-dernière saison ?

Voilà bien une question qui taraudait les premiers chrétiens, ceux à qui l’évangéliste Luc adresse son écrit. Il lui importe de trouver, dans les sources dont il dispose, des paroles de Jésus qui puissent éclairer un tant soit peu cette attente inquiète de la Parousie.

C’est à cette tâche que s’attarde ce dernier discours de Jésus de l’évangile de Luc, dont nous ne lisons que la première partie en ce dimanche. Ce discours, que Jésus tient dans le Temple de Jérusalem, porte sur la fin des temps, son retour en gloire et les signes précurseurs de ces avènements. Il comporte des éléments du style des apocalypses de son époque, cherchant moins à répondre au « quand cela se fera-t-il ? », qu’à inciter à la persévérance des croyants jusqu’au bout, en conférant au temps présent une gravité particulière.

Fin du Temple, fin du monde…

Le discours s’amorce par la prédiction de Jésus de la ruine du Temple de Jérusalem, prodrome convenu, dans la mentalité de l’époque, de l’arrivée des derniers temps. La question de la Parousie devant se poser avec d’autant plus d’actualité qu’à l’époque où la communauté lucanienne reçoit le troisième évangile, l’événement de la destruction du Temple a déjà eu lieu [1].

Dans ce discours, Jésus ne défait pas cette acception qui lie fin du Temple et fin du monde. Cependant, la description des signes qu’il énumère – d’ailleurs largement empruntés à l’apocalyptique juive – comme devant s’accomplir antérieurement (versets 9 à 11), ne nous aidera guère à évaluer le laps de temps séparant la ruine du Temple de la Parousie. Son discours semble s’adresser plus aux chrétiens du premier siècle qu’aux disciples de Jésus présents au Temple le jour de la tenue de ce discours. En effet, dans l’extrait que nous lisons en ce dimanche, deux indices pointent vers des réalités que sont en train de vivre les chrétiens du premier siècle de l’Église : l’émergence de faux prophètes imposteurs (verset 8) et l’avertissement des persécutions à venir (versets 12 à 19).

Beaucoup viendront en mon nom…

Le premier siècle a vu déferler son lot de personnages aux prétentions messianiques, annonçant la proximité du Jour de Dieu, recrutant des adeptes en exploitant l’air du temps, friand de thèses apocalyptiques. L’historien Flavius Josèphe relate l’activité de certains d’entre eux dans ses écrits. L’évangéliste Luc connaît d’ailleurs trois d’entre eux : Theudas (Ac 5,36), Judas le Galiléen (Ac 5,37) et l’Égyptien (Ac 21,38). On imagine qu’après la destruction du Temple, la fiévreuse attente de la Parousie a dû exacerber ces phénomènes d’auto-proclamation farfelue.  D’où la mise en garde de Jésus à ses disciples : « Ne marchez pas derrière eux ! » Comprendre : lorsqu’adviendra la Parousie, l’identité du Christ ressuscité ne suscitera aucune ambiguïté dans le cœur des croyants.

On portera la main sur vous…

Quant aux persécutions annoncées, celles-ci ont déjà cours au temps des destinataires de l’évangile. Qu’on pense aux démêlés avec la synagogue ou, un peu plus tard, aux persécutions impériales, Luc parle à des chrétiens dont la vie est menacée de par leur simple appartenance au Christ. Il lui importe donc de rapporter ici les paroles du Maître au sujet de la conduite à tenir dans de telles circonstances. Deux motifs d’espérance en ces temps d’épreuves y sont donnés. Premièrement, l’Esprit du ressuscité soutiendra le témoignage des disciples et assurera leur défense devant tout tribunal. Deuxièmement, advenant même la mort de celui qui sera resté fidèle jusqu’au bout, pas un de ses cheveux ne sera perdu : promesse d’une entrée dans la vie véritable auprès du Christ, au-delà de l’aventure terrestre.

Les tâches de la saison

Si chaque saison comporte ses tâches spécifiques, à quoi donc l’Église du Christ doit-elle s’affairer en cette avant-dernière saison du Plan d’Amour de Dieu ? Simplement à la persévérance de la foi. Nous n’avons pas encore été jusqu’au bout de ce discours de Jésus qui se terminera par cet appel à la vigilance (versets 34 à 36), toutefois la fin de l’extrait de ce dimanche nous oriente déjà : C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie.

Si les conditions de la suite du Christ n’ont pas été faciles pour nos sœurs et frères au premier siècle, il est à parier qu’aucun siècle n’épargnera la marche de l’Église qui sera, jusqu’à la Parousie, semée d’embûches et de persécutions. C’est bien là une certitude que nous transmettent les apocalypses. Une fois avertis de cet « état permanent » de la condition des disciples : cultiver sa relation au Christ, continuer à temps et à contretemps d’annoncer son Évangile, s’investir de toutes nos forces à transformer ce monde aux couleurs du Royaume de Dieu, aimer concrètement et jusqu’à ses ennemis, voilà bien les tâches de la saison ! La saison de l’Église sera celle de la persévérance… jusqu’au Retour du Maître !

Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses et professeur de Bible à l’Institut de formation théologique de Montréal. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.

[1] La destruction du Temple de Jérusalem a eu lieu le 30 août 70, alors qu’on date généralement la rédaction de l’évangile de Luc vers l’an 80.

Source : Le Feuillet biblique, no 2638. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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